12 janvier 2010. Les professionnels du secteur de l'enseignement privé apprennent par la presse que le Conseil de gouvernement a adopté le décret d'application de la loi 01-00, portant sur l'organisation de l'enseignement supérieur. «Nous étions surpris de constater que les instances paritaires ne se sont pas réunies pour avoir le point de vue du secteur», lance Kamal Daissaoui, directeur général de l'Ecole marocaine des sciences de l'ingénieur (EMSI). Afin de manifester leur mécontentement, les élus de l'enseignement privé au Maroc (qui viennent de clore la première année de leur mandat) ont regroupé, pour la première fois, samedi dernier à Casablanca, les fondateurs d'établissements de l'enseignement privé (60% ont répondu à l'appel). Mais, étaient présents également les membres de la Commission de coordination de l'enseignement supérieur privé (COCESP), ceux de la Commission nationale de coordination de l'enseignement supérieur (CNACES) et ceux du Conseil supérieur de l'enseignement. L'intitulé de la rencontre-débat établit clairement ses objectifs. «Perspectives de l'enseignement supérieur privé au Maroc à l'orée de l'habilitation et des équivalences de diplômes». Véritable bric-à-brac «Votre école est-elle accréditée ? Vos diplômes sont-ils reconnus par l'Etat ?». Telles sont les questions habituelles (et légitimes) auxquelles ont droit, à chaque période d'inscriptions, les directeurs d'établissements privés. Les parents sont inquiets pour l'avenir de leur progéniture. Et pour cause, les diplômes des écoles privées n'ont pas la même valeur aux yeux de l'Etat que ceux délivrés par les établissements publics. Il est cependant possible de réparer cette injustice. On parle alors d'équivalence. Seulement, un diplômé d'une école privée ne peut prétendre à une équivalence de diplômes que dans des cas bien précis, et extrêmement rares. Mohamed Diouri, directeur général de l'Institut de génie appliqué (IGA) et élu de l'enseignement supérieur privé, cite des exemples récurrents. «Un étudiant qui depuis le bac a suivi ses études dans une école accréditée avec diplôme équivalent va obtenir automatiquement l'équivalence. Par contre, si cet étudiant ne s'inscrit qu'à partir de la 2e ou 3e année, l'équivalence va être étudiée». En effet, l'étudiant en question doit au préalable faire valider les années passées. Plus grave encore, «si l'étudiant vient d'une école où son cursus n'est pas accrédité, bien qu'il soit diplômé, il n'aura pas l'équivalence». Concrètement, une fois arrivé au seuil du monde du travail, cela lui fermera l'accès au secteur public. L'inscription à un doctorat d'Etat est également à mettre aux oubliettes. Le rapprochement avec le monde de l'entreprise : la force du privé Face à cette inégalité de traitement entre les étudiants du privé et ceux du public, les fondateurs et directeurs d'écoles privées étalent leurs points forts. «Réactivité et souplesse constituent nos forces, que l'on se doit de préserver. Nous sommes proches des réalités de l'entreprise». Cette remarque qui revient dans la bouche de plusieurs professionnels du secteur a sa part de vérité. Au sein des universités publiques notamment, les stages pratiques dans les entreprises ne sont pas imposés, et les professeurs dispensent des cours magistraux à un parterre d'étudiants pas toujours attentifs. Même si cette réalité s'est atténuée depuis la réforme de l'enseignement supérieur public, qui a augmenté le nombre de modules dispensés en petits groupes. 30 à 40% de professeurs permanents, mission impossible L'infiltration du pratique par le théorique est aujourd'hui remise en question, la loi 01-00 imposant à ces établissements un quota de 30 à 40% de professeurs permanents. Deux problèmes se posent alors. D'une part, cela diminuera le nombre de professionnels qui viennent apporter une touche pratique à l'enseignement prodigué. D'autre part, les professeurs permanents doivent obligatoirement être diplômés d'Etat. Or, ces derniers préfèrent justement travailler pour l'Etat, stabilité, sécurité de l'emploi et salaires en augmentation progressive et garantie sont des éléments alléchants. «Le plus souvent, ces enseignants font des vacations dans le privé». Ce qui ne résout pas le problème des 30 à 40%. Mohamed Diouri propose une solution à laquelle plusieurs ont déjà pensé. «Pourquoi ne pas nous donner la possibilité de recruter nos propres étudiants ?». Mais l'Etat reste muet face à ces possibilités. Tout n'est pas rose dans le privé Et il a ses raisons, qu'il ne dévoile peut-être pas, mais dont certaines sont claires. L'article 36 de la loi 01-00 en donne un aperçu. «L'enseignement supérieur privé remplit, à côté de l'enseignement supérieur public, une mission de formation, d'accès à la culture et à la technologie et de promotion du progrès et de la recherche scientifiques». En d'autres termes, le secteur privé vient compléter l'enseignement supérieur public, mais ne s'y substitue pas pour autant. Les écoles privées, qui poussent comme des champignons ces dernières années, jusqu'à nous désorienter avec leurs multiples sigles, ne correspondent pas toujours au portrait reluisant que leurs responsables en font. Les programmes se rapprochent énormément de ceux des établissements publics. Les professeurs sont d'ailleurs souvent les mêmes, et leur absentéisme ne se dématérialise pas aux portes du privé. «Dans l'école d'informatique où j'ai étudié, les professeurs s'absentaient souvent. Et personne ne craignait de redoubler, le taux de réussite frôlait toujours les 100%», nous avoue un ancien étudiant. Il en va de la réputation de l'établissement. Mais au-delà de ce débat public-privé, l'Etat devrait se concentrer sur la généralisation à l'accès à l'éducation de qualité, quel que soit le tarif. Fusionner les points forts des deux parties pourrait constituer la solution idéale. L'un des participants à la rencontre de samedi dernier a évoqué une idée forte intéressante, qui mettrait réellement ces étudiants sur le même pied d'égalité : organiser des examens nationaux ouverts à tous, étudiants des deux bords. Et que le meilleur gagne ! Loi 01-00, les articles qui fâchent Sur les cent articles qui constituent la loi, trente sont consacrés à l'enseignement supérieur privé. Certains éléments font rager les professionnels du secteur privé. L'article 51 en fait partie. Il évoque l'accréditation des filières de ces écoles, mais pas de l'école dans son ensemble. Et quand bien même cette accréditation serait accordée, elle le serait «pour une durée déterminée», proportionnelle à celle de la formation dispensée au sein de l'établissement en question. Le retrait de l'accréditation est décidé par arrêté de l'autorité gouvernementale chargée de l'enseignement supérieur. Autre point douloureux, celui portant sur l'équivalence de diplômes. Ces derniers «peuvent être admis en équivalence avec les diplômes nationaux selon les modalités prévues par voie règlementaire» (article 52). Celles-ci, souvent draconiennes, découragent les gérants de ce type d'établissements, qui n'ont d'autre choix que de s'y résoudre, en attendant un éventuel changement. Khalid Benzakour : Directeur régional de l'Institut de génie appliqué (IGA) de Casablanca L'enseignement privé se distingue par sa capacité à s'adapter aux besoins du marché. J'ai cependant une crainte, que cette équivalence ne soit un frein à ce développement. Si on doit attendre des années avant d'espérer qu'une nouvelle filière ne soit accréditée, cela va mettre fin à la créativité. Ceci est désolant lorsque l'on sait que certains établissements publics ont débuté leurs activités sans local, et sans professeurs permanents. Et pourtant, cela n'empêche pas leurs diplômes d'être reconnus par l'Etat. Nabila Lahlou : Directrice et fondatrice de l'école SUP Santé (nutrition et paramédical) Lorsqu'on a 1.000 étudiants, on peut respecter le pourcentage de 30 à 40% de professeurs permanents. Ce n'est pas que nous ne trouvons pas d'enseignants, mais nous ne pouvons pas atteindre ce pourcentage. Un professeur de chimie va enseigner de la chimie, il n'enseignera pas d'autres matières. Si les étudiants sont peu nombreux, il y aura des classes de travaux dirigés, et à ce moment-là, un enseignant pourra passer dans différentes classes pour dispenser son enseignement. Mais si l'effectif est important, cela ne pourra pas se réaliser. Si ce n'est que sur ce point-là, j'ai bien peur que nous ne soyons jamais accrédités. Mouhsine Berrada : Directeur général de l'Institut polytechnique Je me pose la question suivante : quelle est la position de l'enseignement privé au Maroc ? Est-ce que le ministère de tutelle veut de lui ou pas ? L'évolution des évènements démontre qu'un signal nous a été envoyé. Nous n'avons pas été associés à l'application du décret. C'est comme si on avait organisé un match de football en conviant uniquement l'arbitre et une des deux équipes. La loi 01-00 a prévu que l'enseignement privé représente 20% de l'enseignement supérieur global. Nous sommes aujourd'hui à 5%. Si ça se poursuit, cette tendance sera revue à la baisse.