Prendre aux riches pour donner aux pauvres, une vieille idée remise à l'ordre du jour par les difficultés financières actuelles de l'Etat. Acculé par l'explosion de la charge de compensation, le gouvernement s'apprêterait donc à introduire une taxe de solidarité qui viserait les Marocains les plus fortunés. C'est en fait la lettre de cadrage de la loi de Finances 2012 qui en ouvre la possibilité. Si rien n'est encore fait, le ministre des Affaires économiques et générales avance dans ce sens que «la lettre de cadrage du projet de loi de finances ouvre la voie à la création d'un fonds de solidarité qui servirait à financer les projets lancés par le gouvernement, comme le régime d'assistance médicale ou l'opération 1 million de cartables». «Ce fonds a besoin d'un support de financement. Aussi, nous travaillons avec le ministre de l'Economie et des finances sur la mise en place d'un certain nombre de mesures qui pourraient y contribuer, dont une taxe de solidarité», tient à préciser Nizar Baraka. Le mot est lâché ! Et derrière le discours mesuré de Baraka, se profile la concrétisation d'une mesure que certains partis portent dans leurs programmes politiques depuis belle lurette. Le Parti socialiste unifié (PSU) d'abord, qui, à travers son secrétaire général Mohamed Moujahid, avance la présence d'une taxe sur la fortune dans son programme politique depuis les élections de 2002. D'ailleurs, le parti a pris l'habitude de monter au créneau chaque année pour défendre cette proposition à l'occasion du débat sur la loi de Finances. Solidarité entre classes Mohamed Moujahid invoque la solidarité entre les classes de la société marocaine pour défendre cette mesure, même s'il se dit dubitatif quant aux difficultés qui pourraient handicaper la collecte de cette taxe : «tant qu'il n'y a pas d'équité devant la loi, l'application de ce genre de taxe sera très difficile». Du côté du Parti justice et développement, on se targue aussi de porter cette proposition depuis au moins deux ans, «mais celle-ci n'a jamais été mise sur la table», déplore Lahcen Daoudi, l'éminence économique du parti de lampe. «Il faut absolument taxer les riches !», avance-t-il. «Contrairement aux pauvres, les riches ont une adresse. Aussi, dans la réforme de la Caisse de compensation, il est plus aisé de taxer les riches que de faire parvenir les subventions aux personnes en difficultés», ajoute Daoudi. Il faut cependant préciser que selon les différentes sources contactées à ce sujet, cette mesure prendrait la forme d'une taxe sur les aspects extérieurs de richesse plutôt qu'une taxe sur la fortune proprement dite. «Il faut taxer la consommation des riches», valide Lahcen Daoudi qui ne verrait pas d'un mauvais œil, par exemple, l'application d'une vignette à 30.000 dirhams pour les 4x4 de luxe. Pour lui, ce ne serait qu'un juste retour des choses puisque ce genre de véhicules, que possèdent les «nantis», a une grande consommation en carburant, or le prix de celui-ci est soutenu par la Caisse de compensation. Cela a d'ailleurs été l'un des principaux reproches faits au système de compensation national qui, selon ses pourfendeurs, subventionnerait plus les riches que les pauvres, eu égard à leur niveau de consommation élevé. Volonté politique Toujours est-il, rien n'est encore fait et que le projet n'en est qu'au stade de réflexion sur ces fameux aspects extérieurs de richesse auxquels pourrait s'attaquer cette nouvelle taxe. En tout cas, la tâche s'annonce difficile. Les plus sceptiques annoncent même d'ores et déjà son échec attendu, car il n'échappe à personne que cette mesure ne manquera pas de faire bouger certains lobbys puissants. «Tout dépendra de la volonté politique du gouvernement à y faire face», explique Mohamed Moujahid. Mais le gouvernement a-t-il vraiment le choix ? Les difficultés budgétaires se sont révélées au grand jour et il faut absolument trouver une solution pour parer à l'hémorragie de la Caisse de compensation. «La solution est forcément fiscale», plaide Lahcen Daoudi qui tient toutefois à souligner la nécessité de préserver l'outil de production. «Il y a des niches que l'on pourrait viser sans toucher l'outil de production et sans grever la compétitivité du tissu économique national», argue-t-il. Mohamed Moujahid valide ce propos et étaye : «cette mesure consiste à taxer des personnes physiques et nullement des entreprises. Elle ne met donc pas en cause la compétitivité des entreprises marocaines». En fait, le débat sur cette nouvelle taxe ne fait que commencer, tout comme ceux qui portent sur les différentes mesures qui seront incluses dans la nouvelle loi de Finances et qui s'annoncent plus passionnés que jamais. En attendant, seul le temps pourra nous renseigner sur la réelle volonté du gouvernement à jouer le Robin des Bois car, pour l'instant, ce peut être qu'une manière de sonder le landerneau politique quant à sa réceptivité face à une telle mesure. En tout cas, pour une fois, le gouvernement risque d'avoir l'appui fortuit de ses plus grands opposants, chantres traditionnels de la taxation des riches. Un coup dur pour le business du luxe ? Si pour le moment, rien n'est encore joué, certains avis commencent déjà à se façonner quant à l'impact que pourrait avoir une telle mesure sur le business des opérateurs du luxe. En effet, si une mesure pareille venait à être adoptée, pour taxer par exemple l'achat d'un produit de luxe, il est certain que la consommation de cette catégorie de biens en serait impactée. Les opérateurs économiques sondés sont partagés sur cette question. Certains préfèrent plutôt attendre avant de trancher. C'est le cas par exemple du patron des patrons, Mohamed Horani, qui n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet. L'autre dilemme qui se poserait serait, aussi, lié à la détermination même de ces «aspects extérieurs de richesse». Faudra-t-il établir une liste de critères ou un réportoire de produits ? De l'avis de quelques défenseurs de la «taxe sur la richesse», imposer cette dernière serait plus simple notamment pour le contrôle plutôt que de se perdre dans les critères et les classifications pour, désencourager au final, le consommateur. Point de vue - «Il faut promouvoir l'équité fiscale»: Khalid Hariri, Député de l'Union socialiste des forces populaires Le débat paraît incomplet. Il faudrait débattre de manière globale du système fiscal marocain, afin de promouvoir son équité. Au-delà de cette taxe de solidarité, il y a une forte inéquité fiscale. Pour y remédier, les priorités sont ailleurs. J'estime qu'il faudrait d'abord supprimer les exonérations qui ne se justifient pas. Prenons à titre d'exemple, l'exonération fiscale qui touche l'immobilier social et qui profite plus aux promoteurs, au vu des marges pratiquées, qu'à la population cible. Par ailleurs, l'impôt sur le revenu doit être revu de manière à ce que les contributions soient en accord avec le niveau des revenus, car il est aberrant qu'une personne qui touche un salaire de 10.000 dirhams et une autre qui touche 1 million de dirhams soient assujettis au même taux d'imposition. Encore plus, au Maroc, le revenu du travail est plus taxé que le revenu du capital. ce qu'il faudrait, ce serait la taxation de la spéculation en s'attaquant notamment aux logements vacants.Dans le même registre des aberrations fiscales, celle de l'exonération dont bénéficient les grands exploitants agricoles. Si l'on s'attaquit à ces niches d'exonération, cela nous permettrait de dégager pas moins de 2 milliards de dirhams par an. À une heure où l'Etat a besoin du moindre centime, il ne faut négliger aucune piste. Par ailleurs, il faut surtout se poser les bonnes questions en se basant sur l'analyse de la Direction des impôts, qui sait pertinemment de quoi il en retourne.