Le Fonds monétaire international (FMI) commence à s'impatienter. Après la publication d'un rapport accablant sur la situation économique du royaume, l'institution de Bretton Woods vient d'envoyer ses «cowboys » pour faire le point sur l'état d'avancement des réformes. Les experts du Fonds, qui ont débarqué dans le royaume le 29 mai et y resteront jusqu'au 12 juin, auront largement le temps de passer à la loupe tous les indicateurs économiques du royaume. Dans la ligne de mire, quatre chantiers sont jugés prioritaires : la compensation, la retraire et la fiscalité. Le tandem Nizar Baraka et Driss Azami El Idrissi, en charge des finances du royaume et interlocuteurs directs des experts du FMI, ont intérêt à fournir des réponses convaincantes, chiffres et planning de réalisation à l'appui. «Il est tout à fait normal que le Fonds monétaire soit de plus en plus regardant quant à l'évolution des réformes. La ligne de précaution de 6,2 milliards de dollars a été accordée au royaume, l'année dernière, en contrepartie d'une panoplie de conditions qu'il faut respecter», explique l'économiste Najib Akesbi. À la lumière des indicateurs économiques du royaume, les décideurs marocains passeront des heures difficiles en compagnie des auditeurs du FMI. À fin avril, le déficit budgétaire s'est creusé à 21,3 MMDH, soit près de la moitié de la prévision (43,5 milliards) retenue par la loi de finances 2013. Du coup, l'objectif de réduire le déficit à 3% du PIB en 2016 semble une chimère. Parallèlement, l'Etat continue de vivre au-dessus de ses moyens, malgré le repli des recettes ordinaires. Ainsi, au moment où les charges des biens et services se sont alourdies de 46,1% et celles du personnel de 4,7%, les recettes elles, ont reculé de 3,7% sur les quatre premiers mois de 2013. Ces mauvaises performances donnent le tournis à l'équipe de Abdelillah Benkirane et laissent planer le doute sur ses capacités à mener à bien les «grandes» réformes promises. Compensation, la réforme «dans quelques jours» ! «La réforme de la Caisse de compensation est fin prête. On attend la décision politique pour passer à l'acte», nous dit-on auprès du ministère des Affaires générales et de la gouvernance. À l'issue du conseil du gouvernement du 23 mai, le ministre de la Communication, Mustapha Khalfi, s'est fait très optimiste : «Les grands axes de la réforme de la Caisse de compensation seront présentés dans les jours qui viennent». Depuis lors, on attend toujours... Disons d'emblée que c'est sur ce front que le Maroc subit le plus de pression. Lors des assises de la fiscalité tenues récemment à Skhirat, la patronne du FMI , Christine Lagarde, a tenu à adresser un message aux participants. L'ex-ministre française de l'Economie n'y est pas allée de main morte : «Le Maroc s'est engagé dans une politique de soutien des prix à travers des subventions indirectes accordées à la population. C'est une politique qui grève les finances de l'Etat», a-t-elle constaté. Après cette critique à peine déguisée du système de la compensation, Lagarde a endossé son rôle de chef du FMI en «incitant» le gouvernement a prendre les mesures qui s'imposent : «Nous recommandons des réformes intelligentes de ce système, qui permettront, d'un côté, une bonne tenue des finances publiques et, de l'autre, l'affectation de la manne fiscale vers des secteurs sociaux comme l'éducation ou la santé», a préconisé Christine Lagarde. Son intervention, qui a laissé la salle perplexe, a donné à coup sûr un coup de fouet aux décideurs marocains pour accélérer la cadence. D'après nos informations, la copie de la réforme de la compensation est finalisée. Les deux commissions qui chapeautent ce dossier (l'équipe chargée d'évaluer les retombées de la libéralisation des prix, et celle qui travaille avec la Banque mondiale sur le volet «Ciblage des subventions») auraient rendu leurs copies. Deux principes de base sont acquis : d'une part, l'aide monétaire directe à octroyer aux ménages nécessiteux sera conditionnée par la scolarisation des enfants et par leur suivi médical. D'autre part, le système d'indexation des prix des produits pétroliers, mis en place en 1995, refait surface sous l'égide de la «réactivation du système de protection contre les variations des prix». Pour le passage à l'acte, il faudra attendre «la décision politique » ! Retraite. Aucun calendrier précis Dans son rapport du 5 avril dernier, le Fonds monétaire a remis une couche quant à la lenteur de la réforme des caisses de retraites, dont on parle depuis 10 ans : «Une commission technique a bien été mise en place, impliquant les représentants du gouvernement et des différentes caisses de retraite. Des pistes de réforme ont été identifiées, sans jamais qu'aucun scénario ne soit adopté», concluent les experts du FMI. Pourtant, l'heure est grave : selon les projections actuarielles, le déficit des retraites ira crescendo sur le moyen terme, si rien n'est fait : de 3% du PIB en 2011, les dépenses au titre des caisses de retraite déficitaires pèseront pour 10% à l'horizon 2050. En attendant, le gouvernement continue de tergiverser. Après sa validation par la Commission nationale, le projet de réforme des régimes de retraite est revenu à la case départ au sein de la commission technique. Cette dernière a été appelée à revoir sa copie et affiner les différentes modalités de la réforme. Sur les trois scénarios de départ concoctés, c'est le schéma d'un système de retraite à deux pôles (un pour le privé et l'autre pour le public) qui semble faire l'unanimité. Dans le détail, le pôle privé sera constitué d'un régime de base unifié (RBU) géré par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et d'un système complémentaire qui restera à la Caisse interprofessionnelle marocaine de la retraite (CIMR). Grande nouveauté de la réforme promise, la retraite complémentaire sera obligatoire. Le RBU donnerait lieu à des cotisations sur la partie du salaire commençant à partir du 1er dirham et plafonnée à deux fois le Smig. Les cotisations du régime complémentaire, elles, devraient être calculées à partir du 1er dirham sur le salaire plafonné à dix fois le Smig. Quant au pôle public, qui comprendra à son tour un régime de base et un autre complémentaire, il regroupera les adhérents de la Caisse marocaine de retraite (CMR) et du Régime collectif d'allocations de retraite (RCAR). Toutefois, avant de mettre en œuvre cette nouvelle structuration, les membres de la Commission nationale recommandent une réforme paramétrique du régime de la CNSS, ainsi que l'assainissement de la CMR. Selon des sources syndicales, le sauvetage de cette dernière caisse est le point d'entrée de toute réforme. Fiscalité. Y-a-urgence ! C'est aussi l'une des sommations du Fonds monétaire international : la réduction des dépenses fiscales, qui serait bénéfique pour la croissance du PIB par habitant à long terme. Alors que les finances publiques traversent une très mauvaise passe, l'Etat laisse en effet «filer» une manne non négligeable qui pourrait apporter une bouffée d'oxygène à ses comptes. Appelées communément les «dépenses de l'Etat», les exonérations fiscales accordées à certains secteurs d'activité représentent, in fine, un manque à gagner assez conséquent : pas moins de 36 MMDH en 2012. Un montant mirobolant qui représente près de 4,3% du PIB ! Et ce n'est pas tout, ce montant ne totalise que le «coût» de 284 mesures dérogatoires évaluées en 2012 par le département des Finances, sur 402 avantages fiscaux. En d'autres termes, la valeur réelle des «dépenses de l'Etat» dépasse largement les 36 MMDH. Le gouvernement semble décidé à en finir avec cette situation aberrante. D'ailleurs, l'annonce a été faite par le Chef de gouvernement himself lors des dernières Assises de la fiscalité : «Ces dépenses atteignent aujourd'hui plus de 36 MMDH, ce qui représente près de 4% du PIB. Nous ne pouvons pas continuer dans cette politique, surtout dans la conjoncture actuelle», a prévenu Abdellilah Benkirane. Un message capté rapidement par le patron de la Direction générale des impôts, Abdellatif Zaghnoun, qui a renchérit : «une révision de la politique des dépenses fiscales est une nécessité aujourd'hui. Cette politique, par son manque de cohérence et son caractère injuste, a montré ses limites». Il faut dire que le constat est largement partagé. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) a eu l'occasion le pointer à son tour. Dans un avis consultatif qu'il a rendu public tout récemment et validé en novembre dernier, en prélude à la réforme fiscale, le Conseil a fait de «l'instauration d'une politique fiscale juste et équitable», une condition majeure pour la réussite d'une véritable démocratie au Maroc, surtout à l'aune des dispositions de la Constitution de 2011. C'est que les inégalités sont parlantes : 80% de l'impôt sur les sociétés proviennent de seulement 2% des entreprises ; plus de 50% des entreprises assujetties à cet impôt déclarent des résultats déficitaires ; 73% de l'impôt sur les revenus est payés par les salariés. Point de vue Najib Akesbi Economiste Nous avons mis le pied dans le tunnel de l'ajustement structurel Le Fonds monétaire international (FMI) est dans son rôle. C'est connu, la ligne de précaution de liquidité de 6,2 milliards de dollars accordée au Maroc se traduit pas des engagements que le gouvernement est obligé de respecter. C'est le principe de la conditionnalité des lignes de crédit, car le Fonds ne jette par l'argent pars les fenêtres. Pour bénéficier de ses aides, l'institution de Bretton Woods trace les contours de la politique économique à suivre et les mesures d'urgence à adopter. Précisions que le premier souci du Fonds monétaire reste le remboursement des crédits octroyés, le développement vient au second plan. Ainsi, les réformes les plus urgentes à réaliser, de son point de vue, portent sur la compensation, la retraire, le système fiscal...Et donc, périodiquement, le FMI envoie ses «cowboys» pour passer à la loupe l'évolution de ces chantiers. Cela n'a rien de surprenant, car il fait partie du deal pour obtenir la ligue de précaution. Maintenant, force est de constater que les premières pistes de ces réformes tardent à voir le jour et, du coup, il est normal que le fonds monétaire multiplie ses sorties pour tirer la sonnette d'alarme. Toutefois, au-delà du discours optimiste, pour ne pas dire populiste du gouvernement, il faut reconnaître que ces réformes font face à des résistances. On le sait, les chantiers qui sont ouverts mettent en jeu des intérêts de taille. Et tous ceux qui profitent des aberrations du système actuel ne resteront pas les mains croisées. Maintenant, il faut attendre la fin de la mission du FMI et la publication de ses conclusions pour faire une lecture de la situation sur une bonne base. Crise gouvernementale, la facture de l'attentisme Secoué par la décision du parti de l'Istiqlal de se retirer du gouvernement, Abdelillah Benkirane a essayé tat bien que mal de rassurer : «Le gouvernement continue de jouir de la confiance du roi et le travail pour achever les grandes réformes, à savoir la compensation, la retraire, la fiscalité et la justice, se poursuit normalement», a-t-il déclaré à l'issue du Conseil de gouvernement du 23 mai. Seulement voilà, l'équipe gouvernementale est aujourd'hui désarmée face aux experts du FMI. Aucun calendrier pour décliner les «bonnes intentions» en actions concrètes n'est encore arrêté. Pis encore, sur le registre de la Compensation, qui a englouti près de 8% du PIB en 2012, c'est le flou artistique. Certains ministres ont déclaré publiquement, il y a des semaines déjà, que la réforme de la compensation était une histoire de quelques jours. On attend toujours... Ce qui est sûr, c'est que la crise gouvernementale a mis en suspens plusieurs chantiers. Et tout le monde attend l'épilogue pour y voir plus clair.