Après les banques, les télécoms, les assurances, les services, le BTP et les services, le secteur des infrastructures sera-t-il la prochaine niche de développement des entreprises marocaines en Afrique? Il est encore trop tôt pour le dire, mais la convergence des évènements ces derniers temps plaide en faveur de cette hypothèse. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'appétit des investisseurs marocains pour le secteur en Afrique coïncide avec les nouvelles ambitions des pays du continent, orientées vers le renforcement des infrastructures. C'est dans cette perspective justement que la Banque africaine de développement (BAD) s'active pour la mise en place d'un nouveau mécanisme de mobilisation de ressources financières destinées à accompagner cette politique, cette dernière s'inscrivant dans le cadre des priorités de la stratégie de transformation économique structurelle de l'Afrique. Le mécanisme, qui se traduira par la mise en place d'un fonds avec un capital initial de 10 milliards de dollars à mobiliser à travers les ressources financières des Etats du continent, visera à terme le drainage d'un flux de 100 milliards de dollars. Cette somme permettra largement de couvrir les besoins financiers requis pour la concrétisation du Programme de développement des infrastructures du continent (PIDA). Cet ambitieux chantier, qui comprend entre autre la réalisation de l'autoroute maghrébine qui reliera Tunis à Nouakchott en passant par l'Algérie et le Maroc, cherche à promouvoir l'intégration économique des principales sous-régions du continent, et ainsi renforcer la compétitivité du continent. Selon les explications données par le président de la BAD, Donald Kaberuka, les modalités la mise en place de ce fonds seront définies après concertation avec les pays africains membres de la BAD. Il s'agira pour ces derniers de consentir l'effort de dégager 2% des réserves de changes qu'ils détiennent, ce qui servira à constituer un fonds Infrastructure doté de 10 milliards de dollars, et permettra de catalyser des investissements privés et publics pour de réaliser un flux de 100 milliards de dollars. «Nous avons besoin du soutien de nos pays membres africains pour soutenir une nouvelle initiative que nous croyons être une solution visionnaire, pour susciter la vision de la transformation, ainsi qu'une réponse révolutionnaire aux insuffisances constatées dans la recherche, la facilitation et le financement des projets d'infrastructure», a souligné Donald Kaberuka en marge des travaux des 48e Assemblées générales de la BAD qui se tiennent du 27 au 31 mai à Marrakech. «Avec un fonds de démarrage de 10 milliards de dollars, ce qui représente tout juste 2% des réserves de change cumulées de l'Afrique, nous pourrons financer par la suite des projets estimés à 100 milliards de dollars, soit plus que l'ensemble du Plan d'action prioritaire du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PDIA) pour 2020», a indiqué Kaberuka qui a, par la même occasion, annoncé que la nouvelle émission d'infrastructures «combinera les investissements publics et privés, nationaux et internationaux, et présentera des projets prêts pour des financements bancaires». Opportunités d'investissements La mise en œuvre de ce fonds constitue une réelle opportunité pour le Maroc. En plus d'être le 7e actionnaire de la BAD, elle offre des niches aux investisseurs et entrepreneurs marocains en Afrique. Il est vrai que déjà, plusieurs entreprises sont bien positionnées sur le continent, à l'image de SOMAGEC en Guinée équatoriale, mais cette nouvelle stratégie insufflera indéniablement une dynamique certaine à la présence d'entreprises nationale pour porter ce vaste et ambitieux chantier à la portée du continent. Une chose est sûre: alors que la création du Fonds Infrastructure est en cours de discussion, les investisseurs marocains se préparent déjà à profiter de cette niche. Cela s'est vu la semaine dernière, à l'occasion de la 5e rencontre du Club des investisseurs de long terme (LTIC) organisée à Rabat par la CDG (voir les eco.ma). La rencontre, qui portait sur les stratégies d'investissement et d'opportunités en Afrique, a permis de mesurer l'appétit -géant- des investisseurs marocains pour la niche du développement du secteur des infrastructures en Afrique, ainsi que leurs attentes. Les doléances exprimées par plusieurs chefs d'entreprises marocains s'inscrivent parfaitement dans cette stratégie. Elles serviront à relever les obstacles freinant la promotion des investissements dans le secteur des infrastructures en Afrique. Il s'agit particulièrement de la stratégie de mobilisation des fonds nécessaires à la réalisation des grands projets qui sera basée sur l'intégration du secteur privé à travers notamment les Partenariats publics-privés (PPP). En plus de l'expertise des entreprises marocaines dans le domaine, la présence de plusieurs structures bancaires nationales en Afrique et les relations économiques qui lient le Maroc et plusieurs pays africains, les opportunités de croissance sont bien présentes pour le Maroc. Il faut dire que le royaume se positionne sur tout le processus de mise en œuvre de cette stratégie puisqu'une fois le projet mené à terme, les exportations marocaines vers les autres pays africains seront intensifiées grâce notamment à l'amélioration des circuits de transports. Défis et perspectives Pour la BAD, la transformation structurelle de l'Afrique reste tributaire de l'amélioration des infrastructures, matérielles et sociales. Un constat est fait aujourd'hui, celui que, sur le continent, «l'investissement dans les infrastructures matérielles et sociales a évolué à un rythme plus lent que la croissance». Les chiffres à ce niveau sont assez révélateurs de la situation en Afrique, et illustrent le fait que le déficit d'infrastructures en Afrique est important, «même lorsqu'on le compare à la situation d'autres pays à faible revenu ou d'autres régions en développement», ont souligné les experts de la BAD. Il a été relevé, à titre d'exemple, que «les frais du transport routier de marchandises sont de loin plus élevés en Afrique que partout ailleurs, et la plupart des entreprises implantées en Afrique évoquent l'insuffisance et le coût élevé des infrastructures comme unique obstacle au développement des affaires dans la région». Ce constat vient presque faire écho à celui exprimé par le PDG d'Attijariwafa Bank, Mohamed Kettani, lors de la rencontre de Rabat que nous évoquions plus haut. De ce fait, afin de maintenir et d'accélérer la croissance, mais aussi afin de promouvoir les opportunités économiques, «les pays africains doivent s'attaquer aux obstacles contraignants que pose l'insuffisance de l'infrastructure dans la région», ont plaidé les experts en développement. Le cas du Maroc n'a pas manqué d'être relevé, ce dernier faisant partie des pays ayant investi stratégiquement dans l'infrastructure. Ces pays commencent à en récolter les bénéfices, ce qui se traduit par l'amélioration des échanges, la création d'emplois, la valorisation des ressources humaines et les retombées dynamiques qui entraînent la croissance économique et renforcent les mesures de réduction de la pauvreté. Intégration économique et opportunités d'investissements Le développement des infrastructures constitue un défi prioritaire pour une autre raison aussi: les opportunités d'intégration régionale en Afrique sont sérieusement entravées par l'inexistence d'infrastructures transfrontalières. «Les infrastructures sont indispensables pour stimuler les échanges entre les Etats africains, réduire les coûts et accroître la compétitivité des économies nationales qui, à leur tour, vont améliorer la rentabilité d'autres placements et favoriser d'autres investissements dans les projets régionaux, avec des perspectives de croissance réelle et d'emploi», indiquent les participants aux travaux de l'AG. Selon les estimations de la BAD, les besoins de financement nécessaires à l'Afrique pour lui permettre de combler l'énorme déficit d'infrastructures est estimé à environ 93 milliards de dollars par an jusqu'en 2020. «Il apparaît clairement que l'augmentation des ressources du financement des infrastructures à partir des sources classiques des recettes, des emprunts publics et de l'aide ne permettra pas de combler efficacement les insuffisances en terme d'infrastructure», lit-on dans le plaidoyer pour la mise en place du Fonds Infrastructure. Le faible niveau d'investissement dans les projets d'infrastructure en Afrique s'explique principalement par le sous-investissement systématique et la négligence du secteur au cours des années 1980 et 1990, ont relevés les experts qui ajoutent à cela les contraintes budgétaires, qui entament la capacité du secteur public à investir dans les infrastructures. «La recherche de nouvelles sources de financement novatrices s'impose, et une série d'options politiques devrait être envisagée», a-t-il été mis en avant. Il s'agit notamment des partenariats public-privé (PPP), qui «utilisent l'expertise et les financements du secteur privé pour construire, exploiter et entretenir l'infrastructure, mais aussi pour fournir des services publics». Pour les experts, cette alternative fait partie des solutions vers lesquelles s'orientent de plus en plus les gouvernements africains pour combler les déficits d'infrastructure et réduire les gaspillages au niveau des investissements d'infrastructure. Cependant, les participants au panel sur les infrastructures en Afrique relativisent: la recherche des possibilités de financement des infrastructures par le secteur privé ne peut être efficace sans la prise en compte de certains facteurs qui entravent l'investissement en Afrique. Entre autres facteurs relevés, l'absence d'incitations pour le secteur privé à investir dans des projets de biens à caractère collectif, le manque de stabilité financière à long terme, les risques opérationnels sectoriels importants et, parallèlement, les risques macroéconomiques élevés qui pourraient découler de la mauvaise gouvernance et de l'instabilité politique. «Les gouvernements doivent s'assurer que les projets d'infrastructure réalisés dans le cadre des partenariats entre secteurs public et privé sont bien structurés, qu'ils assurent la rentabilité des investissements et que le risque opérationnel est transféré au secteur privé», recommande la BAD en accord avec les attentes des investisseurs marocains. Une chose est sûre: les autorités politiques de plusieurs pays semblent conscientes de cet état de fait et se sont engagées à améliorer leur climat d'affaires. C'est en tout cas l'avis exprimé par le premier ministre de la Côte d'Ivoire Daniel Ducan Kablan, qui intervient dans les travaux. L'enjeu est énorme pour les autorités politiques, principalement pour des pays comme la Côte d'Ivoire qui a validé récemment un ambitieux programme de développement socioéconomique de plusieurs milliards de dollars, et qui offre de réelles opportunités d'investissements. Plusieurs entreprises marocaines ont commencé à exploiter cette niche, notamment pour ce qui est des logements sociaux. En attendant, les avis sont unanimes, il est essentiel d'ouvrir des perspectives qui attirent de nouveaux investisseurs, et de rechercher de nouveaux mécanismes novateurs de financement des infrastructures en Afrique. Paul Kagamé, pour une agriculture industrielle Le deuxième jour des travaux des 48e Assemblées générales de la BAD qui se déroulent à Marrakech a été marqué par l'intervention du président rwandais, Paul Kagamé. Dans une brillante intervention, le président rwandais a appelé les africains à prendre en main leur destin en exploitant les opportunités qu'offre le continent. Le président rwandais a particulièrement mis en avant le développement du secteur agricole. Pour Paul Kagamé, l'agriculture devrait être désormais considérée comme un secteur industriel à part entière et non comme seul moyen de «subsistance des africains». C'est la seule alternative qui soit pour drainer plus de flux en matière d'investissement et pour permettre à l'Afrique d'assurer sa sécurité alimentaire. Ce plaidoyer du président rwandais s'inscrit justement dans le cadre du Plan Maroc Vert (PMV), et ouvre de réelles perspectives à l'OCP qui entend profiter de la volonté des pays africains de mettre en valeur le potentiel des terres agricoles sous-exploitées. La question de l'agriculture sera, comme celle des enjeux d'une révolution verte en Afrique, au cœur des débats jeudi.