Alors que le déficit budgétaire crève le plafond (21,3 MMDH à fin avril) le salut viendrait-il de la réforme de la loi organique des finances? Si les finances publiques battent de l'aile, c'est en partie dû à l'approche adoptée dans la gestion des ressources de l'Etat. Tous les protagonistes s'accordent à le dire: le cadre actuel qui réglemente la gestion du budget annuel de l'Etat manque d'efficacité, d'équité et de transparence. Il en résulte une gestion chaotique des ressources (de plus en plus rares) dont dispose l'Etat, avec une marge importante de gaspillage, mauvaise gestion et détournement des deniers publics. Les rapports annuels de la Cour des comptes sont là pour témoigner de la cacophonie qui règne dans la gestion des ressources de l'Etat. Pendant ce temps, la question de la réforme de la loi organique des finances semble être remise aux calendes grecques. À coup sûr, la nouvelle version de la loi organique, prête depuis des mois déjà, ne verra pas le jour de sitôt. En effet, la session parlementaire du printemps s'achemine vers sa fin et, sur fond de crise gouvernementale, le projet de texte a disparu des radars. «Le clash Chabat-Benkirane n'est pas sans impact sur l'avancement du travail parlementaire. D'ailleurs, on l'a vu avec les difficultés à programmer la séance mensuelle du chef de gouvernement», explique un politologue. Par conséquent, les préparatifs de la loi de finances 2014, qui commenceront dans quelques semaines, seront faits sur la base du texte actuel, avec ses aberrations et ses zones d'ombre. Les maux pour le dire Durant la préparation de la loi de finances, une des questions les plus importantes dans la réforme du cadre réglementant la gestion des finances publiques a refait surface : les comptes spéciaux du Trésor. Les élus de la nation ont «découvert» que pas moins de 57 MMDH ont été budgétisés dans la loi de finances, sans qu'ils aient un mot à dire sur l'affectation de ces ressources, encore moins qu'ils puissent contrôler la manière avec laquelle elles sont dépensées. Le montant étant mirobolant, avoisinant le budget de la Caisse de compensation, la question de soumettre ce budget au contrôle du Parlement est donc légitime. Mieux, les ténors du parti qui président le gouvernement sont montés au créneau pour dénoncer ces «caisses noires». «Il convient de souligner qu'en tout état de cause, le maintien desdites ressources en dehors du budget de l'Etat constitue une entorse majeure aux principes budgétaires d'unité, d'universalité, de spécialité et de sincérité consacrés par les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances. Il porte aussi atteinte aux règles de bonne gouvernance et de transparence inscrites dans la nouvelle Constitution et nourrit la défiance et la suspicion des citoyens à l'égard de l'Administration», a fustigé Abdellah Bouanou, président du groupe parlementaire du PJD, dans une tribune publiée au lendemain de la discussion de la loi de finances. Pour le résultat toutefois, il faudra repasser.... De leur côté, les opérateurs économiques s'impatientent de voir cette réforme aboutir, mais pour d'autres raisons. Dans sa configuration actuelle, l'Etat a du mal à respecter ses engagements financiers vis-à-vis de ses fournisseurs à cause des contraintes du modèle de gestion financière dépassé, ce qui pose un problème de retards des paiements publics, un cauchemar pour les entreprises. Demain, un new public management ? Tout le monde s'impatiente et les pouvoirs publics se contentent de lancer des pistes de réformes, sans pour autant les décliner en mesures concrètes. «Le principe de la réforme de la loi organique des finances est acquis. La réforme s'inscrirait dans une nouvelle architecture du Budget, qui sera définie par programme et projet et non par ministère et nature des dépenses, comme c'est le cas actuellement (fonctionnement, investissement...). Le budget reflèterait mieux les grands choix de politique publique», nous dit-on auprès du département de l'Economie et des finances. Sur le plan financier, cela devrait se traduire par le recours au modèle du New public management, inspiré des bonnes pratiques en vigueur dans les entreprises privées. En clair, la nouvelle approche vise à introduire la pluri-annualité dans la prévision budgétaire. Chaque ministère devra établir une programmation sur 3 ans, glissante, basée sur des objectifs stratégiques, avec un descriptif détaillé des coûts. Mieux encore, la pratique budgétaire devrait passer d'une logique de gestion des moyens à une approche de résultats mesurables, suivant des d'objectifs définis et des indicateurs de performance. Autre nouveauté: les gestionnaires des deniers publics devront avoir les coudées franches pour s'adapter à chaque situation, avec la possibilité au moment de l'exécution de ventiler les crédits par action ou projet. De plus, ils auront une liberté totale de redéploiement des crédits, entre projets ou entre régions. Globalement, les ressources seront allouées en fonction des priorités stratégiques. En revanche, les réalisations des départements seront évaluées au moyen d'indicateurs chiffrés. Le projet de loi organique intégrera en effet les principes de la comptabilité d'exercice (les droits constatés, la gestion du patrimoine, la sincérité, l'image fidèle des comptes de l'Etat, etc.), et pour mieux verrouiller le processus, les comptes de chaque département seront certifiés par la Cour des comptes. Il faut signaler que toutes ces pistes restent des réflexions, qui font plus ou moins l'unanimité. Passer à l'acte relève néanmoins de l'ordre du politique. Et par les temps qui courent, il sera difficile de faire passer la réforme... Exigences constitutionnelles La Constitution de 2011 a introduit de nouveaux principes relatifs à la réglementation des finances publiques. La loi suprême du pays a décliné la nouvelle philosophie de la gouvernance, qui s'articule autour de la transparence, de la performance et de la reddition des comptes. Pour décliner ces exigences, le législateur a accordé aux élus de la nation un rôle primordial. Ces derniers ont une plus grande marge de manœuvre en matière d'amendement de la loi de finances, par exemple. Conformément à l'article 77 de la Constitution, le gouvernement est en effet tenu de motiver l'irrecevabilité des amendements si cela implique une diminution des ressources ou l'aggravation des charges publiques. De plus, l'Exécutif est obligé de communiquer aux députés les documents financiers pour enrichir les débats sur les projets du Budget. Sur un autre registre, la réforme porte sur le principe de l'imputabilité des décisions. En d'autres termes, la prochaine loi organique des finances devrait contenir la règle d'or qui fixe le niveau du déficit et de l'endettement à un pourcentage du PIB. Le gouvernement et le Parlement sont tenus conjointement par la mise en œuvre de cette règle. Enfin, le principe de la reddition des comptes permettra de répondre aux revendications des parlementaires, qui veulent renforcer leur contrôle de l'exécution des budgets qu'ils ont approuvés.