Une rencontre scientifique tenue samedi dernier dans le cadre des activités du festival Remp'Arts d'Azemmour a fait basculer «Estevanico, de l'ombre à la lumière». Les débats étaient animés par Aboulkacem Chebri et Chouaib Halifi, au complexe Abdellah Laroui. Il était une fois un esclave du XVIe siècle dont la mémoire demeure jusqu'à aujourd'hui pour avoir figuré la notion de liberté et de savoir. Estevanico est de retour chez lui après plus de 450 ans et a fait le voyage des Etats-Unis à Azemmour. Ce personnage, que le festival Remp'Arts a fait revivre en le positionnant comme sujet d'inspiration du travail réalisé par les artistes, est inconnu dans la mémoire collective et pourtant... Estevanico, dit Mustapha Zemmouri, est fait esclave à Azemmour par les Portugais; il est revendu sur le marché espagnol, avant d'entreprendre un long et fabuleux périple qui s'achèvera par son décès énigmatique vers 1539. Il aura exploré les côtes des USA en homme libre. Halifi a suivi ce périple qu'il a réparti en six phases depuis son asservissement à Azemmour: son achat par l'espagnol Andrès Dorantes, sa participation à deux expéditions aux Amériques à partir de 1527, sa survie avec trois personnes sur six cents de l'expédition de Panfilo Narvaès, sa captivité par les Amérindiens pendant deux ans, les services rendus au roi de Mexico Mendoza et la dernière expédition avec le suspect Marcos de Niza, qui sera témoin de la disparition d'Estevanico et la naissance d'un mystère qui n'a toujours pas été élucidé. Halifi remet en question à juste titre la version répandue du décès d'Estevanico, et avance au contraire que les Indiens l'auraient caché, adopté et auraient fait croire le contraire de sorte à intimider les conquistadors sauvages. «Estevanico était très intelligent, il avait un don pour l'apprentissage des langues indiennes et possédait le pouvoir de guérir les malades «à la marocaine», ce qui lui a valu non seulement le respect, mais aussi le rang des Dieux immortels. C'est pourquoi Estevanico ne refusait pas les offrandes, y compris les belles filles qu'on lui offrait pour gagner «sa bénédiction» », raconte Halifi avec humour et sérénité. Un argumentaire illustré par un documentaire télévisé de Ahmed Zaid, sorte de synthèse visuelle des exposés de Chebri et Halifi, où il a retracé en détail l'occupation portugaise des Doukkala avant de se pencher sur la vie d'Estevanico et son mystère. Le journaliste a bien documenté son travail et a inteviewé des spécialistes marocains et étrangers, des intellectuels arabes spécialistes de la littérature de voyage. Le documentaire n'a pas omis de soulever les énigmes entourant le personnage, comme les irrégularités qui ont entaché les récits et écrits sur sa vie depuis le récit fondateur de Cabeza de Vaca. «Ce travail peut être considéré comme un hommage à Estevanico, mais aussi aux civilisations indiennes vue sa critique argumentée des œuvres cinématographiques américaines qui ont «diabolisé» lesdites civilisations». Ce débat a levé le voile sur une évidence : les Marocains ignorent totalement l'histoire d'Estevanico. Comment un tel personnage est-il passé inaperçu dans l'histoire? Conscient de la nécessité de faire connaître Estevanico aux Marocains d'abord puis au reste du monde, les organisateurs et chercheurs ont pour objectif l'organisation de rencontres scientifiques, et pourquoi pas la création d'œuvres cinématographiques et dramaturgiques s'inspirant de l'esclave qui a fait la joie des artistes urbains du Remp'Art la semaine dernière. Estevanico n'est pas mort, il vit à travers les murs de son passé, les murs qu'il a probablement connus enfant... les murs d'Azemmour !