Très critiqué à l'étranger, le phénomène inquiète moins les hôteliers marocains, en tout cas pour l'instant. Le ministère du tourisme n'exclut pas la possibilité de lancer une réflexion pour anticiper les contrecoups du phénomène. En cinq ans d'existence, la plate-forme de location et de réservation de logements de particuliers Airbnb, née à San-Francisco et valorisée à 24 milliards de dollars, a réussi, tout comme l'ont fait, quelques années plus tôt, Booking et autres, à profondément bouleverser le comportement d'une grande partie des touristes, qu'il s'agisse du groupe d'amis, du couple, voire du voyageur d'affaires. Plus de 55 millions de voyageurs, et 17 millions rien qu'en juillet et août dernier, ont utilisé cette plate-forme pour voyager. Se targuant d'être implanté dans 190 pays, le site ne pouvait être absent dans un pays aussi touristique que le Maroc. Un coup d'œil attentif permet de constater que son offre au Maroc est même déjà très présente. Logements entiers, chambres privées ou chambres partagées, du nom des trois catégories de logements proposés sur le site, on trouve de tout pour les différentes destinations du Royaume, même les moins exposées comme Asilah, Safi ou Oualidia. Prenons l'exemple d'un couple qui souhaite voyager le week-end du 2 au 4 octobre prochains. A Marrakech et région, il pourra choisir parmi plus de 1 000 locations «logements entiers», autant de «chambres privées» et 36 «chambres partagées». En moyenne, une nuit en Airbnb dans la ville ocre coûtera à notre couple 108 euros, soit 1100 DH, mais les offres vont de 9 euros la nuit à plus de 1000 euros. «Luxueuse villa», «maison d'hôtes de luxe», «riad pour 36 personnes», «kasbah traditionnelle», «villa dans palmeraie», «bel appart», l'offre est pléthorique à Marrakech et dans sa région. Elle l'est également à Tanger où pas moins de 574 locations, à 84 euros la nuit en moyenne, sont disponibles pour la période que nous avons choisie, soit 438 «logements entiers» (97 euros la nuit en moyenne), 133 «chambres privées» (52 euros la nuit en moyenne) et 9 «chambres partagées» (62 euros la nuit en moyenne). Pour cette même période, Airbnb propose 543 locations à Casablanca, avec un prix moyen à la nuit de 80 euros, dont 456 «logements entiers» (85 euros la nuit en moyenne), 83 «chambres privées» (53 euros la nuit en moyenne) et 4 «chambres partagées» (36 euros la nuit en moyenne). Juste derrière, Agadir propose aux voyageurs 350 «logements entiers» (69 euros la nuit en moyenne), 83 «chambres privées» (41 euros la nuit en moyenne) et 21 «chambres partagées» (26 euros la nuit en moyenne). Avec Rabat (290 locations, à 78 euros la nuit en moyenne), Fès (365 locations à 66 euros la nuit en moyenne), Béni-Mellal (16 offres à 56 euros la nuit) ou encore Dakhla (8annonces à 69 euros la nuit en moyenne), Airbnb prend, discrètement mais sûrement, pied au Maroc avec des milliers d'annonces en ligne. De l'informel structuré et visible Pour les «hosts», ou loueurs, qu'ils soient propriétaires ou locataires, résidants ou MRE, mettre son appartement ou une chambre privée en location sur ce site, ou tout autre plate-forme aux fonctionnalités identiques, génère un revenu non négligeable, voire substantiel, et ce, malgré le prélèvement d'une commission par le site. Pour les voyageurs, cet outil présente l'avantage d'offrir des logements atypiques, très bien situés et équipés, voire parfois peu visibles sur Internet, à l'image des apparts-hôtels, répondant à la tendance de personnalisation croissante de l'expérience client. Accusé d'accentuer la sous-location, notamment en France, et fortement critiqué par les hôteliers qui y voient de la concurrence déloyale, le site Airbnb, et dans une moindre mesure ses compères, est encore loin d'inquiéter de façon massive les professionnels au Maroc. «La clientèle Airbnb n'a rien à voir avec la clientèle des hôtels. Le système a toujours existé. Le danger existe, comme pour tout», déclare Fouzi Zemrani, vice-président de la Confédération nationale du tourisme (CNT). Du côté de la Fédération nationale de l'industrie hôtelière (FNIH), on assure que Airbnb et consorts représentent «une concurrence déloyale et structurée, à un échelon toutefois supérieur de ce que l'on connaît déjà». «Les hôteliers se sont déjà plaints de booking sans que rien ne soit fait», souffle-t-on du côté des professionnels. Globalement, les hôteliers critiquent ce type de plateforme comme ils critiquent le logement informel. Sauf que là, on parle d'une offre informelle organisée, structurée et bel et bien visible. On est loin des semsars postés à l'entrée d'Essaouira ou de Martil ! A Tanger, on s'inquiète un peu plus de cette «concurrence déloyale qui commence à être bien implantée». Le ministère du tourisme, quant à lui, reconnaît qu'une réflexion devrait être menée, avec les professionnels du secteur, pour savoir comment composer, en matière de réglementation ou de garanties de sécurité et sanitaires, avec ces nouveaux outils.