Lorsque l'on écoute les chansons défiler à la radio, on ne s'imagine pas tout le travail effectué en amont. Un local, du matériel de qualité, une bonne acoustique, des cabines, des tables de mixage et une équipe pour capter le son et le sublimer. Telle est la tâche quotidienne de Mehdi Okacha et Mamoun Belgnaoui, dans un studio d'enregistrement à Casablanca, surpris en pleine séance de travail avec le groupe Meoz. Trois jours de musique, de bonne humeur contagieuse et de professionnalisme déjanté... Une guitare, une basse, une batterie, une voix, des chœurs et beaucoup de cœur pour un projet, tel est l'état d'esprit du groupe rock-reggae Meoz lorsqu'il passe la porte du studio d'enregistrement après 12 ans de travail. Le groupe, qui existe depuis 2001, est né d'une rencontre entre Mehdi El Omari, chanteur et guitariste et du bassiste Nizar Najmi. Deux univers musicaux que tout séparait mais qui se sont réunis autour d'une idée musicale commune. Fortement influencé par le reggae et le king de la «Jah Music», Bob Marley, Mehdi El Omari commence par le rap, le hip-hop et fait un détour par le rock avec des standards de Nirvana ou de Metallica. Très jeune, il se passionne pour l'écriture et la composition, tourne au Maroc, fait des scènes et décide de tout laisser derrière lui pour la musique, après avoir obtenu son bac. Une décision que ses parents ont du mal à cautionner mais ils céderont devant l'acharnement du jeune musicien. C'est à ce moment-là qu'il rencontre le bassiste à influence métal-rock, qui a fait le succès du groupe Syncope. Les deux univers donneront naissance à Meoz, musique rock-reggae, un compromis entre les deux artistes avec des sonorités particulières aux confins des différentes cultures et des influences du groupe. La basse est présente et mise en valeur, la guitare a sa place grâce à des solos originaux, la batterie est toujours percutante et juste. Ça groove, c'est frais et surtout ça fait réfléchir ou ça émeut car les textes parlent de la vie, de l'amour, de la liberté, des valeurs humaines, pas toujours personnelles selon l'auteur, compositeur et chanteur reggae à la voix rock et au timbre rauque : Mehdi El Omari. C'est ainsi que de scène en scène, de rencontre en rencontre, les compositions se cumulent et donnent naissance à des titres comme «Thin line», «The brightest flames», «Mother earth», «Irak», «You», «Music and me» et plus de 20 autres titres, qui s'enregistrent à la va-vite avec les moyens du bord, plaisent, se transmettent de bouche à oreille. Après une pause musicale qui poussera Mehdi El Omari à reprendre ses études, conscient que le métier de musicien n'est pas encore reconnu au Maroc, la passion pour la musique revient, elle ne meurt jamais, elle est toujours là. C'est là qu'intervient Xavier Sarazin Haudiquet, batteur de jazz et professeur, qui puise dans la différence et le décalage avec Meoz pour apporter son grain de sel au projet. Entre le chanteur, le bassiste et le batteur, les différences rapprochent et la passion pour le groupe pousse à franchir l'étape du placard en passant par l'étape du studio, là où les carrières commencent, un passage obligé quoi qu'on en dise... En effet, une étape fortement recommandée même si le marché grouille de bricoleurs en promotion permanente ou de musiciens qui se prétendent ingénieur du son sous prétexte qu'ils ont un ordinateur et un logiciel. «Nous ne sommes pas énormément sollicités par les groupes de musique parce que, tout d'abord, ils n'ont pas les moyens. De plus, les groupes ne veulent pas investir dans les studios, ils trouvent qu'ils ont toutes les techniques nécessaires pour enregistrer chez eux. Ils essaient d'avoir un produit qui ressemble à celui du studio mais c'est difficile, ne serait-ce que dans le regard extérieur qu'un ingénieur du son apporterait au travail, un recul, un sens critique», explique Mamoun Belgnaoui, ingénieur du son à Casablanca où le groupe Meoz a choisi d'enregistrer ses morceaux. «Tout le monde peut faire une démo chez lui mais encore faut-il disposer du matériel professionnel et d'une oreille musicale», continue l'ingénieur du son qui a la nostalgie des années 70 sans vraiment les connaître, mais où «les studios étaient des lieux sacrés où les meilleurs se réunissaient». C'est dans cet esprit en tout cas, que Meoz s'est donné rendez-vous pour trois jours de travail intensif. Des journées qui commencent à 10h du matin et qui se terminent lorsque tout le monde est satisfait du rendu, des musiciens d'abord pour enregistrer leurs pistes sous l'oreille attentive des deux ingénieurs du son. Des maniements de machines, des répétitions à gogo même si on connaît les titres par cœur. Tout un travail ficelé et compliqué, qui demande temps, patience et engagement pour faire du morceau une chanson qui marquera les esprits. «Un studio convenablement équipé avec un matériel de qualité et un espace sonore adéquat fait déjà la différence et le résultat se ressent dans le produit final. Qualité du lieu, du matériel et de l'ingénieur du son qui enregistre sans oublier le mixer qui va apporter un regard extérieur à la fois académique et artistique, plus le mastering qui est une étape essentielle, vont faire d'un morceau à l'état brut un produit sublimé», explique Mamoun Belgnaoui. «Il y a plusieurs techniques pour enregistrer, cela dépend du style de musique et de la formation. Un groupe de rock classique a besoin de deux jours pour une chanson. Il y a des formations plus importantes, donc la démarche est différente selon les groupes, ajoute Mehdi Okacha. Et d'expliquer que le mix peut prendre quelques heures comme plusieurs jours, même revenir sur le travail jusqu'à ce que le client soit satisfait. «Nous facturons 5.000 DH pour la journée, mais il nous arrive d'accorder des ristournes pour encourager les jeunes groupes», ajoute Okacha. Ce dernier, avec son ami et ses collègues, ont décidé de travailler ensemble en 2007 après des expériences en France et à Montréal dans des studios d'enregistrement. Quand Mehdi Okacha enregistrait des groupes de rap à Paris, Mamoun était plus dans le reggae à Montréal mais lorsque le premier décide de rentrer au pays avec un projet de studio à Casablanca, il pense tout de suite à son compatriote pour commencer une aventure musicale sous le signe de la la musique. «Au début, nous avons eu eu 3 années de flux tendu où nous travaillions matin, midi et soir avec beaucoup de communication», se rappelle Mamoun qui explique que la crise a poussé le marché à revoir à la baisse les budgets de communication. En effet, depuis plus de deux ans, la crise se ressent dans les studios puisque selon les deux ingénieurs, ce n'est pas la musique qui fait vivre un studio. «À part les groupes qui font des scènes et des soirées, les autres n'ont vraiment pas d'argent. Et comme il n'y a pas de producteurs au Maroc, l'autofinancement n'est pas possible faute de moyens et aucun producteur étranger ne veut donner une chance à un produit marocain. Le style de musique européen ne nourrit pas son âme ici. Le style oriental non plus mais pour une autre raison. Les chanteurs de châabi, par exemple, enregistrent leur album en une traite, en une journée avec un forfait de 3.000 DH», enchaîne Mehdi Okacha qui s'amuse avec les préjugés de son entourage, convaincu que ce dernier gagne sa vie plus que correctement alors que seule la passion le fait vivre. En effet, ce sont des métiers sous reconnus, en marge de la société que l'on doit constamment imposer comme gagne-pain. C'est le quotidien pas toujours rose de ces deux ingénieurs du son, mais qui retrouvent des couleurs après des rencontres avec des groupes de talent et motivés par la réussite. «On ne croit pas passer beaucoup de groupes, en moyenne une dizaine par an et pas tous avec des produits de qualité. Avec un groupe comme celui-ci, on se rappelle pourquoi on fait ce métier», continue Mamoun Belgnaoui, en pleine séance de travail avec Meoz, qui essaie de capter la magie du moment pour la sublimer, tel un slogan pour son métier de prédilection qui n'est pas sans soucis. «Notre problème c'est la concurrence qui casse les prix. Et si nous faisons pareil, le studio meurt». «Le problème c'est la fréquentation et la capacité à fidéliser les gens et ne jamais arrêter de tourner. Il faut que ça tourne 24h/24 pour que ça marche. Le seuil de fréquentation était de 20 heures par jour et il n'y avait pas énormément de frais. Depuis que le seuil de fréquentation a commencé à baisser, il est très difficile de rentrer dans ses frais, ne serait-ce que pour l'entretien du matériel», argumente Mehdi Okacha. «On a les mêmes compétences et les mêmes moyens qu'à l'étranger, c'est juste qu'on n'a pas la même volonté d'y arriver et surtout on est dans une optique de marchandage et de baisse des prix constamment». C'est ainsi que les métiers du son suffoquent comme les métiers de la culture, tout du moins pour ceux qui existent.