En marge du festival Remp'Art, une rencontre sous le thème : “Estevanico, de l'ombre à la lumière”, a eu lieu au complexe culturel Abdellah LAROUI. Prenant la parole, Aboulkacem CHEBRI a démontré dans son exposé : «Maroc-Portugal-Amériques : une histoire universelle partagée», le véritable rôle culturel et civilisationnel joué par le Maroc, entre le 16ème et le 19ème siècle et ce, entre l'Afrique du Nord et subsaharienne d'une part et l'Ibérie (Portugal / Espagne), le Brésil et les Etats Unis d'Amériques d'autre part. En retraçant la carte archéologique de l'occupation portugaise, ce spécialiste du patrimoine maroco- portugais a élucidé les conditions historiques qui ont prévalu lors de la pénétration portugaise au Maroc et les phases successives de la conquête des Amériques par les Européens. Ces derniers, continue-t-il, n'ont pas découvert l'Amérique en 1492 mais n'ont fiat que l' explorer et la ravager, car les Indiens y vivaient déjà et avaient sophistiqué des civilisations bien importantes que celles des Européens, plutôt bourrées de leur eurocentrisme. C'est cet eurocentrisme qui serait à l'origine des déformations qu'a connu l'histoire d'Estevanico (Estebanico), l'esclave Azemmouri qui, envoyé à la recherche de cités légendaires d'or, fut le premier africain et arabo-musulman à explorer les côtes des actuels USA, encore inconnus aux européens du 16ème siècle. Estevanico nous est connu principalement à travers le récit de son accompagnateur Cabeza de VACA et d'autres écrits, tous occidentaux, qu'il faudra passer au crible par la critique, selon l'auteur. Le chercheur a souligné la coïncidence entre les «découvertes» américaines et mexicaines d'Estevanico. La reconnaissance de l'Indépendance des USA par Sidi Mohamed Ben Abdallah et le transfert des mazaganais portugais du Doukkala au Brésil (en 1769-1770) où le Portugal leur avait préparé une nouvelle ville nommée, tout simplement, Villa Nova de Mazagão, dont les habitants célèbrent encore le passé maroco-doukkali de leurs ancêtres. Le chapeau dit mexicain (El sombrero) est selon Chebri, une autre influence marocaine du fait qu'il n'est que la «Taraza» marocaine, surtout celle des Jbala et du porteur d'eau (guerrab). Quant à Chouaib HALIFI, il nous a rappelés, l'extraordinaire histoire d'Estevaneco Mustapha Azemmouri qui, une fois fait prisonnier par les Portugais à Azemour, il fut revendu sur le marché espagnol. Suivra un long et fabuleux périple, qui s'achèvera par son décès énigmatique vers 1539, après avoir exploré les côtes des USA, en homme libre. HALIFI a magistralement suivi ce périple qu'il a étalé en six phases depuis l'asservissement à Azemmour, son achat par l'espagnol Andrès Dorantes, sa participation à deux expéditions aux Amériques à partir de 1527, sa survie avec trois personnes sur six cent de l'expédition de Panfilo Narvaès, la captivité par les Amérindiens pendant deux ans, les services près le Roi de Mexico Mendonza et la dernière expédition, avec le suspect Marcos de Niza, et qui verra la disparition d'Estevanico et la naissance du mythe qu'on n'est pas encore parvenu de nos jours à élucider. Halifi remet en question, à juste titre d'ailleurs, la version répandue du décès d'Estevanico. Il postule au contraire, que les Indiens l'auraient caché et adopté, tout en soutenant le contraire, afin d'intimider les conquistadors sauvages. Estevanico était très intelligent, avait un don pour l'apprentissage des langues indiennes et possédait des vertus pour guérir les malades «à la marocaine». Cette « baraka », lui a valu non seulement le respect, mais surtout de gagner le rang des Dieux immortels. C'est pourquoi Estevanico ne refusait pas les offrandes, y compris celles des belles filles qu'on lui offrait pour gagner «sa bénédiction», raconte Halifi avec humour et sérénité. Le documentaire télévisé d'Ahmed ZAÏD, quant à lui, était lors de cette rencontre, comme une sorte de synthèse visuelle des exposés de Chebri et Halifi. Il a retracé l'occupation portugaise des Doukkala avant de suivre la vie d'Estevanico et Sa vie parsemée de mystère. Le journaliste a bien documenté son travail en interviewant des spécialistes, aussi bien marocains qu'étrangers. Il a axé une longue partie de ses interviews sur des intellectuels arabes spécialistes de la littérature des voyages, dite littérature de la « Rihla ». Le documentaire n'a pas omis de soulever certaines énigmes comme les irrégularités qui ont entaché récits et écrits sur Estevanico, depuis le récit fondateur de Cabeza de Vaca. Ce travail peut être considéré comme un hommage à Estevanico, mais aussi aux civilisations indiennes. C'est aussi un désaveu, arguments à l'appui, des œuvres cinématographiques américaines ayant «diabolisé» ces dites civilisations. Le riche débat qui a suivi ces exposés, a été l'occasion pour l'auditoire de souligner à quel point les marocains méconnaissent cette histoire d'Estevanico. Il a exigé qu'un autre colloque, plus élargi, soit tenu, afin d'approfondir le sujet. Nécessité est de faire connaitre Estevanico aux Marocains dans un premier lieu et au reste du monde, par la suite. Et ce, à travers les rencontres scientifiques, les médias et les œuvres cinématographiques et dramaturgiques. L'on a bien mis l'accent sur quelques déformations préméditées de l'histoire d'Estevanico que les Marocains doivent se sentir comme les premiers concernés pour les redresser. Force est de dire que le sujet Estevanico doit être aujourd'hui exploité comme trait d'union entre les peuples, les cultures et les civilisations puisqu'il rassemble tous les ingrédients en mesure de réussir là où d'autres approches ont échoué ou peinent à relever le défi.