Khadija Alami Productrice Jeudi soir, elle a reçu un prix pour l'ensemble de sa carrière. Femme de l'ombre, c'est grâce à elle, entre autres, qu'un film voit le jour. Le festival international du film de Marrakech rend hommage à Khadija Alami, une femme déterminée, pleine de vitalité et de ressources qui peut déplacer des montagnes grâce au pouvoir de la passion... Les ECO : Marrakech célèbre, lors du FIFM, le travail d'une femme marocaine dans le cinéma, mais surtout la production, un métier qui n'est pas souvent valorisé. Comment avez-vous reçu la nouvelle ? Khadija Alami : Aucun festival ne célèbre les producteurs ! On démarre cette carrière en tant que professionnel et non en tant que genre, je n'aime pas les étiquettes. Être une femme productrice marocaine est un challenge comme partout ailleurs. Je suis honorée et fière. D'ailleurs, je ne suis pas habituée aux interviews, aux flashs et aux photos, ce n'est pas pour cela que je fais ce métier. On le fait parce qu'on aime les défis et on laisse tout cela aux réalisateurs et aux acteurs. Recevoir ce prix dans mon pays, c'est d'autant plus touchant surtout qu'il vient après le prix de Salé, cinéma de femmes. Recevoir deux prix dans la même année, c'est génial. On ne peut que savourer le moment. Cela donne un sens à tous les sacrifices que l'on fait... Pourquoi ce métier de l'ombre est difficile ? Je n'ai pas fait d'autres métiers. J'ai été dans un cabinet d'audit pendant 6 ans à un moment de ma vie. C'est ce qui est prévu quand on fait des études d'économie, on se destine à cela et non au cinéma. Quand on décide d'avoir une vie de famille, ce n'est pas évident de concilier les deux comme pour toutes les femmes du monde qui travaillent. En plus nous, on a cette obligation d'être présent sur les lieux de tournage qui ne sont jamais à côté de chez nous. Je suis hors de chez moi depuis septembre dernier. J'étais à El Jadida, Ouarzazate, à Marrakech et je suis encore à Ouarzazate jusqu'en mars. J'ai donc trouvé un compromis avec ma petite famille. Je pense que pour les enfants, avoir des parents épanouis est mieux que d'avoir des parents frustrés à la maison. Comment êtes-vous passé de l'audit au cinéma ? Le parcours a commencé à la sortie de la fac, d'abord dans le cinéma. À 22 ans, on est plein d'idéaux et on se retrouve dans un milieu un peu cruel. Dans le cinéma et la production, il n'y a pas l'humain, ce sont de grosses machines qui roulent et il faut suivre. Je me suis arrêtée pendant 6 ans et je me suis tournée vers l'audit. Quand je suis revenue à la production, c'était plus réfléchi. J'avais mûri. J'ai repris avec plus de connaissance, je pouvais être maquilleuse, coiffeuse, ce à quoi on se destine quand on est une femme, mais cela me plaisait d'être là, de gérer tout le monde. À la fin de la journée, quand on se rend compte qu'on a déplacé des montagnes et fait des choses que l'on ne fait pas tous les jours, c'est d'autant plus valorisant. Quelles sont les qualités que doit avoir un producteur ? Je ne pense pas avoir la science infuse pour répondre à cette question, mais je pense qu'il faut avoir beaucoup de patience, énormément de psychologie, un grand sang froid parce qu'on traite beaucoup d'urgences. Vous voyez des projets défiler tous les jours, qu'est-ce qui va faire qu'un film ou un projet va vous pousser à le défendre ? Il y a deux choses : l'histoire et la personne qui vous la présente. Quand on lit une histoire, ou vous accrochez ou vous n'accrochez pas et quand je rencontre une réalisatrice comme Talal Hadid, qui est tellement déterminée qu'elle vous embarque là-dedans sans que vous ne vous en rendiez vraiment compte. Que vous reste-t-il à accomplir? Cela fait 30 ans que je suis dans le métier. J'ai commencé au bas de l'échelle. J'ai tout construit mais arriver à un hommage là où je suis, c'est extraordinaire. C'est la récompense d'énormément de rigueur et de travail puisqu'il faut beaucoup de rigueur pour réussir. J'ai un film en projection au festival de Talal Hadid, qui est une femme extraordinaire avec qui j'aimerai travailler encore et encore. J'ai un film d'un jeune réalisateur qui s'appelle Ayoub Layoussoufi auquel je crois beaucoup. J'ai pour projet de monter des studios à Ouarzazate sur le modèle américain. J'ai acheté un terrain de 17 ha et j'aimerai créer de l'emploi sur place. Au Maroc, la production est pauvre. Pourquoi ? À une époque où il y avait très peu de films, les réalisateurs qui ont démarré dans le domaine, il fallait qu'ils se débrouillent par leurs propres moyens. Ils étaient réalisateurs et producteurs. Aujourd'hui, il faut que nous créions une relation de confiance entre les réalisateurs et les producteurs. C'est quand même des années que l'on passe ensemble entre le moment de l'écriture, la recherche du financement et le tournage. C'est un bébé que l'on doit mettre dans les bras de quelqu'un d'autre et ce n'est pas évident. Petit à petit, cela va se faire. Il faut du temps.