Adoptée en février dernier par le Parlement, la loi relative à la lutte contre la violence faite aux femmes entrera en vigueur dans quelques jours. Ce texte laisse les militantes féministes sceptiques quant à son efficacité. C'est pourquoi, elles envisagent de continuer leur plaidoyer pour faire changer ce dispositif. Le 12 septembre prochain, la loi 103.13 relative à la lutte contre la violence faite aux femmes entrera en vigueur. Elle se veut comme un moyen de limiter les violences dans l'espace public comme dans les foyers. Si elle a été adoptée à la majorité, elle ne fait pas l'unanimité auprès des associations et des avocates qui travaillent sur ces dossiers. Khadija Rougani en fait partie. Avocate au barreau de Casablanca et membre de la coalition Printemps de la dignité, elle nous explique que «lorsqu'une loi est promulguée pour lutter contre la violence à l'égard des femmes, c'est toujours un acquis ; encore faut-il capitaliser dessus et veiller sur l'application positive de ce texte». Un texte dépendant du Code pénal Khadija Rougani nous explique que les associations «ont appelé à l'élaboration d'une loi globale, qui devait inclure quatre dimensions : la prévention, la protection des victimes, la levée de l'impunité et la réparation». Avec ce texte, ce ne sera pas le cas selon la juriste qui rappelle que celui-ci ne prévoit pas de peines contre la violence «quel que soit l'auteur». «Supprimer cette phrase fait que la loi ne reconnaît pas le viol conjugal, à cause d'un référentiel idéologique voulant que l'acte sexuel entre époux soit un devoir sacré», explique encore Khadija Rougani. Et d'ajouter que «c'est en deuxième examen en phase de projet de loi qu'a été inclus le principe de la protection, mais avec des termes restés superficiels». De plus, l'avocate souligne que «l'intégralité du texte renvoie aux termes du Code pénal et du Code de procédure pénale», ce qui fait de lui «une loi dépendante à part entière et tributaire d'une autre arsenal juridique qui mérite lui-même plus de réformes». Ces paramètres font que le texte «ne se rapporte pas uniquement à la violence faite aux femmes». L'avocate rappelle qu'«il concerne même les personnes handicapées, en plus de plusieurs catégories». «Nous considérons que la violence faite aux femmes a des spécificités, ce qui implique que son traitement doit l'être tout autant. Lorsqu'on conçoit une loi qui englobe plusieurs catégories de la société, cela dénote d'un manque de vision claire.» Khadija Rougani, avocate Par ailleurs, Me Rougani insiste sur la difficulté d'apporter les preuves exigées aux plaignantes «permettant aux violeurs de bénéficier d'une grande impunité», alors que «l'hébergement et la prise en charge des victimes fera encore défaut», même avec cette loi. De plus «plusieurs cas de violences faites aux femmes ne bénéficient pas d'une application positive de la jurisprudence», d'où l'impératif que «les juges et les magistrats s'imprègnent de la culture des droits humains, incluant une vision universelles sur les droits des femmes». Des définitions laconiques Membre-fondatrice de l'Association solidarité féminine (ASF), membre de la coalition Printemps de la Dignité, Laila Majdouli souligne pour sa part que «les définitions dans cette loi restent vagues et ne se basent pas sur celles adoptée par les conventions internationales dont le Maroc est signataire». Il s'agit ici de préciser des termes comme la violence, le viol ou encore le viol conjugal, dont les mentions juridiques faites dans le droit international font défaut. La militante souligne également que «le mariage des mineures n'est pas évoqué, alors que leur place est à l'école et non à la tête d'un foyer dont elle n'assument pas la responsabilité». De la même manière, ce texte omet d'aborder les avortements clandestins comme une violence à l'égard des femmes, ou son usage dans un cadre médical reconnu en tant que droit fondamental. «La loi doit être élaborée non pas dans l'esprit de pousser les gens à la contourner, mais dans la logique de l'appliquer en faveur des personnes», s'indigne Laila Majdouli. «Tout au long de débats sur l'élaboration de cette loi, nous avons appelé à ce qu'elle prévienne la violence, protège contre elle, sanctionne ses acteurs et réhabilite les femmes victimes. Tant qu'il n'y a pas un mécanisme complexe qui tient compte de tous ces aspects, on ne peut pas parler d'une loi efficace.» Laila Majdouli, membre-fondatrice de l'Association solidarité féminine (ASF) Pour toutes ces raisons, la militante estime que les sanctions prévues dans ce texte «sont trop faibles par rapport à la gravité des actes commis». Si «les séquelles d'un viol marque les victimes à vie», certaines femmes choisissent de garder le silence sur leurs blessures. De ce fait, «des procédures judiciaires et administratives facilitées et fluidifiées doivent aider les plaignantes», rappelle Laila Majdouli. Une justice pénale irréalisable En sa qualité d'avocate mais aussi d'actrice associative sur le terrain, Khadija Rougani relève que «le rôle primordial des associations n'a pas été bien défini dans cette loi, qui évoque encore moins la place de l'Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les discriminations». Elle déplore dans ce sens le manque de coordination entre les services judiciaires et sociaux. Une faille à laquelle ce texte ne propose pas réellement de solutions. «Même si ce texte a institutionnalisé les cellules de lutte contre la violence, impliquant le parquet général, on s'interroge sur l'efficacité de son action. En réalité, le travail de ces instances a considérablement reculé. Peu d'assistantes sociales sont mises à la disposition des plaignantes, la police judiciaire renvoie souvent celle-ci au procureur pour enregistrer leurs plaintes… Il existe un partenariat avec la société civile pour optimiser ce fonctionnement, alors qu'il soit respecté !» Khadija Rougani, avocate De plus, l'avocate nous rappelle que le Code de procédure pénale prévoit que seules les associations reconnues d'utilité publique peuvent se porter parties civiles dans un procès. Cette loi ajoute désormais une deuxième exigence ; celle de l'autorisation de la victime. Egalement, «on ne peut pas réaliser une justice pénale en dehors de la médecine légale et le Maroc n'est pas doté d'une loi organisant et spécifiant la fonction des médecins légistes», déplore encore notre interlocutrice. «En attendant l'examen du projet de loi, on fait appel à des médecins généralistes qui bénéficient d'une formation, sans avoir la qualité de spécialiste», précise-t-elle. Le gros du travail pour la lutte contre la violence faite aux femmes reste à faire. C'est pourquoi, Laila Majdouli nous promet que «la sensibilisation et de plaidoyer vont continuer auprès des responsables institutionnels locaux comme auprès des acteurs internationaux». Justement, «lorsque l'Etat bénéficie de financements de l'Union européenne, par exemple, pour appuyer des programmes de protection des femmes contre la violence, il a des engagements à honorer auprès de ces instances», rappelle la militante.