La situation nette de la banque est négative avec des pertes cumulées de 750 millions de DH. La BNDE, déjà en difficulté, devra injecter 300 MDH pour rééquilibrer les comptes de sa filiale avant cession. La Crédit agricole réalise une bonne affaire : 26 agences et 2 points de part de marché sans aucun décaissement. A combien la BMAO, avec ses 27 agences et ses 2 points de parts de marché sera-t-elle cédée au Crédit agricole ? 0 DH. Oui, vous avez bien lu, pas un rond car de fait, aujourd'hui, la banque ne vaut plus rien. Pire, elle est valorisée à – 300 MDH qu'il faudra bien injecter pour redresser les comptes. Comment en est-on arrivé là ? En mars dernier, dans le cadre du plan de redéploiement (sauvetage) de la BNDE, les pouvoirs publics avaient chargé la CDG de piloter l'opération. Dans la foulée, le Crédit agricole était, lui aussi, appelé à la rescousse notamment en reprenant la BMAO et le réseau d'agences de la BNDE. Le principe étant acquis, il restait à la CDG et à la CNCA à se mettre d'accord sur le prix de la transaction. Mais avant cela, la CDG avait chargé, au cours du mois de mars, un cabinet de conseil d'examiner les comptes de la banque en vue d'estimer la valeur de cession. Il y a quelques jours, le rapport a été rendu avec des conclusions on ne peut plus accablantes : la valeur commerciale réelle de la BMAO est négative. Selon ce rapport, la banque présente une situation nette négative de l'ordre de 300 MDH représentant le gap entre les actifs et le passif de la banque. Une lecture rapide du bilan de la banque, au titre de l'exercice 2002, montre une première distorsion de taille : les pertes cumulées par la BMAO, au 31 décembre 2001, atteignent 752 MDH, alors que son capital social n'est que de 500 millions. La BMAO a encore provisionné pour174 MDH en 2002 En d'autres termes, après l'avoir achetée, l'acquéreur devra injecter de l'argent frais pour remettre la banque à flot. Pour Saïd Ibrahimi, DG du Crédit agricole, il ne saurait être question d'accepter ce cadeau empoisonné. Déjà, en mars dernier, la patron de la banque était clair à ce sujet. «Le portefeuille des créances de la BMAO ne sera transféré au Crédit agricole qu'après sa mise en conformité avec les règles prudentielles de Bank Al-Maghrib (BAM)», disait-il. Ce n'était là qu'un premier signal se référant uniquement aux créances en souffrance. Car plus récemment, particulièrement après réception du rapport de mission, le DG de la CNCA a étendu sa vision à l'ensemble de la transaction. Un point de vue que partagent les techniciens du ministère des Finances. Ils estiment qu'il serait aberrant d'alourdir davantage la CNCA qui commence à peine à sortir la tête de l'eau. Aujourd'hui, donc, le Crédit agricole se dit prêt à reprendre la BMAO, à condition que sa situation financière soit rééquilibrée. De longues négociations ont été menées entre la CNCA et la CDG avec la participation active du ministère des Finances. Au terme de ces concertations, il semble que M. Ibrahimi ait rallié ses interlocuteurs à son point de vue. Un accord a été trouvé: la BMAO sera renflouée par l'injection de 300 MDH et sera gracieusement cédée au Crédit agricole. Une bonne affaire ? Peut-être ! Mais tout compte fait, la CNCA aura d'un coup accès à 26 nouvelles agences (sans parler des 11 agences BNDE) qui sont dans l'ensemble bien situées et réparties sur la majorité des grandes villes (voir encadré ci-dessus). Mieux, avec cette nouvelle acquisition, la part de marché en termes de dépôts du Crédit agricole passe de 6,1 à 8,1 %. Tous les banquiers savent pertinemment qu'il faut plusieurs années pour gagner 2 % de parts de marché. Auprès du management de la BMAO, on est convaincu, certainement par esprit d'appartenance, que «celui qui prendra la banque fera à coup sûr une bonne affaire car il achète un réseau déjà existant, des dépôts clientèle d'environ 3 milliards de DH et des équipes rodées au métier bancaire» (voir encadré ci-dessus). 220 MDH détournés. Peut-être plus. Saïd Ibrahimi est mieux placé que quiconque pour savoir que c'est là une bonne opportunité, pour la simple raison qu'il a été lui-même DG de la BMAO pendant quelques années avant de rejoindre son poste actuel. Il connaît bien le potentiel de l'institution moribonde. Cela dit, à la CNCA, on se garde de tout excès d'optimisme et ce au moins pour deux raisons. La première concerne l'état des créances en souffrance. Pour le seul exercice 2002, la BMAO a encore provisionné pour 174 MDH. Un effort d'assainissement certes louable mais qui n'atténue en rien les risques futurs. Là aussi, il semble que le management du Crédit agricole a pu imposer des garde-fous. Ainsi, il serait prêt à reprendre et gérer les créances en souffrance à la seule condition qu'elles soient prises à leur valeur nette comptable en insistant sur le fait que des provisions supplémentaires doivent être constituées avant la cession et conformément aux règles prudentielles de Bank Al-Maghrib. Suite à quoi, la CNCA se chargera elle-même d'effectuer tout le travail de recouvrement. La seconde raison, elle, est en relation avec l'affaire des détournements qui a été mise à nu par la mission d'audit et que La Vie éco avait révélée en son temps (cf LVE du 2 mai 2003). En mai dernier, les premiers examens des comptes de la BMAO avaient, en effet, permis de découvrir un «trou» (ou un gouffre ?) d'une valeur de 220 MDH. Le montant demeure encore provisoire puisque dans les milieux bancaires, certaines sources pensent qu'il se situe bien au-delà. Toujours est-il qu'à la suite de cette première découverte, le ministère des Finances et Bank Al-Maghrib ont invité la direction de la BMAO à diligenter une mission d'inspection approfondie pour élucider l'affaire. Et l'opération fut lancée dans les jours qui suivirent. Cela dit, des sources proches de cette banque expliquent que «valeur aujourd'hui, l'inspection n'étant toujours pas achevée, avancer un chiffre serait du domaine de la spéculation». Ce qui est sûr, en revanche, c'est que les indélicatesses sont avérées et que des plaintes ont été déposées par la direction de la BMAO contre certains de ses employés pour «malversations et détournements de fonds». Pour le reste, «il faudra attendre que les inspecteurs finissent leur travail», commente un responsable de la BMAO en laissant entendre que «l'affaire connaîtra des rebondissements intéressants dans les quelques jours qui viennent». Une autre grande question reste posée: qui va mettre les 300 MDH sur la table pour renflouer la BMAO ? Là aussi, un accord semble avoir été trouvé : c'est sa maison-mère, la BNDE, qui mettra la main à la poche. Bien que confirmée, la nouvelle est tout de même surprenante dans la mesure où cette institution est elle même moribonde. Son nouveau directeur général, Ali Harraj, tout en confirmant que c'est bel et bien sa banque qui passera à la caisse explique que «le montant requis ne sera pas forcément constitué en totalité d'argent frais». Vraisemblablement, une partie de la somme sera versée en numéraire et le reliquat sera avancé en nature (biens immobiliers ou autres). En définitive, tout semble être fin prêt pour que la transaction se fasse. La signature est dite imminente et selon des sources concordantes, elle se ferait au plus tard au cours de la semaine du 21 juillet, même si, à la BMAO, le personnel ne semble pas trop y croire. En atteste le commentaire de ce cadre désabusé qui explique que «depuis plusieurs mois, le management n'arrête pas de nous l'annoncer». Du coup, l'expectative semble aujourd'hui peser très lourd sur le moral des troupes qui attendent de voir à quelle sauce ils seront mangés.