Les acteurs de l'enseignement supérieur privé constatent une inflation d'accréditations des filières, et se demandent quelle serait en fin de compte leur finalité si elles sont sans équivalence. Une filière accréditée donne droit à la reconnaissance du diplôme par l'Etat, mais le décret d'application des équivalences tarde à venir. Quatre ans après l'entrée en vigueur du décret d'application (en avril 2010) de la loi 01-00 relative à l'accréditation des filières et à l'équivalence des diplômes, quel bilan pourrait-on tirer de ce processus qui a insufflé un vent d'optimisme chez les opérateurs de l'enseignement supérieur privé ? Il faut dire qu'au-delà du bilan quantitatif de ces accréditations qui est jugé considérable, beaucoup d'acteurs du secteur se posent des questions sur la qualité des formations objet de ce label donné par l'Etat, et, surtout, sur sa finalité, du moment que ce cachet étatique ne donne pas automatiquement droit à l'équivalence des diplômes. Rappelons d'abord que c'est la loi 01-00, dans son article 51, qui prévoit ces accréditations. «Les établissements d'enseignement supérieur privé, stipule cet article, peuvent être accrédités pour une ou plusieurs filières de formation par l'administration, sur proposition de la commission de coordination de l'enseignement supérieur privé. L'accréditation d'une filière de formation constitue une reconnaissance de qualité pour cette filière de formation. Elle est accordée pour une durée déterminée». Rappelons aussi que, selon le décret de 2011 fixant les conditions d'accréditation des filières, la demande doit être faite au plus tard le 31 janvier de chaque année, que cette accréditation est fixée pour une période égale au nombre d'années de formation nécessaires à la préparation du diplôme de ladite filière. Que le diplôme d'une filière accréditée est automatiquement reconnu par l'Etat. Mais attention, précise le décret d'application : un contrôle et un suivi sont effectués durant la période d'accréditation, toute entorse au cahier des charges est sanctionnée par le retrait de cette accréditation ; son respect, par contre, entraîne son renouvellement selon les mêmes conditions et modalités de son obtention. Quatre ans plus tard, il n'y a pas un établissement supérieur privé (école ou université) qui, chaque année, ne dépose pas des demandes d'accréditation de ses filières auprès de la Commission nationale de coordination de l'enseignement supérieur, laquelle soumet les demandes à la Commission nationale d'accréditation et d'évaluation. Cette commission reçoit chaque année jusqu'à 300 filières à accréditer, dans tous les domaines. Toutes les formations et options sont concernées : management et gestion des organisations, finance et comptabilité, marketing et vente, commerce international, ingénierie, santé…, et chaque établissement se targue d'avoir obtenu, ou en voie d'obtention du ministère, toutes les accréditations demandées. Bien entendu, certaines de ces accréditations sont assorties de recommandations, de réserves ou de demande d'un complément d'informations, que certaines écoles publient sur leurs sites. Mais le résultat est le même, ces accréditations obtenues sont pour, et selon tous les établissements, un gage de qualité, et cela étoffe la réputation de l'école auprès des étudiants et de leurs parents. L'accréditation permettrait des passerelles entre le public et le privé D'autant qu'une accréditation d'une filière devrait ouvrir automatiquement la voie à la reconnaissance de son diplôme, laquelle permettra des passerelles entre le secteur privé et les universités publiques. L'étudiant pourra alors, s'il le désire, poursuivre ses études en master ou en doctorat dans le public, et de postuler s'il le veut à un poste comme fonctionnaire de l'Etat au même titre que n'importe quel diplômé du public. L'article 52 de la loi 01-00 ne dit, en effet, pas autre chose : «Les diplômes décernés pour les filières de formation accréditées peuvent être admis en équivalence des diplômes nationaux, selon des modalités déterminées par voie réglementaire». Or, plus de quatre ans après le décret des accréditations, celui des équivalences n'a pas encore vu le jour, ce qui pousse les acteurs du secteur à se demander quelle serait finalement la valeur de ces accréditation si elles ne donnent pas droit à l'équivalence escomptée. Cette équivalence est bien prévue par loi, mais le ministre actuel de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Lahcen Daoudi, a jugé bon, «pour des raisons politiques», accusent certains, de geler ces équivalences, en se disant qu'en donnant les mêmes droits au système privé quel avantage restera-t-il au système public. Peut-être cette décision est-elle prise «pour ne pas créer une concurrence entre les lauréats du privé et ceux du public, du moins pour les quelques postes qui sont offerts au niveau de la fonction publique», constate Saâd Daoudi, recteur de l'Université privée de Fès (voir entretien). Cette décision est même considérée par certains comme un retour en arrière par rapport aux engagements antérieurs du ministère de tutelle. Les accréditations des filières ne donneront donc pas droit, et jusqu'à nouvel ordre, à l'équivalence. En revanche, ceux qui en auront droit sont les établissements supérieurs créés en partenariat public-privé, comme la prochaine université de Benguerir, ou encore l'Ecole Centrale de Casablanca. Les accréditations de filières sont supposées être une garantie du sérieux d'une formation, mais que vaudront-elles en réalité pour la carrière du lauréat d'une école supérieure privée ? Du moment que ce lauréat, comme l'affirme Saad Daoudi, «est essentiellement destiné à travailler dans le secteur privé, le secteur public, tout le monde sait qu'il est saturé et qu'il ne recrute quasiment plus». Cela étant, le processus des accréditations lui-même, depuis son lancement en 2011, a présenté quelques écueils, estiment les acteurs du système privé, et la Commission nationale de coordination de l'enseignement supérieur (CONCES) habilitée à étudier les dossiers n'est plus aussi vigilante qu'au début de sa mission. Cette commission, rappelons-le, est composée de membres de droit, de membres désignés et de membres élus par leurs pairs. C'est à elle qu'incombe la tâche de formuler un avis sur les projets d'ouverture d'établissements ou de nouvelles filières et d'établir les normes de qualité pour l'enseignement supérieur privé (voir encadré). C'est donc un organe de l'Etat dépourvu de toute autonomie. Au début, le ministère de tutelle, à travers cette commission, passait au peigne fin les dossiers, selon Abderrahmane Lahlou, opérateur dans le secteur pendant des années et expert en formation, «mais par la suite il laissait faire sans le contrôle nécessaire des professeurs censés enseigner dans ces filières et du mode d'évaluation dans ces filières. Le processus d'évaluation a bien débuté, mais le ministère n'est plus aussi vigilant qu'au début et accrédite tout ce qui tombe entre ses mains. Les équipes pédagogiques et académiques que le ministère a mis au service de ces accréditations sont faibles, en nombre et en compétences» (voir entretien). Résultat, une inflation des accréditations qui nuit à la qualité et à la réputation de l'enseignement supérieur privé. Le ministère, confirme Saad Daoudi, «faisait en effet appel à des experts qui n'ont pas les qualités requises, du moins pour nombre d'entre eux, pour faire une évaluation objective. Résultat, la valeur de ces expertises était entachée de risque d'erreur». En un mot, l'accréditation n'a pas joué son rôle sélectif, et n'est pas, comme on le souhaitait, un gage de qualité. Ce système a d'ailleurs souvent été pointé du doigt: la commission des accréditations est créée par le ministère lui-même, c'est elle-même qui délivre les accréditations et qui, en même temps, exerce le contrôle, comment pourrait-elle agir avec impartialité et indépendance ? Tout le monde attendait donc l'Agence nationale d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, elle-même prévue par la loi, c'est maintenant chose faite. Le texte de sa mise en œuvre est promulgué au mois d'août dernier et elle commencera bientôt son travail. C'est une agence indépendante disposant de moyens humains et matériels suffisants, créée par le Conseil supérieur de l'éducation. C'est elle désormais qui fera le contrôle et dans les deux secteurs, puisqu'elle est investie de l'évaluation du travail des établissements d'enseignement supérieur public et privé, mais aussi de la recherche scientifique (voir encadré). Elle aura donc la charge d'évaluer les cursus de formation en vue d'attribuer l'accréditation ou de la renouveler, l'évaluation de l'efficience des institutions de la recherche scientifique, les programmes de coopération universitaire dans les domaines de la formation, ainsi que les activités des centres d'études doctorales. La Commission nationale de coordination de l'enseignement supérieur (CONCES), elle, est maintenue, mais en limitant ses compétences à l'autorisation initiale des filières, et l'ouverture d'établissements. Le secteur de l'ESP s'en félicite, tout le monde, public et privé, devrait obéir désormais aux mêmes normes de qualité.