Alors qu'une réunion de la commission chargée du suivi de l'Accord d'association Maroc-UE s'est tenue, lundi dernier, à Rabat, en catimini, le bilan des échanges dans le cadre des ALE reste, sans surprise, nettement négatif. Ni les appels de la CGEM, ni les tentatives des opérateurs n'ont pour l'instant pu changer la tendance. L'électronique et l'ameublement enregistrent tout de même un bond notable, alors que l'usine de Renault a permis de doubler les exportations dans le cadre des accords d'Agadir. Devant la Turquie par contre, on ne fait pas le poids. Libre oui, à sens unique non ! L'expression revient tellement dans la bouche des professionnels qu'elle est devenue aussi courante qu'une maxime. Il s'agit évidemment des accords de libre-échange (ALE) entre le Maroc et ses principaux partenaires. La réunion de lundi, qui s'est tenue, à huis-clos, n'a laissé rien filtré de son contenu. De coutume dans les réunions Maroc-UE, c'est plutôt un signal positif sur la concrétisation d'avancées notables dans les pourparlers, mais pour l'instant, tous les intervenants ont la tête dans le guidon et prendront certainement quelque temps avant de se pencher sur les contours du futur accord. En attendant, le bilan des ALE est bien entendu négatif. Pour l'UE, les Etats-Unis, la Turquie et quelques pays arabes. Dans tous ces accords, sans exception, le Maroc est, sans surprise, essentiellement client. Pour l'ALE le plus actif, celui avec l'UE, le taux de couverture des importations par les exportations dépasse à peine les 50%. Pire, en 2012, et malgré les cris d'alarme des professionnels et de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), la tendance a continué à s'aggraver. Les statistiques annuelles de l'Office des changes sont sans équivoque : les importations depuis l'UE ont augmenté de 7,5% en un an alors que les exportations ne se sont appréciées que d'un petit 2% sur la même période, entre 2011 et 2012. Si effectivement l'ALE avec l'UE est prépondérant en termes de volume, le constat est le même pour tous les autres (voir graphiques). «Concernant les échanges commerciaux effectués dans le cadre des accords de libre-échange, ils restent prédominés par les importations, lesquelles ont enregistré des progressions appréciables, notamment avec l'Union européenne et l'Association européenne de libre-échange», constatent, sceptiques, les experts de l'Office des changes. Il faut dire que le scepticisme est de mise lorsqu'on se rend compte, encore une fois, que rien ne fait fléchir la tendance, surtout que rien de concret n'a été entrepris, comme diront certains. Par secteurs, seuls les minerais et le textile affichent des balances commerciales positives, légèrement, les autres s'enfonçant dans le déficit. Même la part des dérivés de phosphates a régressé vers le marché européen, sans pour autant que les expéditions totales ne baissent. En effet, la part de l'UE dans les exportations de phosphates ne cesse de reculer, passant de 30,4% en 2010 à 20,2% en 2012. Même constat sur les expéditions d'engrais naturels et chimiques pour lesquels la proportion de l'UE a également fortement fléchi, régressant de 19,6% en 2010 à 11,2% en 2012. Toutefois, cette tendance baissière dans le mix d'exportation est principalement due au développement de nouveaux débouchés hors de l'Union, même si les volumes ont aussi légèrement reculé. Aux côtés des secteurs chroniquement déficitaires, d'autres sont même sous la menace d'une concurrence étrangère féroce, qu'ils considèrent comme déloyale. Sidérurgie, PVC, biscuiterie et papier, notamment, ont tous pâti ces dernières années de la libre entrée des produits européens et turcs. Plusieurs opérateurs de taille ont même demandé l'activation de mesures de sauvegarde. La CGEM n'a d'ailleurs cessé de monter au créneau pour marteler combien il est vital de renégocier certains aspects des ALE pour déboucher sur des amendements susceptibles de rééquilibrer les échanges commerciaux, mais jusque-là, la complexité de la question ne donne que peu d'espoir à cette éventualité. Il faut toutefois admettre que le gouvernement commence à regarder d'un œil plus favorable l'activation des clauses de sauvegarde pour les secteurs les plus touchés, comme le permettent d'ailleurs les accords de l'OMC. L'électronique tire son épingle du jeu Heureusement, certaines activités tirent leur épingle du jeu et permettent au Maroc d'améliorer sensiblement ses indicateurs commerciaux sur quelques secteurs. C'est notamment le cas de l'électrique et de l'électronique, dont l'exportation de plusieurs composants a connu un bond notable entre 2011 et 2012. C'est plus précisément le cas du poste «diodes, transistors thyristors, et dispositifs photosensibles», dont les expéditions vers les Etats-Unis ont bondi de 50% d'une année à l'autre, avec une composante liée à l'industrie solaire photovoltaïque. Même tendance pour le poste «appareils pour la coupure ou la connexion des circuits électriques», dont les exportations en valeur, vers l'UE cette fois-ci, se sont appréciées de 21,3% sur la même période. Autre évolution remarquable, celle relative aux articles d'ameublement. En effet, les exportations marocaines de «sièges, meubles, matelas et articles d'éclairage» vers l'Europe ont littéralement explosé entre 2011 et 2012, affichant une progression phénoménale de 81,7%. Accords d'Agadir, une aubaine pour Renault L'accord d'Agadir reste un petit poucet, mais recèle un potentiel considérable. Egalement appelés accord Quadra, il concerne une zone de libre-échange qui regroupe aux côtés du Maroc, la Tunisie, l'Egypte et la Jordanie. Tout comme les autres ALE, le Maroc est lourdement désavantagé dans les échanges, avec seulement 500 MDH d'exportations en 2010, contre 3 MDH d'importations. Depuis, la donne a doucement commencé à changer, profitant des effets d'entraînement de la nouvelle usine de Renault à Tanger. En effet, les exportations de voitures de tourisme, principalement vers l'Egypte, ont permis au Maroc de doubler ses exportations deux années plus tard dans le cadre de cet accord (1 MMDH exporté en 2012), allant même jusqu'à agacer épisodiquement les Egyptiens. Malgré cette amélioration significative, les échanges dans le cadre des accords d'Agadir restent largement déficitaires au profit de nos partenaires arabes, avec un taux de couverture atteignant à peine le tiers. Maroc-Turquie, on ne fait pas le poids ! C'est l'un des accords de libre-échange les plus décriés par les opérateurs marocains, et pour cause le royaume est loin, très loin de faire le poids devant le pays d'Attatürk. Les chiffres sont là pour en témoigner. En effet, 6 ans après l'entrée en vigueur de l'ALE, les importations du royaume à partir de la Turquie ont quasiment doublé, culminant à 9,8 MMDH en 2012. Tandis que les expéditions du Maroc vers ce pays évoluent à petits pas, atteignant les 2,8 MMDH l'année dernière. Résultat des courses : un déficit commercial avec Ankara qui frôle les 7 MMDH. Et encore, le géant turque ne compte pas s'arrêter là et affiche de grandes ambitions dans ses relations commerciales avec le Maroc. Istanbul table en effet sur des échanges de l'ordre de 3 MMDH (environ 27 MMDH) à l'horizon 2014. Des ambitions qui donnent des sueurs froides aux opérateurs marocains, en particulier aux industriels car selon les termes de l'ALE, l'on passera à une libéralisation totale pour l'industrie à l'horizon 2015. Un passage à la vitesse supérieure qui met en danger plusieurs filières marocaines, notamment le textile et l'agriculture. Sur ce registre, une source proche du ministère de l'Agriculture et de pêche maritime affiche ses appréhensions en ces termes : «de tous les ALE signés par le royaume, celui avec la Turquie est le plus menaçant pour l'industrie agro-alimentaire». C'est d'ailleurs ce qui explique, entre autres, le froid avec lequel les opérateurs économiques nationaux ont accueilli leurs homologues turcs lors de la dernière visite du premier ministre Tayyip Erdogan. Les opérateurs nationaux dénoncent en effet plusieurs dysfonctionnements qui entachent le partenariat avec la Turquie : subventions aux industriels turcs, batterie de mesures protectionnistes sur le marché local, déséquilibre des pouvoirs de négociations et omniprésence d'entreprises commerciales publiques. Autant de barrières qui faussent le jeu du «libre échange».