Le vendredi est réservé aux justiciables qui n'ont point d'avocats : ils viennent personnellement s'enquérir de leurs dossiers, mais, là , ils ont alors affaire à des fonctionnaires fatigués par trois jours de grève, qui attendent avec impatience 11 h 30, pour aller prier… ou vaquer à d'autres occupations et très peu d'entre eux reviennent au bureau vers 15 h. Depuis maintenant plus d'une année, le secteur de la justice fonctionne au ralenti. Quelque 55 mouvements de grève ont considérablement perturbé les différents tribunaux du pays, qui ne travaillent quasiment que deux jours par semaine, les lundis et vendredis. Or, le premier jour de la semaine, les différents tribunaux sont littéralement pris d'assaut par les professionnels du droit (avocats, experts, notaires, conseillers juridiques…) qui viennent en masse pour essayer de régler un dossier ou vérifier une procédure. Les fonctionnaires sont alors vite submergés par le nombre, et ne peuvent traiter que quelques demandes. Mardi, mercredi et jeudi sont jours de grève : les couloirs des tribunaux sont déserts, les bureaux fermés et les fonctionnaires absents. Justiciables et avocats tournent alors en rond, devant des magistrats imperturbables : car ces derniers, eux, ne sont pas touchés par le mouvement de protestation… Mais ils ne peuvent tenir d'audience, faute de greffiers ! Le vendredi, lui, est traditionnellement réservé aux justiciables qui n'ont point d'avocats : ils viennent personnellement s'enquérir de leurs dossiers, mais là, ils ont alors affaire à des fonctionnaires fatigués par trois jours de grève, qui attendent avec impatience 11 h 30, pour aller prier… ou vaquer à d'autres occupations et très peu d'entre eux reviennent au bureau vers 15 heures. La raison de ces grèves successives repose sur des revendications sociales comme l'amélioration des conditions de travail, l'augmentation des salaires ou l'adoption d'un statut particulier pour les greffiers et autres fonctionnaires. Et si les motifs sont raisonnables et logiques, la méthode employée pour les obtenir n'en est pas moins critiquable, car c'est le citoyen lambda qui en souffre le plus. Prenons le cas d'un citoyen résidant à Marrakech qui reçoit une convocation pour une audience se déroulant à Casablanca. Le voici donc mardi dernier au tribunal de première instance, salle 7, en attente du début de l'audience, prévue pour 9 heures. Ce n'est que vers 11h15 qu'un appariteur fera son apparition, pour signaler à la cantonade que tous les dossiers enrôlés pour ce matin sont renvoyés à une date ultérieure. «Vous recevrez des convocations», assure-t-il, à la foule. Pour notre citoyen c'est une journée de travail gâchée, sans compter (rappelons qu'il réside à Marrakech) des frais divers élevés dont il se serait bien passé. Plus chanceux, moins chanceux? Ici c'est une jeune étudiante qui attend l'audience concernant l'accident de circulation dans lequel elle est impliquée. Dans son cas, c'est un simple chaouch qui préviendra les personnes présentes que le dossier est renvoyé au… 6 mai 2011 ! Ailleurs, ce sont des dizaines de citoyens , désireux de récupérer des documents importants, qui effectuent depuis des mois des allers-retours, en vain. Mais ce genre de grèves à répétition peut aussi avoir de bons côtés pour certains : c'est un couple en instance de divorce depuis l'été 2009. De procédures en conciliation en reports divers, d'audiences annulées en enquêtes supprimées, de convocation à convocation, et à force de se retrouver dans le hall du tribunal chargé des affaires matrimoniales devant, le plus souvent, des bureaux fermés pour cause de grève, les époux fâchés ont renoué une certaine complicité, et finalement décidé d'abandonner la procédure judiciaire et de continuer leur vie de couple ! Ainsi la situation est devenue explosive et difficile pour tout le monde. En effet, faire grève c'est bien et c'est prévu par la Constitution. Mais dans d'autres pays, le droit de grève ne doit pas faire obstacle au droit au travail pour ceux qui le veulent ; il ne doit pas affecter la notion de continuité du service public, ni prendre en otages les usagers de l'administration. Et tout est prévu, y compris le droit de réquisition, utilisé par les autorités pour empêcher une paralysie totale du service public. Au Maroc rien de tel n'existe, du moins si l'on en juge par les effets des grèves. Les fonctionnaires font ce qu'ils veulent, l'Etat assiste impuissant à ces mouvements répétitifs, et se borne à déclarer que des négociations sont en cours. Où, avec qui, sur quels sujets, avec quels résultats ? Nul n'en sait rien, nos gouvernants n'étant pas de grands communicants. En attendant, les professionnels de la justice en souffrent : comment se faire payer des honoraires par un client, pour un dossier qui somnole depuis quinze mois ? Comment réclamer des avances sur frais, alors que l'on n'est pas capable d'obtenir une copie de jugement ? Que dire au client qui s'étonne de ces multiples reports d'audience, et qui voit son affaire s'éterniser, sans même progresser ? Il serait temps que les pouvoirs publics sortent de leur (profonde) léthargie, et prennent les mesures qui s'imposent, avant que la situation ne pourrisse davantage au risque d'une extension du conflit à d'autres catégories professionnelles, qui estimeraient que, finalement, ce qu'ont fait les fonctionnaires de la Justice, devrait les inspirer pour la défense de leurs propres intérêts sectoriels. Il n'y aurait alors pas que les greffiers qui seront en grève, mais aussi les agents de l'Administration pénitentiaire, les huissiers, les experts…et même les chaouchs et appariteurs qui s'y mettraient, paralysant alors totalement le système judiciaire du pays.