Ce n'est encore qu'un prélude à un rapport bien plus long… Le CNDH a publié mardi 20 octobre le « résumé exécutif » sur l' « état de l'égalité et de la parité au Maroc », eu égard à la centralité de la question dans le pays. Ce rapport est analytique et évaluatif, 10 après l'adoption du Code de la Famille et 4 ans après celle de la constitution. Le "résumé exécutif" comporte des dizaines de points et de recommandations, mais les médias se sont tous focalisés sur un seul et unique point, en l'occurrence celui de l'égalité successorale, c'est-à-dire l'égalité des sexes devant l'héritage. En effet, le « résumé » du CNDH recommande d' « amender le Code de la famille de manière à accorder aux femmes les mêmes droits dans la formation du mariage, dans sa dissolution et dans les relations avec les enfants et en matière successorale, en conformité avec l'article 19 de la Constitution et l'article 16 de la CEDEF ». Le Conseil présidé par Driss Yazami est donc très clair sur ce point, mais il y en a d'autres, beaucoup d'autres, qui œuvrent à réduire, en vue d'éliminer, les voies conduisant à la paupérisation des femmes. Se focaliser sur l'héritage sera de nature à occulter toutes les autres problématiques qui retardent une égalité effective des sexes. Et là, tout le monde pourrait s'accorder sur le fait que dans un pays où près de 1,2 million de ménages (soit une moyenne de 5 millions de personnes) sont gérés et dirigés par des femmes seules, selon les chiffres du HCP, les inégalités entre les femmes et les hommes peuvent participer à une paupérisation des femmes par rapport aux hommes. Et donc à un retard dans le développement du pays. De plus, on rappelle que cette question des femmes est l'une des priorités de l'Etat, à son plus haut niveau, c'est-à-dire à celui du roi, qui a encore appelé dans son derniers discours devant le parlement à activer la mise en place de l'Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination. Mais le problème se situe au niveau venant juste après, celui du gouvernement, plus rétif, voire réactionnaire, à toute évolution de la situation des femmes. Les constats Le CNDH épingle ainsi ce qu'il qualifie d' « évaporation progressive des promesses constitutionnelles », incarnée par les retards dans l'adoption des instances de la parité et aussi par l'absence de la mention de la parité dans nombre de lois organiques, comme celle sur la désignation aux hautes fonctions. Le gouvernement est également cloué au pilori, en cela que selon le Conseil, visant à « contourner la loi sur l'autorisation du mariage polygame et celui des mineures, le gouvernement persiste à vouloir procéder à une nouvelle prolongation de la période transitoire » de l'action en reconnaissance de mariage, des mineures entre autres. Pour ce qui concerne la tutelle légale sur les enfants, les mères sont encore en retrait par rapport aux hommes. Ainsi, dit le document du CNDH, si « la mère 'aisée' a l'obligation de subvenir aux besoins de la famille en cas d'incapacité matérielle partielle ou totale du père, cette responsabilité matérielle ne lui confère pas le droit à la tutelle légale sur ses enfants ». Par ailleurs, « le Code de la nationalité reconnaît aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants (art. 6). Toutefois, ce Code reconnaît aux hommes le droit de transmettre leur nationalité à leur épouse étrangère (acquisition de la nationalité par le mariage) alors que ce droit est dénié aux femmes ». Autre inégalité, donc… En matière de sexe et de liberté sexuelle, le CNDH affiche là aussi un avis tranché… Ainsi, la législation pénale introduit « une hiérarchie entre les victimes du viol (mariées, non mariées, vierges, non vierges), n'incriminent pas le viol conjugal et criminalisent les relations sexuelles hors mariage entre adultes consentants », d'où contradiction morale dans cette législation. Mais cette injustice va plus loin, et plus gravement, en matière d'avortement où les inégalités sociales sont entérinées. Les femmes de milieux favorisés peuvent avorter dans de bonnes conditions, contrairement aux autres, moins « aisées », qui doivent avoir recours qui mettent en péril leur santé et leur vie. Autre constat, ce que le Conseil désigne par les violences fondées sur le genre (VFG). Or, relève le CNDH, « la forte prévalence des violences (62,8%) qui concerne 6,2 millions de femmes ayant subi, à un moment ou à un autre de leur vie, un acte de violence est liée en grande partie à l'acceptation sociale des VFG et à l'impunité dont bénéficient les agresseurs », une impunité entérinée par les manuels scolaires et les médias, tous deux discriminatoires dans les faits envers les femmes, et aussi par la « masculinité » des corps chargés de la défense de la société, à savoir le législateur, la magistrature et les service de sécurité. Les recommandations La sensibilisation aux textes internationaux. « Assurer une large diffusion de la CEDEF, notamment auprès des magistrats et des professionnels de la justice et les inciter à prendre en considération ses normes et dispositions ». L'avancement du Code la Famille par le retrait de la Tradition et des traditions. « Amender le Code de la famille de manière à accorder aux femmes les mêmes droits dans la formation du mariage, dans sa dissolution et dans les relations avec les enfants et en matière successorale, en conformité avec l'article 19 de la Constitution et l'article 16 de la CEDEF ; appliquer avec rigueur les dispositions du Code de la famille relatives à la pension alimentaire ; élargir les bénéfices du fonds de la solidarité familiale aux enfants nés hors mariage et adopter un plan de mesures destinées à sensibiliser, former et responsabiliser l'ensemble des intervenants du secteur de la justice ». Transmission de la nationalité. « Reconnaître aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leur époux étranger dans les mêmes conditions exigées pour l'épouse étrangère ». Egalité économique et politique. « Promouvoir la participation paritaire à tous les niveaux et prévoir des sanctions pour l'ensemble des parties prenantes qui ne respectent pas le principe de la parité », et aussi « mettre en œuvre l'article 39 de la loi organique des finances (prise en compte de l'aspect genre pour la fixation des objectifs et des indicateurs) ainsi que les mécanismes institutionnels en charge de l'égalité de genre dans tous les départements ministériels et au niveau territorial, et les doter du pouvoir, mandats et moyens requis et améliorer le dispositif statistique et assurer une large diffusion des données auprès des décideurs et de l'opinion publique ». Les femmes en situation précaire. « Améliorer la connaissance sur la situation des femmes âgées, en situation de handicap ainsi que les femmes détenues par le biais de la collecte, l'analyse et la diffusion des données et des statistiques normalisées, actualisées et sensibles à la dimension genre ».
A lire ce résumé, et dans l'attente du rapport plus complet (sachant que le résumé est déjà très parlant), on prend la mesure du retard accusé en matière de parité et de lutte contre les inégalités. Mais voyant la « résistance » des médias traditionnels et des réseaux sociaux, on prend également la mesure du (très long) chemin qu'il reste à parcourir. Une véritable amélioration de la situation des femmes dans ce pays passe par une évolution des mœurs et une révolution morale qui, elles-mêmes, nécessitent une sérieuse et radicale modification des programmes scolaires. Mais cela est une autre histoire, qui ne relève pas des compétences du CNDH…