À l'heure où les finances publiques vacillent, il ne faut négliger aucune piste pour renflouer les caisses de l'Etat. «Le temps où l'argent coulait à flot et où l'on pouvait se targuer d'un excédent budgétaire est révolu. Nous sommes aujourd'hui dans l'obligation de repenser la fiscalité nationale dans son ensemble, pour équilibrer le budget de l'Etat», affirme Lahcen Daoudi, l'économiste du parti Justice et développement, qui n'en démord toujours pas au sujet de la taxe sur les aspects extérieurs de richesse. En effet, certains membres de l'Exécutif avaient un temps signifié qu'un tel projet serait envisageable pour financer la caisse de solidarité sociale devant être incluse dans le projet de loi de Finances 2012. Le ministre de l'Economie et des finances avait ensuite balayé d'un revers de main une telle éventualité. «Nous avons invité le Premier ministre à venir s'expliquer sur ce sujet au Parlement. Nous espérons qu'il viendra, pour respecter la Constitution», insiste Daoudi. Toutefois, au-delà d'une cristallisation sur la question de la taxe sur les aspects extérieurs de richesse, c'est la fiscalité dans son ensemble qui doit être débattue. «Pris par le truchement de la taxe sur les aspects extérieurs de richesse, le débat est incomplet. Il faudrait débattre de manière globale du système fiscal marocain», valide Khalid Hariry, vice-président de la commission des Finances au Parlement, qui étaye : «s'attaquer à ces niches d'exonération permettrait de dégager pas moins de 2 milliards de dirhams par an». Gouffres fiscaux 2 milliard de DH! Ce chiffre en dit long sur le potentiel des ressources accaparées par ces fameuses niches fiscales, que Lahcen Daoudi préfère qualifier plutôt de «gouffres fiscaux». Une lecture diagonale des mesures d'exonération fiscales résumées sous forme d'un guide du dispositif des incitations fiscales par la direction des impôts, renseigne sur le caractère sectoriel de ces mesures. Et pour cause. Elles sont l'émanation d'une politique sectorielle, qu'on tend à soutenir, grâce aux exonérations, avec en ligne de mire, le plus souvent, le soutien à l'exportation. D'ailleurs, les opérateurs à l'exportation sont les premiers concernés et on le comprend fort bien, vues les ambitions marocaines en la matière. C'est le cas aussi pour les secteurs du transport, des mines, de l'artisanat, de l'enseignement supérieur privé et bien évidemment, du tourisme. Toutefois, d'autres secteurs profitent aussi de ces exonérations, qui semblent plus que dans les autres secteurs sujettes à polémique. Ainsi, les exonérations qui visent l'immobilier social ou encore l'agriculture ne semblent du goût de tout le monde. Khalid Hariry avance dans ce sens : «Au vu des marges pratiquées, l'exonération fiscale qui touche l'immobilier social profite plus aux promoteurs qu'à la population cible». Même constat du côté du parti de la Lampe, où Lahcen Daoudi déplore que cet immobilier social profite souvent à des personnes qui ne font pas partie de la population cible. «L'immobilier social est sujet à la spéculation, puisque des personnes achètent plusieurs appartements pour ensuite les revendre avec des plus values», fustige-t-il avant de plaider : «Il faudrait créer une agence dédiée qui détermine la population qui peut profiter de ces logements sociaux». Plus encore, Lahcen Daoudi trouve inapproprié le fait que seuls les grands promoteurs qui signent des conventions avec l'Etat peuvent profiter de l'exonération liée à l'immobilier social. «Les grands promoteurs ne s'intéressent pas aux petites villes. Aussi, il faudrait soutenir les petits promoteurs qui construisent une centaine de logements et non pas seulement ceux qui en produisent des milliers», affirme-t-il. Une autre niche fiscale potentielle concerne le secteur de l'agriculture. En effet, les revenus agricoles sont exonérés de tout impôt jusqu'au 31décembre 2013. Or, cette exonération fiscale concerne aussi bien les petits que les grands exploitants, ce que Hariry trouve particulièrement injuste. Il affirme dans ce sens : «Il est aberrant de voir des gros propriétaires terriens, qui exploitent des milliers d'hectares, jouir d'une exonération fiscale, alors même que des TPE payent leurs impôts». Encore une fois, cette exonération avait pour but de soutenir la production, aussi bien pour l'export que pour alimenter le marché local. Mais, aujourd'hui, elle concentre le courroux d'une partie de la classe politique, qui estime qu'elle est loin de remplir son rôle. «Il faudrait revoir cette exonération, à l'aune des superficies exploitées», explique l'économiste du PJD, qui estime qu'il faut trouver un mécanisme avec les producteurs pour rendre les produits de base disponibles sur le marché marocain, à des prix abordables. Pour lui, tout renchérissement de ces produits de base nécessiterait une augmentation du SMIG, ce qui grèverait la compétitivité des entreprises. Système fiscal improductif Or, il n'est pas question de toucher à la compétitivité du tissu national. «Pour nous, en matière fiscale, il ne faut pas toucher à l'outil de production et ne pas alourdir la pression fiscale sur les couches défavorisées», entonne-t-il comme un principe, avant d'étayer ce qui représente pour lui un enjeu majeur : «Aujourd'hui, le système fiscal marocain est improductif, et il faut absolument le rendre productif». Même son de cloche du côté du parti de la Rose. C'est ainsi que Salwa Karkri Belakziz, députée USFP et invitée des Echos quotidien, la semaine dernière (www.lesechos.ma), scandait: «Pour moi, la fiscalité est au cœur de la démocratie. Le jour où le système fiscal sera équitable, les gens iront voter». C'est dire l'importance de cette question pour elle et son parti. Ce dernier verrait d'ailleurs d'un bon œil l'adoption de nouvelles tranches pour l'impôt sur le revenu, pour que les contributions soient en accord avec le niveau des revenus. Lahcen Daoudi va plus loin et propose d'ores et déjà de rétablir le taux de 42% pour la tranche la plus élevée de l'IR. En tout cas, toutes les pistes sont bonnes à explorer pour renflouer le déficit budgétaire de l'Etat. Le système fiscal est bien évidemment le premier sujet de cette réflexion et pourquoi pas en termes d'élargissement de l'assiette fiscale. En attendant, la question d'une fiscalité différenciée de manière régionale s'impose de plus en plus, avec l'avancement du chantier de la régionalisation. Ce sera sans nul doute l'une des clefs de voûte de ce chantier. «Il faut intervenir en amont»: Rachid Talbi Alami, Président du groupe parlementaire RNI Les Echos quotidien: S'attaquer aux niches fiscales représente-t-il pour vous une bonne manière de renflouer les caisses de l'Etat ? Rachid Talbi Alami : Je serais tenté de répondre a priori par la positive. Cependant, il faudrait pour en juger, calculer le manque à gagner que cela représente, mais aussi ce que ces incitations rapportent à l'économie marocaine. Ce sont des choix à faire à l'aune du taux de pression fiscale et surtout au regard de la compétitivité des opérateurs marocains sur le marché international. Certains pointent du doigt l'exonération qui concerne l'immobilier social, qu'en pensez-vous ? C'est encore une fois un choix qui a été fait pour absorber le déficit en matière de logements sociaux. Pour remettre en cause cette exonération, il faudrait donc prendre en compte le coût de la mise à niveau du logement insalubre. Mais ce coût doit aussi comprendre le coût social. Quid de l'exonération du secteur de l'agriculture ? On a tardé à mettre en place un système qui améliore la production du secteur. Aujourd'hui, nous avons le plan Maroc Vert, qui commence à prendre. Aussi, il faut se demander si une remise en cause de l'exonération sur ce secteur ne va pas freiner ce chantier. L'essentiel, c'est de ne pas fiscaliser et faire des recettes d'une main qu'on va redonner de l'autre. L'enjeu pour ce secteur, c'est d'assurer l'approvisionnement et de ne pas pousser les gens à recourir à l'importation. La fin de la défiscalisation ne vous paraît donc pas être la solution idoine ? La fiscalisation et la défiscalisation sont les choses les plus faciles à mettre en place. À mon sens, il faut intervenir en amont, car dans chaque secteur, il y a un processus en place. Je pense qu'il faut mettre en place un programme et déterminer une date pour la fin de la défiscalisation, afin de permettre aux opérateurs mais aussi à l'Etat de s'y préparer.