Dans le cadre du processus d'intégration régionale euro-méditerranéen, le Maroc et la Turquie ont signé à Ankara, le 7 avril 2004, un accord de libre-échange. Celui-ci prévoit l'instauration graduelle d'une zone de libre-échange industrielle sur une période de dix ans à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord avec un traitement asymétrique en faveur du royaume. Effectivement, ledit accord est opérationnel depuis 2006. A partir de là, les produits industriels d'origine marocaine bénéficient d'une exonération presque totale des droits de douane. S'agissant des produits agricoles, il a été procédé à un échange consensuel des concessions. En fait, le cadre institutionnel de la politique commerciale de la Turquie présente des structures identiques à celui du Maroc. Etant donné que les deux pays sont membres de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), leurs politiques commerciales respectives convergent, sur le plan réglementaire, vers les standards imposés par cette instance, tout en conservant des spécificités afférentes, entre autres, aux politiques de développement sectorielles et régionales. Les particularités des politiques commerciales des deux pays sont conditionnées par les accords commerciaux qu'ils ont conclus. Ainsi, si l'accord de libre-échange conclu avec l'Union européenne (UE) a participé à la révision de la réglementation en matière de politique commerciale marocaine, l'accord d'union douanière avec la communauté est devenu le quotient nodal de la politique commerciale extérieure de la Turquie. Néanmoins, compte tenu de l'asymétrie caractérisant le degré d'intégration des deux pays à cette dynamique commerciale, libre-échange pour le Maroc et union douanière pour la Turquie, leurs politiques commerciales respectives présentent certaines dissimilitudes à même d'influencer le processus de construction d'une zone de libre-échange. En effet, du point de vue du droit des douanes, l'adhésion à une union douanière avec l'UE a conduit la Turquie à harmoniser les paramètres de sa protection tarifaire avec le droit communautaire européen alors que l'accord de libre-échange ne contraint pas le Maroc à accomplir cet ajustement. Ainsi, le droit commun marocain se situe à un niveau relativement supérieur à celui de la Turquie. Eu égard à ce différentiel, la dynamique d'ajustement réglementaire risque d'être relativement plus exigeante pour le Maroc que pour la Turquie. Par ailleurs, en vertu de l'accord d'union douanière avec l'UE, la Turquie est obligée de démanteler son arsenal douanier vis-à-vis du Maroc. Cette démarche devra être accomplie au terme du processus de construction d'une zone de libre-échange entre le Maroc et l'UE alors que l'accord de libre-échange liant le Maroc à l'Union n'impose pas ce démantèlement et permet au Maroc d'appliquer un droit douanier distinct aux pays tiers. Dans ces circonstances, les répercussions du démantèlement tarifaire que génère une zone de libre-échange entre le Maroc et la Turquie sont inversées dans la mesure où cette « détarification » est plus profitable pour les produits finis marocains qu'elle l'est pour ceux turcs, et inversement pour les matières premières turques. En matière d'exonération et de suspension des droits de douane, les systèmes d'incitation des deux pays présentent des analogies en ce qui concerne les régimes économiques et les exonérations au titre d'incitation à l'investissement. Par ailleurs, comme cité plus haut, les deux pays sont membres de l'OMC et se sont engagés, à ce titre, à mettre en œuvre les accords de cette organisation dans les domaines touchant, entre autres, à la politique d'importation. La Turquie semble être plus équipée en matière de système de défense commerciale et, notamment, pour ce qui relève des mesures antidumping. Sur un autre registre, les deux pays sont engagés dans des accords bilatéraux et plurilatéraux de libre-échange. Ces engagements offrent, par extension, aux deux partenaires des opportunités qui semblent mutuellement profitables. C'est le cas notamment des accords commerciaux signés par le Maroc avec les Etats-Unis et certains pays arabes et par la Turquie avec quelques pays de l'Europe de l'Est. En matière de réglementation, les exportations turques semblent mieux loties en termes de subventions et d'incitations que celles marocaines. C'est la raison pour laquelle les autorités marocaines ne cessent de déployer des efforts pour combler cette lacune. Ce constat concerne des secteurs particuliers compte tenu des incitations spécifiques accordées par la Turquie. C'est le cas notamment du secteur agricole et de certains secteurs des services. En effet, le secteur agricole turc bénéficie de nombreuses et coûteuses subventions octroyées par l'Etat qui dépasseraient largement les moyens disponibles au Maroc, même si cet écart tend à s'amoindrir avec le lancement, depuis quelques années, d'un projet structurant pour le champ agricole au Maroc, en l'occurrence le « Plan Maroc vert » visant la mise à niveau de ce secteur stratégique. En attendant, un processus approprié de libre-échange dans ce secteur conduirait donc à recueillir un avantage réciproque pour les produits agricoles des deux pays signataires. Il est certain que la mise en place d'une zone de libre-échange entre le Maroc et la Turquie aura des impacts positifs sur les flux des échanges et donc sur les économies des deux pays. Certains de ces avantages sont standards et peuvent être prédits par la théorie économique et perçus par les opérateurs. D'autres le sont par contre beaucoup moins et sont difficilement chiffrables. Mais, en tout état de cause, la concrétisation progressive d'un accord de libre-échange entre le Maroc et la Turquie demeure au bénéfice des deux peuples, turc et marocain, et ce, à plusieurs niveaux. Principalement, ce partenariat économique est en mesure d'ouvrir la voie à des rapprochements dans d'autres secteurs d'activité surtout que les partis politiques au pouvoir dans les deux pays participent d'une même idéologie islamique. D'où la facilitation des canaux de discussion. * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI compte à son actif plusieurs supports électroniques dont, www.arsom.org, www.saharadumaroc.net, www.polisario.eu et www.ibn-khaldoun.com.