Qui n'a jamais été indigné par la vue de centaines de sacs plastiques vagabondant au gré du vent dans les centres villes ou les entrées des villages? Ce cauchemar écologique touche la quasi-totalité du territoire marocain, désert compris. Pourtant, des efforts législatifs ont bel et bien été fournis, à l'instar du projet de loi relatif à l'utilisation des sacs en plastique dégradables et biodégradables, qui a été voté par les deux Chambres en début d'année. Ce texte interdit la fabrication, la commercialisation ou la distribution même à titre gracieux des sachets et sacs plastiques non dégradables et non biodégradables. En théorie, cette loi devrait être appliquée sur le terrain. Il n'en est rien pourtant, les industriels continuent à accepter les commandes des clients désireux de poursuivre l'utilisation des sacs standards. Ces derniers mettent moins d'une seconde pour être fabriqués avec une durée moyenne d'utilisation de 20 minutes. En revanche, ils ne se disloquent qu'au bout de 400 ans. Autrement dit, les premiers sacs plastiques utilisés au Maroc, ainsi que ceux non dégradables qu'on jette aujourd'hui pollueront l'environnement de nos fils, de nos petits fils et de toutes les générations suivantes. Et ce n'est pas tout, l'être humain et les animaux domestiques sont aussi exposés aux nuisances de ce fléau, sans parler de la pollution visuelle qui, indéniablement, porte préjudice au tourisme local, surtout dans les régions qui mettent en avant leur milieu naturel comme argument de vente. Pourquoi cette loi n'est-elle donc toujours pas appliquée, malgré l'urgence de la situation ? Urgence, car le Maroc occupe la deuxième marche du podium mondial de la consommation des sacs plastiques, juste derrière les Etats-Unis. Contacté à ce sujet, Abdelouahed Lhoucine Elarbi, directeur commercial d'Unibag Maghreb, fabricant d'emballages plastiques, confirme ce constat, «Certes, la grande majorité des GMS utilisent exclusivement des sacs dégradables, mais il reste encore de grandes enseignes qui ne le font pas et l'application de la loi n'est pas encore généralisée». Et pour cause. Il existe une différence de coût de 1,5 DH par kilogramme entre les sacs dégradables et les sacs standard, ce qui se traduit par une augmentation de 10 à 15% du prix final. Cet écart est dû à l'ajout d'un adjuvant spécifié par la loi et qui permet la dégradation des emballages. Cet additif coûte aujourd'hui 134 DH/ le kg hors taxe, soit 100 DH de plus que l'additif utilisé avant «l'application» de la loi. Du côté de l'Association marocaine des producteurs de sachets et sacs en plastique (AMPSSP), les négociations avec le ministère de tutelle battent leur plein. Selon Bouchaïb Kasbane, président de l'association, «le dénouement de la situation n'est pas pour un futur proche. Les industriels ne sont pas certains de l'efficacité de cet adjuvant, c'est pourquoi ils réclament au ministère une étude d'impact sur l'environnement et des subventions pour acquérir des machines adaptées comme celle qui impriment l'identité du producteur, les produits utilisés et la date de production (une mesure rendue obligatoire par cette loi et qui permettra de retracer l'origine du sachet». L'historique de l'utilisation de ce produit semble parler en leur faveur, car d'après Bouchaïb Kasbane, même les Européens en sont au stade des essais, alors que les Américains l'ont déjà abandonné au profit des produits à base alimentaire qualifiés d'oxo-biodégradables. Il reste l'informel, car même si dans l'absolu cette loi est appliquée à la lettre et surtout à l'ensemble des acteurs du secteur, les société informelles (qui au passage représente 40 à 45 % de l'ensemble des sociétés du secteur) passeront à travers les mailles du filet et continueront à inonder le marché de produits douteux. Lourd, lourd le bilan ! Avec une consommation de 26 milliards de sacs plastiques par an, soit 2,5 sacs par habitant et par jour, le Maroc est tristement le vice-champion du monde de la consommation de ce produit après les Etats-Unis et leur 380 milliards de sachets par an et juste devant la France (17 milliards) et l'Algérie (6 milliards). Cependant, si on compare cette consommation à la superficie du territoire de chaque pays (par le biais d'un ratio trivial), il s'avère que le royaume est champion du monde de consommation de sacs en plastique toutes catégories confondues et le challenger est loin derrière. En effet, la population américaine consomme 14,5 fois plus de sacs plastiques que le Maroc, mais pour une superficie territoriale 22 fois plus grande. En d'autres termes si l'on se réfère à la densité des sacs plastiques par km2, le Maroc l'emporte haut la main. Qui plus est, le pays de l'oncle Sam présente la plus grande société de consommation du monde (ce qui justifie, mais n'excuse pas cette importante utilisation de sacs plastiques) ce qui est loin d'être le cas du royaume, qui de plus compte une importante part d'informel dans le secteur. L'urgence est donc bel et bien là et combattre ce fléau n'est pas seulement l'affaire des autorités publiques. «La loi 22.10 est plus une norme qu'une loi»: Mohamed Benkaddour, Président de la fédération nationale des associations de consommateurs (FNAC) Les Echos quotidien : Votre opinion sur la loi 22.10 qui interdit la production et l'utilisation des sacs et des sachets en plastique non dégradables ? Mohamed Benkaddour : C'est plus une norme qu'une loi, avec des défaillances considérables, comme la diminution de l'épaisseur du sachet à 35 microns. Ceci les rend plus légers et leur permet de se déplacer plus facilement et plus loin dans la nature sous l'action d'une petite brise. De plus, qui dit diminution de l'épaisseur dit diminution de la matière première. Au final, nous nous retrouverons avec beaucoup plus de sacs en plastique avec la même quantité de matière première. Et pour couronner le tout, cette loi n'est toujours pas applicable sur le terrain. Je trouve que la loi 28.07 sur la sécurité alimentaire est plus efficace, à condition de l'appliquer avec fermeté. Elle est très explicite dans la mesure où elle interdit tout produit qui porte atteinte à la santé du consommateur. Or, la dangerosité des sacs en plastique non biodégradables n'est plus à prouver. Justement, quels sont les dangers que présentent les sachets non dégradables ? Hormis l'évidence de la pollution visuelle, les sacs non-biodégradables présentent un danger chimique avéré pour la santé humaine, animale et environnementale. En se dégradant au bout de plusieurs siècles, leurs molécules sont drainées par les eaux pluviales jusqu'aux nappes phréatiques et la contaminent très rapidement. De plus, le fait d'absorber ce genre de produits fait augmenter le risque de stérilité. En tant que représentant des consommateurs marocains, quelles sont les actions que vous menez sur le terrain ? En attendant une application exhaustive de la loi, notre rôle se limite à la sensibilisation de la population et surtout des plus jeunes, et là aussi ce n'est pas simple. En 2010, un appel d'offres lancé par le ministère de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement concernant la sensibilisation et l'alternative aux sacs plastiques auquel nous avons répondu, n'a toujours pas eu de suite. Sans alternative, le consommateur n'a d'autre choix que d'utiliser ces sacs en plastique. «Aucun producteur local n'est apte à travailler à 100% le biodégradable»: Bouchaïb Kasbane, Président de l'Association marocaine des producteurs de sachets et sacs en plastique (AMPSSP). Les Echos quotidien : Si un client, en l'occurrence une grande surface, vous passe une grosse commande de sacs non-dégradables, est-ce que vous l'accepteriez, en dépit de la loi 22.10 qui l'interdit ? Bouchaïb Kasbane : Oui, je l'accepterai, pour la simple et unique raison que l'arrêté de validation d'application n'est toujours pas à l'ordre du jour. Nous sommes en pleine négociation avec le ministère et je vous avoue que ça bloque au niveau du dosage de l'adjuvant qui rend le plastique dégradable. Les producteurs de sacs en plastique veulent bien endosser la responsabilité de ce dosage, mais il n'est pas question d'endosser celle de l'efficacité de cet adjuvant rendu obligatoire par cette loi et que nous ne fabriquons pas. L'action réelle de ce produit n'est toujours pas démontrée. Ce que l'on réclame, c'est tout simplement une étude d'impact sur l'environnement, avant de prendre des décisions, car cela ne fait qu'un an que les GMS utilisent des sacs en plastique dégradables, c'est-à-dire avec cet adjuvant. Vous avez donc des doutes quant à la fiabilité de ce produit et donc sur cette loi ? Sur la loi non, mais sur le produit, oui. Ce qu'il faut savoir, c'est que les sachets dégradables sont ceux qui utilisent cet additif, qui est censé dégrader le sachet dans une durée maximale de 24 mois. Or dégrader, c'est juste séparer les molécules qui ne disparaissent pas complètements et sont absorbées par les sols ou les animaux. La vraie solution, c'est le biodégradable et non pas le dégradable. Les sacs biodégradables sont fabriqués à base de produits alimentaires, comme la pomme de terre, ce qui les rend à 100 % décomposables. Et pour passer à ce processus de production, il faut changer tout le parc machines, sans parler de la formation du personnel. Tout ceci représente un coût énorme. Le problème est donc aussi d'ordre financier. À ma connaissance, à l'heure actuelle, aucun producteur local de sacs plastiques n'est apte à travailler à 100 % le biodégradable.