Quelle mouche a donc piqué le CNDH d'ordinaire si prudent ? En dressant un bilan alarmant de la situation des Marocaines et en préconisant parmi ses recommandations une révision de la loi successorale, le Conseil national des droits de l'Homme a mis le feu à la baraque. Comme on pouvait s'y attendre, les milieux libéraux ont applaudi sa témérité à appeler un chat un chat et à s'attaquer de front au tabou de l'héritage, une audace inédite de la part d'une instance nationale. Côté conservateurs, le sang du PJD n'a fait qu'un tour, voyant dans la recommandation relative à l'héritage «une grave violation de la Constitution» et la fustigeant comme «une décision irresponsable». Dans le même temps, le parti du chef du gouvernement n'a pas eu un seul mot sur le contenu global du rapport pourtant construit sur les données et les statistiques de diverses enquêtes nationales et qui montre, preuves à l'appui, combien les discriminations de genre persistent et parfois même se sont aggravées en dépit des réformes juridiques. Que la moitié de la population continue à pâtir d'inégalités et d'injustices en raison de son sexe, ce ne serait pas là le problème. Le problème, c'est – ô hérésie ! – d'avoir osé dire que «la législation successorale inégalitaire participe à augmenter la vulnérabilité des femmes à la pauvreté» et recommander l'amendement du Code de la famille «de manière à accorder aux femmes les mêmes droits dans la formation du mariage, dans sa dissolution et dans les relations avec les enfants et en matière successorale en conformité avec l'article 19 de la Constitution et l'art.16 de la CEDEF». Le pavé jeté dans la mare par le CNDH interroge quant à son timing en même temps qu'il introduit une clarification des positionnements idéologiques. Pourquoi, pourrait-on tout d'abord se demander, une telle étude aujourd'hui et comment décrypter cette liberté de ton chez un acteur institutionnel ? Rabéa Naciri, rapporteur du rapport, explique que «20 ans après la déclaration de Pékin, 10 ans après la promulgation du code de la famille et quatre ans après l'adoption de la nouvelle Constitution, le CNDH a considéré que le temps était venu de faire un bilan de ce qui a été réalisé». Soit. Sachant cependant que, sous nos cieux, rien ne se fait sans feu vert, fût-il implicite, ce rapport critique sonne comme un rappel à l'ordre. En effet, alors même que la promotion des droits de la femme se pose comme une priorité au plus haut sommet de l'Etat, que la législation a connu des réformes importantes dans ce sens, c'est la stagnation et même la dégradation de la condition féminine qui prévalent à l'échelle sociale. Le rapport du CNDH apparaît dès lors comme un coup de gueule en direction des pôles de résistance, présents au sein même du gouvernement, qui bloquent toute évolution significative de la parité et de l'égalité des sexes. Quant à la recommandation sur l'héritage, elle ressemble fort à un ballon d'essai lancé pour tester les réactions des uns et des autres sur la possibilité de l'ouverture d'un débat sur cette question taboue. Ces réactions, quelles ont-elles été ? Dans le champ politique, les «frères» ont réagi immédiatement et, fidèles à eux-mêmes, par l'invective. De débat sur le sujet, il ne peut être question et haro sur l'impudent qui a eu l'audace de l'évoquer. Par contre, du côté des partis de gauche dont on aurait pu attendre une réaction tout aussi immédiate, silence radio. L'USFP, comme le PPS ou encore le PSU restent, à l'heure où s'écrivent ces lignes, aux abonnés absents. Ce qui est pour le moins surprenant compte tenu des valeurs qu'ils prétendent défendre. En même temps que Bayt el Hikma et Damir, deux ONG fortement engagées dans la défense des libertés individuelles, la seule formation politique à avoir élevé sa voix pour défendre le CNDH est le PAM. Son bureau politique s'est réuni pour adopter une résolution en faveur de la promotion de la femme et de l'ouverture d'un débat sur l'héritage, dénonçant au passage «ceux qui occultent la diversité et qui véhiculent des discours radicaux». C'est ainsi qu'à la faveur de la publication de ce rapport, on assiste à une nouvelle clarification des positionnements idéologiques dans le champ politique. Et le constat suivant s'impose: la gauche a cessé d'être le défenseur naturel des droits de la femme. Un nouvel acteur, pourtant situé à droite (si cette catégorisation veut encore dire quelque chose), prend le pas sur elle dans ce combat. Par son discours et ses prises de position, le PAM entend se positionner à l'avant-garde de la défense des valeurs de la modernité. Par son poids politique, il est le seul aujourd'hui à représenter un adversaire de taille pour le PJD, chef de file du camp conservateur. Reste cependant que pour pouvoir vraiment prétendre au titre de défenseur des libertés, le PAM a encore un long chemin à parcourir. Et ce chemin passe par un engagement véritable en faveur des droits humains dans leur ensemble et non pas uniquement des droits des femmes et des libertés individuelles.