Les avocats, les huissiers, les adouls, les notaires et les magistrats ne sont pas contents du texte en projet. Mais c'est bien le patron de la rue Mamounia à Rabat qui décide, et s'il est, lui, content et satisfait, qu'importe les récriminations des professionnels du Droit. Après tout, ils ne sont pas ministres ! L'un des grands chantiers en cours concerne la réforme de la Justice. Les réunions vont bon train, nous annonce-t-on, les différentes parties intéressées participent activement, en donnant des avis, suggérant des idées, ou faisant des propositions. Le ministre est confiant, assurant progresser et affirmant boucler les travaux de la commission avant fin 2013, afin que la réforme puisse être progressivement mise en place dès 2014. Or, dans ces mêmes colonnes, j'ai souvent émis des réserves sur ce planning, qui semble, aux yeux de la majorité des professionnels du droit, peu probable à tenir. Apparemment, les faits semblent confirmer cette hypothèse car, malgré les communiqués rassurants, la réalité est tout autre, comme la presse s'en est d'ailleurs fait l'écho. Revue de détail. Commençons par les avocats, qui, après concertations, ont fait savoir qu'ils n'étaient pas contents, et n'approuvaient pas le texte de la future loi les concernant. Motif du désaccord ? Il y en a deux : d'abord, la fixation de barèmes dérisoires pour les honoraires applicables en matière d'assistance judiciaire, payés par la Trésorerie Générale : il faudra alors patienter quelques années pour toucher 2 000 DH pour un dossier qui aura nécessité des mois de procédures, d'audiences et d'actes juridiques en tous genres. Inadmissible ! Autant que l'idée saugrenue de faire participer aux délibérations des Conseils de l'ordre en matière disciplinaire, un représentant du parquet ! Et pourquoi pas le Secrétaire général de l'ONU, tant qu'on y est ? Donc avocats, pas contents. Les notaires et adouls viennent de faire une grève des «mariages» pendant quelques jours. Et comme les notaires sont aussi collecteurs d'impôts pour le compte de l'Etat, ce sont quelques milliards de dirhams en moins pour le Trésor public. Motif de la grogne : on veut mieux les encadrer au niveau financier, et surtout permettre aux agents d'affaires de venir empiéter sur leurs prérogatives. Complètement farfelu. De là à autoriser les écrivains publics à marier les gens, ou rédiger des contrats de fusion/acquisition entre sociétés, il n'y a qu'un pas. Inconcevable. De leur côté, les huissiers de justice, indispensables pour le bon fonctionnement des tribunaux, ne sont pas contents du tout. Ils estiment dérisoires les montants fixés pour la rémunération de leurs prestations. Une notification de jugement, effectuée à El Jadida ou Settat, coûte plus cher que celle effectuée à Ain Sebaâ ou Anfa : il y a le coût du déplacement, le temps passé, et les frais divers. Estimer et facturer l'ensemble à moins de cent dirhams apparaît pour le moins léger. Ça c'est pour les métiers dits «auxiliaires de justice», mais qu'en est-il des greffiers et des magistrats ? Les premiers font la tête : nul n'a oublié les grèves à répétition des derniers mois. Leurs revendications sont légitimes : amélioration des conditions de travail, revalorisation des salaires, transparence et équité dans les décisions de transferts ou mutations. A défaut d'adopter un statut clair des secrétaires-greffiers, le ministère colmate les brèches au coup par coup, et nul ne peut affirmer qu'il n'y aura plus de grèves perturbatrices. Quant aux magistrats, leurs déclarations sont limpides. Pour le président du Club des magistrats au Maroc (et c'est un monsieur sérieux) : «Nous avons beaucoup de remarques et critiques concernant la mouture préparée par le ministère… et beaucoup d'autres remarques au sujet de ces textes». S'il le dit, il doit savoir de quoi il parle. Pour le président de l'Amicale Hassania des magistrats (un homme compétent) : «La vision des magistrats est tout autre»* (Ah bon ? Ils n'ont pas été consultés ?). Bref : les avocats, les huissiers, les adouls, les notaires et les magistrats ne sont pas contents du texte en projet. C'est l'équivalent du vaudeville français : le château brûle, après avoir été cambriolé, les écuries sont en ruine, les chevaux se sont enfuis, et le personnel est en grève. Mais à part ça, tout va bien, Madame la Marquise. Après tout, c'est bien l'Honorable patron de la rue Mamounia à Rabat qui décide, et s'il est, lui, content et satisfait, qu'importe les récriminations des professionnels du Droit. Après tout, ils ne sont pas ministres !