On importe trop de blé dur. Le constat est alarmant et les professionnels n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme, mettant l'accent sur l'exposition de plus en plus forte aux aléas du marché international. Cette situation est due au fait que les quantités produites au Maroc inférieures à la demande nationale mais aussi et surtout que leur qualité est en deçà des exigences des consommateurs et des industriels. Pour établir un diagnostic précis et trouver des remèdes efficaces, le ministère de l'Agriculture vient de lancer une étude pour rehausser le niveau et la qualité de cette denrée. Une étude de plus, diront les plus pessimistes. Cette fois sera peut-être la bonne, diront les plus optimistes. En effet, plusieurs tentatives de mise a niveau avaient déjà été esquissées mais les résultats et les recommandations sont restés lettre morte. Mais le département d'Akhennouch ne l'entend pas de cette oreille. Il revient une nouvelle fois à la charge pour se pencher sur cette question qui a salé, à l'issue de plus d'un exercice, la facture du Maroc. La qualité, une priorité Le Ministère travaille actuellement sur le projet d'amélioration de la qualité du blé dur national, dans le cadre de travaux portant sur la semence en général, sa qualité, les calibres des graines... Un appel d'offres a d'ailleurs été lancé par le ministère dans ce sens, conscient qu'un «effort considérable doit être fourni au niveau de l'amélioration de la qualité des variétés marocaines de blé dur», tel que souligné dans les conditions techniques dudit appel d'offres. Objectif: faire du produit national un élément compétitif, mais aussi nutritif et, surtout, exploitable par un maximum de créneaux industriels. En effet, les professionnels sont devenus de plus en plus exigeants sur les normes de qualité. On ne bâcle plus. Aujourd'hui, il s'agit de rechercher la couleur du produit, son rendement élevé en semoule et une haute qualité de gluten. Et devant une production nationale en deçà des espérances, on se retrouve avec des importations de blé dur évoluant crescendo et une demande quasi-inexistante pour le blé dur national. Nous le savons, notre blé dur sert à peine l'industrie des pâtes et couscous. «Un véritable gâchis» tel que le qualifie Ahmed Haddaj, président de la fédération Marocaine des importateurs de blé. Et d'expliquer que sur une production avoisinant les 2 millions de tonnes, «pas un seul gramme n'était destiné ni valable pour l'industrie et ce, tout simplement car il s'agissait d'une qualité hétérogène inutile pour la minoterie». À qui la faute ? Le président de la fédération des importateurs de blé parle d'une «erreur commise au départ. On a privilégié le blé tendre au détriment du dur, et aujourd'hui on importe entre 500 et 600 tonnes chaque année, alors qu'on aurait pu sortir de l'autoconsommation et avoir une production plus importante». À valeur d'aujourd'hui, les volumes de blé dur produits à l'échelle nationale sont en grande partie autoconsommés par les agriculteurs eux-mêmes, alors que le reste est utilisé sous forme de semence ou au mieux écoulé à un échelon régional notamment via le circuit des souks ruraux et les halles. De son côté, Mohamed Jamaleddine, patron des usines Tria tient à souligner que «jusqu'ici, le ministère s'est comporté de manière individuelle par rapport à l'agriculteur sans pour autant intégrer dans sa donne le besoin industriel et donc, au final, les attentes du consommateur». Une facture salée Selon lui, le fait de se pencher une fois de plus sur l'amélioration de la qualité du blé dur, même s'il donne une impression de déjà-vu, est capable de produire ses fruits en ce sens qu'«il y a un élan qui intègre l'ensemble des filières, mais qui par contre ne devrait pas donner lieu à des prises de décisions dans la précipitation». «Il serait faux de penser que le blé dur marocain est de mauvaise qualité. C'est un bon blé mais le tout est de savoir pour quelle utilisation. Or, le réel problème de cette denrée au Maroc est qu'elle ne correspond pas aux normes de la transformation», tranche M. Jamaleddine. Jusqu'ici, la stratégie du gouvernement, s'inscrivait sur une logique de rendement qui n'intégrait pas forcément le critère de qualité. Or, «la ménagère marocaine demeure notre vrai indicateur. Celle-ci recherche un blé de qualité», ajoute Mohamed Jamaleddine.Et pour cause, c'est la facture céréalière nationale qui en fait les frais. En effet, entre 2005 et fin juillet 2009, le Maroc aura importé pour une coquette somme dépassant les 8 milliards de DH de blé dur. Des volumes importés qui ont atteint, en quatre ans, leur pic en 2007 avec une valeur de 2 milliards de DH pour un volume de l'ordre de 787 400 tonnes. À savoir que nous avons petit à petit délaissé le blé dur de semence pour d'autres espèces tout en étant fidèles, sur la même durée de comparaison, à nos partenaires Français et Canadiens. «Rétablir l'ordre de la production du blé dur national, cela constitue certainement une économie en devises pour l'Etat», commente à son tour Mohamed Khalil, Président Directeur Général de Dari Couspate. Mais ce n'est pas seulement un problème de budget de l'Etat qui est grevé par ces importations jusqu'ici massives. C'est aussi la question d'un mauvais ciblage des zones semées. Le tendre comme substitut? En effet, si l'on juge la nature du sol, les régions de Chaouia et Doukkala devraient être par excellence le domaine privilégié pour cultiver le blé dur, soutient un grand expert du domaine. «On pourrait se rattraper considérablement sur ces zones, alors que le blé tendre en principe devrait aller vers les zones irriguées», précise-t-il. Si le blé tendre a jusqu'ici fait pencher la balance de son côté, ce n'est ni une coïncidence ni du fait des habitudes marocaines de consommation. «C'est juste parce qu'il est subventionné, et qu'il revient donc moins cher», explique le patron de Tria. Ceci pour le coût, mais qu'en est-il de la qualité ? Selon les données de l'Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses, la qualité du blé tendre de la récolte nationale pour l'année en cours a été évaluée sur une quantité de près de 6,3 millions de quintaux sur différentes régions du pays. Verdict : «une bonne qualité physique et une assez bonne qualité chimique et technologique», selon le rapport de l'office. Pour autant, ce même blé tendre n'est pas fortement segmenté pour le segment boulangerie. Selon les mêmes données, en effet, 94 % du blé tendre de la récolte est panifiable et biscuitier, 6 % sont déclarés «non classés», face à une «absence de blé de haute valeur boulangère».