«Notre colère est justifiée par plusieurs raisons» La Vie éco : Ce projet de loi 103-13 est très ancien, pourquoi y a-t-il eu tout ce retard à votre avis ? Ce projet est effectivement très vieux. Déjà avec le gouvernement Driss Jettou en 2002, des propositions ont été faites par le mouvement féministe concernant une loi de lutte contre la violence à l'égard des femmes. Entre 2008 et 2010, et à plusieurs reprises, le gouvernement annonce, par voix de presse, que cette loi, ainsi qu'une autre sur le harcèlement sexuel, étaient en train d'être finalisés. Et puis, en 2011, nouveau gouvernement, nouvelle ministre de solidarité, nouveau blocage. Jusqu'à ce projet de loi 103-13, qui a connu lui-même plusieurs modifications entre sa première version de 2013 et celle de 2016. Ce retard nous est souvent «expliqué» par la nature même du projet, qui nécessite des réformes du code pénal et du code de la procédure pénale, lesquelles relèvent de la compétence du ministère de la justice. Au-delà de cette explication, nous considérons ce retard comme une résistance au changement chaque fois qu'il s'agit de droits des femmes. Vous n'avez pas caché vote colère au sein du «Printemps de la dignité» à l'égard de la nouvelle version de ce projet, la déception est tellement grande ? Cette colère est justifiée par plusieurs raisons. D'abord cette version ne répond nullement au souci d'harmonisation, que le gouvernement veut installer, entre les lois pénales et les dispositions de la Constitution dans ses articles 19 et 22, ainsi qu'avec les conventions internationales relatives à aux droits de l'Homme, ratifiées et publiées par le Maroc. Cette version est loin d'être guidée par l'approche genre. C'est un trou noir qui aspire le peu de positif qu'on pourrait trouver dans d'autres textes de loi. C'est une régression notable en termes de droits des femmes. En quoi y a t-il un recul de cette version par rapport à la première ? «Le Printemps de la dignité», ainsi que plusieurs réseaux et associations ont consigné leurs remarques dans un communiqué signé par une centaine d'associations. Notre première remarque concerne l'introduction de cadrage du projet. Nous considérons qu'un projet de loi de lutte contre la violence à l'égard des femmes devrait être introduit par un vrai préambule, qui fait référence aux droits de la femme selon les standards internationaux en la matière. Cette version est en recul même par rapport à celle de 2013, dans la mesure où elle abandonne le cadre conceptuel relatif aux formes de violence contenu dans cette dernière. Elle donne aussi une définition générale et évasive de la violence, qui mène à l'impunité pour des actes de violence non couverts par la définition. Il n'y a pas, en gros, dans ce projet, les conditions de base d'une législation spécifique visant la lutte contre la violence basée sur le genre. Sans parler de l'exclusion dans ce projet de loi de certaines catégories de femmes, notamment les mères célibataires, les migrantes et les femmes ayant des besoins spécifiques, de la protection juridique. Il souffre aussi d'une absence de mesures procédurales compatibles avec le caractère spécifique des crimes de violence, qui soient efficaces et capables de garantir aux victimes leur droit d'accès à la justice et à l'équité. Il exclut enfin les ONG de défense des droits de la femme de pouvoir se porter partie civile devant le tribunal auprès des victimes d'actes de violence, si elles n'obtiennent pas une autorisation écrite des concernées.