Les besoins des employeurs ont, depuis toujours, conditionné la tendance évolutive du marché de l'emploi. Ce dernier est constamment à l'écoute des besoins des secteurs ascendants, et néglige progressivement ceux en déclin. Cela a été le cas au Maroc durant cette décennie. Les approches adoptées par le public et le privé étant, par nature, foncièrement différentes. Cela ne les empêche cependant pas de se rejoindre là où leurs intérêts se croisent. Et si le moyen le plus sûr d'assurer son avenir professionnel était de s'investir dans des métiers qui n'existent pas, ou du moins pas encore ? Cela paraît loufoque, certes, mais c'est en osant adopter cet état d'esprit que la mutation des secteurs aujourd'hui porteurs s'est opérée, une mutation forcée et provoquée par les défis qu'imposent les impératifs de croissance et de survie. Cela fut le cas aux Etats-Unis et en Europe depuis la fin des années 1980, période durant laquelle les investissements dits classiques, en l'occurrence l'immobilier et la machine-outil, ont peu à peu laissé place à l'ingénierie financière, aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (alors embryonnaires) et aux énergies propres. Et l'effort de création de métiers nouveaux et d'adaptation des sous-secteurs satellites à ces derniers se sont poursuivis jusqu'à ce jour, suivant une cadence ininterrompue. Les prédictions vont bon train sur les métiers de demain, et les experts de la formation et de l'employabilité nous font périodiquement part de leurs visions concernant le monde professionnel à venir. Au Maroc, cette mutation est apparue voilà près de 10 ans, avec l'arrivée à maturité des processus propres aux secteurs primaire (agriculture) et secondaire (industrie), pour permettre à celui tertiaire (services) de briller et de mettre en évidence l'étendue de ses potentialités. Cela a permis à ce dernier de s'affirmer et de booster sa capacité à créer de la richesse, mais a également aidé à prouver que les foyers de croissance ont changé de nature; ils sont désormais situés dans tous ce qui est inféodé à l'optimisation des ressources et des moyens, à la gestion intelligente des exploitations et à la performance des systèmes d'information, en mettant le focus sur l'élément humain. Et c'est sur ce dernier volet qu'interviennent les organes de formation publics et privés. En effet, les instituts et écoles supérieures de formation ont eux aussi embrassé la courbe ascendante de l'évolution des métiers, et ont compris que les formations diplômantes n'avaient de sens que si les aptitudes inculquées et acquises répondaient à des exigences bien précises : celles des employeurs. Pour ce faire, les formations académiques proposées ne devaient plus rester cantonnées à leurs limitations généralistes et théoriques, mais étaient appelées à dépasser ce cadre pour suivre de près les évolutions que connaissent les secteurs les plus porteurs, et s'adapter en conséquence. Aujourd'hui, l'adéquation entre les qualifications théoriques et techniques des lauréats à la demande du marché de l'emploi a été relocalisée en amont des cycles d'études, dans le but de créer des profils professionnels taillés pour s'adapter aux particularités des nouveaux métiers mondiaux. Dans la foulée, les universités et les écoles de formation se sont imposé l'effort de la veille sectorielle. Les établissements les plus aptes à assumer ce genre de démarches adaptent continuellement leurs programmes, mis désormais au diapason des évolutions sectorielles constatées. S'ajoute à cela l'apparition de crises financières répétées, qui impose de nouvelles manières d'imaginer et d'approcher les composantes les plus sensibles des métiers complexes, et le rôle croissant que joue Internet dans les stratégies d'entreprises, la fourchette des possibilités est suffisamment large pour favoriser l'émergence de métiers nouveaux et l'adaptation de fonctions existantes en autres inédites. Chose importante à relever, le point commun entre tous ces nouveaux métiers réside dans leur appétit insatiable pour les qualifications pointues. Pareil pour les sous-secteurs y afférent, qui n'en sont pas moins friands. De plus, quel meilleur timing que celui-ci pour un pays comme le Maroc de s'investir dans l'évolution des programmes de formation, à fortiori lorsque l'attrait en matière d'investissements directs étrangers (IDE), ainsi que les performances des nouveaux métiers dans lesquels le royaume s'impose en spécialiste continental, prouvent bien que le paysage économique est assurément entré en phase de mutation, tout comme celui des économies américaine et européenne avant lui. Pour le cas du Maroc, cela se justifie par le nombre de groupes industriels d'envergure internationale, qui sont de plus en plus nombreux à s'intéresser à la dynamique soutenue du développement industriel national, notamment pour ce qui est des secteurs des énergies renouvelables, de l'automobile et de l'aéronautique. Dynamique industrielle Cette effervescence sectorielle, le pays la doit aux succès du Plan d'accélération industrielle (PAI), qui a donné un caractère concret à l'effort d'industrialisation du pays. Une industrialisation qui ne peut vraiment se faire que si les ressources humaines devant assurer son fonctionnement continuel sont formées à la maîtrise de ces spécificités nouvelles. Une des nombreuses ambitions qui se doivent d'être accompagnées des moyens de leur réalisation en matière d'offre en compétences, en plus des infrastructures nécessaires, de la logistique, de l'accompagnement stratégique et du support financier. Les profiles diffèrent, certes, selon les spécialisations et les besoins de chaque secteur, mais la mission d'adaptation à l'émergence de métiers nouveaux est la même pour tous. Pour illustrer ce changement dans les mentalités pédagogiques, l'exemple de la définition donnée à la profession de manager est le plus probant. Répondant, à l'aube de sa consécration en tant que métier à part entière, à une description académique éparpillée et, pour le moins, floue, ce dernier fait aujourd'hui l'objet de séminaires traitant de sa pertinence et du rôle qu'il est désormais appelé à jouer pour que l'effort d'émergence économique efficace soit couronné de succès. L'objectif est de faire de la formation au leadership une science exacte, devant répondre aux principales problématiques pédagogiques susceptibles de nuire à l'efficacité des programmes adoptés, en l'occurrence : savoir si la formation des dirigeants est prise en compte dans les plans sectoriels, définir le profil de ces dirigeants et mesurer leur degré de flexibilité quant aux mutations continues que connait le paysage économique national, s'assurer que les formations proposées par les établissements sont aptes à préparer les dirigeants de demain de manière à ce qu'ils répondent aux exigences exprimées et, enfin, identifier le portefeuille de compétences que les écoles (en particulier celles de management) doivent incorporer dans leurs cursus. L'approche intéresse tellement que des entreprises de renom, telles BMCE Bank of Africa, Disway, HPS, Managem, Toyota Maroc, Valyans Consulting, Ventec Maroc et Wafasalaf ont accepté de participer à l'élaboration d'un livre blanc dédié au profile du manager de 2030, signé ESCA Ecole de Management. Les conclusions de cette étude mettent clairement en exergue les nouveaux besoins des employeurs au Maroc. Ces derniers disent être intéressé par des profils capables de s'adapter rapidement et sans réticences aux multiples changements que connaissent leurs domaines de spécialisation, mais aussi aux évolutions techniques, technologiques, conceptuelles et organisationnelles. Aussi, ces managers ne doivent en aucun cas rechigner à oser l'internationalisation des activités, la standardisation de la qualité et la personnalisation des services. Partant de ce constat, deux approches majeures sont à dégager: celle des écoles supérieures et instituts d'excellence, et celle de l'Etat, dans son effort de réduction du chômage et de redirection des aptitudes vers les nouveaux secteurs porteurs. Pour le secteur privé de la formation, il est question de mise à niveau de l'ensemble des futurs lauréats afin de minimiser le taux de décrochage et maintenir ainsi un maximum d'élèves entre la première et la dernière année de formation. Une autre approche est celle favorisant la sélectivité extrême des intrants. Dans ce cas de figure, les critères de sélection sont si nombreux et exigeants que seule une minorité arrive à passer l'épreuve de distillation. L'enseignement public innove S'agissant du secteur public, ce dernier s'écarte des démarches innovatrices promues par sa contrepartie privée, pour se concentrer sur les compétences techniques et pratiques de ces étudiants, définies selon les besoins ponctuels des secteurs d'activités auxquels une priorité stratégique est donnée au niveau gouvernemental. Ce n'est donc pas une posture proactive qui anticipe sur les évolutions futures que connaitront les nouveaux métiers porteurs, mais plutôt une réponse directe à l'impératif de qualification de la main d'œuvre que les secteurs qui les exigent, en l'occurrence les énergies renouvelables, l'aéronautique et l'automobile. C'est d'ailleurs la raison d'être du Plan d'action 2016, établit par l'Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT). Ce dernier préconise l'application des recommandations formulées par le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, visant l'intégration du système national éducatif et de formation, la valorisation de la formation professionnelle et la lutte contre la déscolarisation. Il est question de créer 120 nouveaux établissements, pour une moyenne annuelle de 24, avec l'objectif d'atteindre une capacité d'accueil de 650.000 places pédagogiques et 1.726.000 étudiants formés d'ici 2020. Pour ce faire, un contrat-programme a été signé par l'OFPPT et l'Etat, dans le but de contractualiser les objectifs précités. En définitive, que ce soit la vision du privée ou du public, les deux approches sont complémentaires et ont besoin l'une de l'autre pour faire en sorte que les nouveaux métiers qui émergent soient porteurs de croissance.