Nous, associations constituant la Coalition « Printemps de la Dignité pour une législation pénale qui protège les femmes contre la violence et prohibe la discrimination», considérons que le Maroc connaît une dynamique sociétale qui s'inscrit dans le cadre du processus de la mise en œuvre d'un projet de société moderne et démocratique, considéré comme un choix politique et stratégique pour le présent et l'avenir du pays. Si la promotion du statut des femmes, sur le plan juridique en particulier, est l'une des manifestations de cette dynamique, elle est également considérée comme un stimulateur et un indicateur permettant de mesurer la signification et la portée des réformes en cours et celles attendues par les marocains et les marocaines. La réforme du code pénal dans son intégralité s'impose comme une actualité dans le champ politique marocain puisque inscrite dans l'agenda gouvernemental. Le statut des femmes dans ce code interpelle à plus d'un titre, car en plus de son rôle d'incrimination, de sanction et de protection de la société et de l'Etat, le code pénal revêt une importance extrême eu égard à sa relation directe avec les droits et libertés des personnes, hommes et femmes. Adopté en novembre 1962, le code pénal est régi par une philosophie patriarcale traduite aussi bien au niveau de sa structure que de ses dispositions. Ce code ne garantit aux femmes ni la jouissance de leurs droits et libertés fondamentales, ni la protection effective contre la violence et les discriminations spécifiquement dirigées contre les femmes/fillettes en raison de leur sexe et leur statut dans la société et auxquelles, cette législation n'apporte pas de réponses adaptées. Certes le code pénal a connu plusieurs amendements, mais il n'a jamais fait l'objet d'une refonte globale. Pour ce qui est de l'Agenda Gouvernemental 2011-2015, Coordonné par le Ministère du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité, il vise à atteindre trente objectifs qui s'articulent autour de neuf domaines prioritaires, dont particulièrement le troisième domaine sur l'accès aux services de santé (objectif relatif à la révision des dispositions liées à l'interruption volontaire de grossesse), et le cinquième domaine se rapportant aux droits civils et à la prohibition de la discrimination et la lutte contre la violence à l'égard des femmes. L'article 16 de la CEDAW (Convention sur l'Elimination de toutes les formes de Discrimination à l'Egard des Femmes) recommande aux États parties de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux, et pour assurer l'égalité effective entre les hommes et les femmes. La nouvelle Constitution de 2011 contient d'importantes dispositions qui bannissent et qui combattent « toute discrimination en raison du sexe...ou de quelque circonstance personnelle que ce soit » (préambule), qui prohibent et luttent contre la violence « en quelque circonstance que ce soit et par quelque personne que ce soit, privée ou publique » (article 22) et qui consacrent l'égalité entre les femmes et les hommes dans « les droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel,...» (Article 19). Ces évolutions qualitatives sont des indicateurs qui démontrent que le contexte actuel diffère de la période durant laquelle le Code pénal en vigueur a été élaboré il y a un demi-siècle. Aujourd'hui, après un demi-siècle, le Maroc a changé, et il est temps que le code pénal subisse une refonte répondant aux droits humains des femmes de manière à être en harmonie avec les choix déclarés du pays et consacrés dorénavant par sa Constitution ; à mettre en œuvre les stratégies gouvernementales adoptées et à respecter les engagements internationaux du Maroc en matière des droits humains des femmes et des droits de l'Homme de façon générale. Le mémorandum du Printemps de la dignité, fruit de la capitalisation de la connaissance, de l'expérience acquises, de la concertation et du consensus des 22 associations qui forment la Coalition Printemps de la Dignité : pour une législation pénale qui protège les femmes contre la violence et prohibe la discrimination, focalise sur : -un diagnostic synthétique des problématiques posées par le Code pénal et qui doivent interpeller le législateur à partir d'une conception globale qui prend en considération la complémentarité de la législation pénale tout en y intégrant une vision spécifique aux crimes basés sur le genre ; -un résumé des propositions à même de remédier à ces problématiques de façon à garantir la dignité et l'égalité aux femmes à travers un texte harmonieux tant au niveau de sa philosophie et de sa structure qu'à celui de ses dispositions. Les amendements apportés au code pénal, sur plusieurs étapes, ont abouti d'un côté à l'incrimination du harcèlement sexuel, de la violence conjugale physique et de quelques aspects de la discrimination basée sur le sexe, et de l'autre à l'aggravation de la sanction pour les crimes de viol et d'attentat à la pudeur visant les femmes. Toutefois, lesdits amendements n'ont pas pu répondre aux exigences d'un Code pénal moderne avec des composantes harmonieuses permettant d'atteindre les objectifs escomptés d'une telle loi, à savoir, la lutte contre la discrimination et la protection des femmes contre la violence basée sur le genre et la garantie de leurs droits et leurs libertés. Sa structure, incarne l'absence d'une vision globale et cohérente chez le législateur dans le traitement spécifique des crimes qui visent les droits des femmes, leurs libertés, leur intégrité physique et psychologique et leur dignité ; laquelle vision devrait, d'un côté, prendre en compte la particularité de ces crimes, leur gravité, leurs impacts et la spécificité des femmes victimes et, d'un autre côté, distinguer entre les crimes qui touchent la société dans son ensemble et ceux qui visent les femmes en raison de leur sexe. En effet, cette structure ne confère pas la priorité aux libertés et aux droits fondamentaux des individus en général, et ceux des femmes en particulier, comme le démontrent les exemples suivants : - La qualification des crimes de viol et d'attentat à la pudeur comme étant des crimes portant atteinte à « l'ordre des familles et à la moralité publique » ; - La qualification du crime de discrimination basée sur le sexe comme relevant des crimes relatifs « aux menaces et de l'omission de porter secours » ; - La classification du crime de harcèlement sexuel parmi les crimes liés à « la corruption de la jeunesse et à la prostitution » ; - le traitement des crimes de violence basée sur le genre dans le cadre des crimes de violence en général. Ses dispositions, qui ne sont que la continuité de la philosophie, la structure et la langue utilisées dans le Code pénal, compte tenu de sa nature qui constitue un arsenal d'éléments complémentaires. En effet, il s'avère que ces dispositions n'accordent aucun traitement spécifique aux crimes et délits contre les femmes, notamment aux violences fondées sur le genre sous leurs différents aspects et lieux et à la gravité de leurs conséquences et impacts sur les femmes/fillettes et sur leurs familles. Par conséquent, cette situation favorise et encourage, d'une manière indirecte, l'impunité, et consacre la discrimination en termes de sanction et de peine, non seulement en raison du sexe mais également entre les femmes (victimes) elles mêmes en relation avec leur statut matrimonial (mariée/non mariée) et/ou avec des circonstances personnelles (vierge/non vierge,...). Par ailleurs, certaines dispositions, en apparence, non discriminatoires (neutres), conduisent, dans leur application, à des effets discriminatoires (comme à titre d'exemple la débauche). Ces discriminations, sont dorénavant, prohibées par la Constitution. Les propositions de la Coalition Printemps de la Dignité s'appuient sur : - L'analyse fouillée du Code pénal et de son application, ainsi que sur le traitement d'un grand nombre de dossiers et de plaintes des victimes ; - L'enquête nationale sur la prévalence de la violence à l'égard des femmes, réalisée par le Haut Commissariat au Plan qui a apporté la preuve à la fois de la spécificité et de l'ampleur des violences à l'encontre des femmes ; - Le rapport final de l'Instance Equité et Réconciliation et le rapport du cinquantenaire ; - Les engagements internationaux du Maroc (CEDAW) dont la ratification de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et son adhésion à la Déclaration sur l'Elimination de la Violence à l'égard des Femmes, et au protocole optionnel de la CEDAW ; - Les engagements nationaux du gouvernement, en particulier l'Agenda de l'Egalité et la stratégie nationale de lutte contre la violence faite aux femmes. Les revendications de la coalition Printemps de la Dignité: Revoir la structure du Code pénal de manière à restructurer les priorités, à consacrer une partie du code pénal aux crimes basés sur le genre en tant que violation des droits et libertés, à changer la terminologie discriminatoire et dégradante, à utiliser un vocabulaire moderne et imprégné des droits de l'Homme. Mais aussi vise à: Incriminer les actes non incriminés tels que le viol conjugal, le harcèlement sexuel, la violence psychologique, la violence économique (dilapidation intentionnelle du patrimoine familial, l'appropriation du revenu de l'épouse,...), l'expulsion de la femme du domicile conjugal, le contournement des dispositions du Code de la famille relatives au mariage des mineurs, le contournement des dispositions relatives à la polygamie, tant sur le fond que sur la forme (à l'horizon de son interdiction), l'avortement non médicalisé (c'est-à-dire celui effectué par des personnes non qualifiées et/ou dans un environnement non conforme aux normes médicales minimales requises ). Etablir un code en conformité avec les principes de la dignité, de la liberté, de l'égalité et de la non discrimination. Inclure les objectifs escomptés du Code pénal dans le préambule : - Consacrer les droits des femmes comme partie intégrante des droits humains ; - Protéger les femmes contre la violence basée sur le genre; - Prohiber la discrimination et garantir les droits et libertés pour les deux sexes. - Réexaminer un ensemble de dispositions tels que: Consacrer la non-discrimination entre les femmes sur la base de leur statut matrimonial dans les crimes d'enlèvement, de détournement et de dissimulation ; - Revoir les définitions, notamment celles relatives au viol, à la débauche et à l'adultère ; - Lutter contre l'impunité ; - Adopter des modalités d'établissement et d'administration de preuves qui prennent en compte la spécificité des crimes à l'égard des femmes et la nature des différents espaces dans lesquels ils se produisent (l'obligation pour la police judiciaire de se déplacer sur les lieux du crime pour faire ses constations, recevabilité des certificats médicaux, des rapports des médecins psychiatres/psychologues, des photographies,...). - constance des modalités d'établissement de preuves, et leur incapacité d'assurer la protection des femmes contre la violence. - Instaurer des peines de substitution (alternatives à l'emprisonnement) comme la privation de certains droits politiques, civils ou économiques, ou l'accomplissement d'un travail d'intérêt général,... - Adopter des procédures d'urgences pour protéger les femmes contre la violence ; - Mettre en place de mécanismes spécifiques pour lutter contre la violence au niveau de la police judiciaire et des tribunaux (spécialisation, juges des référés pour statuer sur des mesures de protection,...) ; - Adopter des mesures visant à protéger les femmes contre la violence (interdiction provisoire d'accéder au domicile conjugal, de contacter la victime ou les enfants,...)... En présentant son évaluation et les grandes lignes de ses propositions pour une législation pénale qui protège les femmes contre la violence et prohibe la discrimination, la Coalition Printemps de la Dignité, est consciente que le changement espéré reste tributaire, entre autres, de la réforme du système judiciaire, eu égard à son rôle central dans la mise en œuvre des lois et dans le cadrage des interventions des professionnels de la justice, et ce via des circulaires, des publications, des guides, des explications et autres outils de sensibilisation à propos des objectifs de ce changement afin qu'il soit intégré en tant que culture et pratique. Globalement, la Coalition Printemps de la Dignité aspire à ce que le nouveau Code pénal, en tant que garant des droits et des libertés des femmes et des hommes, soit un levier pour le progrès et la modernité, conforme à l'évolution que connaît le statut des femmes au sein de la société, et consolide le chantier de réformes en consacrant les principes de l'équité, de la justice, de l'égalité et de la pleine citoyenneté sur lesquelles les marocaines fondent de grands espoirs.