«Concurrents», «conquérants», «partenaires» ou encore «exemple à suivre», les expressions se multiplient pour qualifier les échanges et activités économiques entre le Maroc et la Turquie. Si le modèle économique turc séduit au Maroc, il n'en demeure pas moins que les professionnels de différents secteurs fustigent une concurrence turque très, voire trop agressive. Déterminés à intégrer le marché national, les acteurs économiques turcs ne lésinent pas sur les moyens pour faire la promotion de leurs compétences et de leur savoir-faire. Pour «percer» sur ce nouveau marché, ces derniers multiplient en effet les visites et rencontres «B to B». Cette semaine sera d'ailleurs chargée en évènements regroupant professionnels marocains et turques des différents secteurs pour discuter des pistes d'investissements et de collaborations. Qu'est ce qui explique véritablement ce regain d'intérêt turc pour le Maroc ? Nul besoin de rappeler le contexte de crise que traverse actuellement le premier partenaire économique de la Turquie comme du Maroc, à savoir l'Union-européenne. Dans ce cadre, la recherche de relais de croissance devient indispensable pour les opérateurs turcs qui orientent leur télescope vers un marché marocain, aux portes de l'Afrique, évoquant de nombreux atouts qui confirment sa stabilité politique et la résilience de son modèle économique. Interrogé, un opérateur turc explique la démarche suivie, «Nous sommes à la recherche de partenariats et de cadres de coopération avec nos homologues marocains. Ce qu'il faut savoir, c'est que notre désir n'est pas du tout de vendre nos produits finis mais de faire du Maroc une plateforme d'échange». De quoi rassurer certains opérateurs nationaux qui se sentent agressés par une concurrence turque pour le moins «féroce». Dissiper les inquiétudes Au moment où certains secteurs comme le BTP ou encore l'agroalimentaire en appellent à la préférence nationale, les turcs tentent de rassurer sur leurs intentions d'expansion sur le marché marocain. «Les sociétés turques ont encore du mal à accéder au marché marocain», explique-t-on dans le milieu des affaires turc. Et pour cause, les droits de douane restent très élevés pour les produits agroalimentaires par exemple. Ces derniers ne seront en effet abolis, selon les clauses de l'accord de libre-échange, qu'en 2015. Ceci, sans oublier les barrières non tarifaires et les coûts du transport qui représentent aussi des freins à l'entrée des entreprises turques sur le marché. Malgré ce cadre difficile, la présence des entreprises turque n'est pour autant pas altérée puisque ces dernières ont, ces dernières années, pris part à de nombreux chantiers d'envergure, le dernier en date étant le projet de tramway de Casablanca. Ils ne sont pas non plus prêtes de s'arrêter là, ce qui promet un durcissement de la bataille sur les marchés avec des stratégies commerciales plus agressives. En d'autres termes, les Marocains devront également revoir leurs stratégies dans ce sens et ne pas compter d'emblée sur d'éventuels partenariats avec les Turcs. Une collaboration difficilement réalisable Au delà de la réticence des professionnels de certains secteurs comme l'agroalimentaire ou encore le BTP, les officiels des deux pays tracent déjà un cadre de collaboration dit «triangulaire». Lors d'une récente visite intervenue en mai 2012, le vice-premier ministre Turc Ali Babacan, avait souligné le «besoin d'élargir la coopération entre les deux pays pour s'inscrire dans une logique qui favorise la création de joint-ventures et la mise en place d'organismes publics-privés pour conquérir le marché africain ensemble». Le seul bémol de cette stratégie de collaboration avancée demeure la faisabilité de cette démarche. En effet, si la Turquie a d'ores et déjà avancé ses pions, il semble que cette dernière n'ait à aucun moment exprimé son intention de collaborer avec le Maroc pour aborder le marché africain. En témoignent les négociations en cours avec les pays de l'UEMOA et dans lesquelles la Turquie a fait le choix de faire cavalier seul pour discuter de ses intentions d'investissements et de collaboration avec les pays de l'Afrique de l'Ouest. Ceci confirme que dans les affaires, les intérêts priment toujours sur les discours. «Le Maroc est une nouvelle cible pour les entreprises turques» Hilal Agacikoglu, 1er conseiller commercial de l'ambassade de Turquie au Maroc Les ECO : L'intérêt croissant des entreprises turques est de plus en plus notable pour le marché marocain. Qu'est ce qui justifie cette nouvelle dynamique ? Hilal Agacikoglu : Il faut savoir que plusieurs accords économiques ont été signés entre les deux pays depuis 2006. De plus, comme vous l'avez relevé, le marché marocain est une nouvelle cible pour les entreprises turques qui désirent y investir. La position géographique du pays, sa stabilité politique et socio-économique sont autant d'atouts qui alimentent son attractivité. Sur le volet géographique, il va sans dire que le Maroc est indéniablement aujourd'hui une porte vers l'Afrique. Le modèle économique turc est aujourd'hui cité en exemple. Qu'est ce qui fait concrètement sa force ? En effet, la Turquie a enregistré en 2011 une croissance continue qui fait d'elle actuellement la 16e plus grande économie du monde. Si vous me demandez quel est le secret de cette réussite, je vous dirais que le pays a su se préserver des effets de la crise. Le pays enregistre aujourd'hui près de 150 milliards de dollars à l'export et 140 milliards de dollars à l'importation. Quels sont aujourd'hui les secteurs de prédilection de l'économie turque ? Dans les secteurs les plus développés du pays, il faut compter la construction, les produits chimiques, la plasturgie, l'automobile, les pièces détachées, le mobilier et le textile. Dans tous ces domaines, la Turquie a toutes les capacités pour être concurrentielle sur les différents marchés dans lesquels ses entrepreneurs investissent. Dans le BTP plus particulièrement, les sociétés turques ont une bonne présence dans le monde. Ceci leur permet aujourd'hui de se classer au 2e rang mondial, grâce à leur savoir-faire, leurs ressources qualifiées et leur capacité à innover. Des échanges à multiplier La dynamique naissante des échanges commerciaux entre le Maroc et la Turquie peine encore à démarrer. C'est en somme le constat que la partie turque fait aujourd'hui, notant que les échanges entre les deux pays ne sont toujours pas à la hauteur des attentes. Le volume commercial entre les deux pays atteint aujourd'hui 1,5 milliards de dollars, ce qui reste, selon les responsables turcs, très faible. Sur le marché marocain, environ 142 sociétés turques y sont implantées et le niveau d'investissement se chiffre actuellement à 250 millions de dollars. En termes d'exportations et d'importations turques vers et depuis le Maroc, ces dernières ont connu une légère amélioration entre 2011 et 2012. Dans le détail, le niveau des exportations est passé de 841 millions de dollars en 2011 à 934 millions de dollars en 2012. Sur le volet importation, la Turquie a importé 395 millions de dollars de marchandises marocaines en 2012 contre 396 millions de dollars enregistrés pour l'année 2011. Ces statistiques confirment donc le déséquilibre relevé par les professionnels marocains des différents secteurs.