A l'ouverture de la session d'automne, beaucoup de questions en suspens devront être tranchées en urgence. A l'ordre du jour, les séances de questions orales, l'intervention du chef du gouvernement, les prérogatives législatives… Des textes majeurs bientôt devant les élus : régionalisation, justice, loi organique des finances… Le Parlement entame, ce vendredi 11 octobre, sa troisième année législative dans une ambiance générale de scepticisme. La longue crise de six mois que vient de vivre le gouvernement jettera certainement son ombre sur ce début de la session d'automne. «Cela va certainement influer sur la cadence du travail du Parlement», confie un député socialiste. La production législative de l'Exécutif y est pour beaucoup. Mais ce n'est seulement pas cela qui risque de plomber le travail des élus, du moins pendant ces prochains mois. Les changements qu'entraîne la formation de la nouvelle majorité impliquent nécessairement certains réglages avant le redémarrage de la machine. Si le changement à la tête de la première Chambre, pour le moment, n'est pas à l'ordre du jour, il n'en est pas de même pour les commissions, notamment celle de la justice que préside le RNI et qui devra revenir de droit à l'opposition. Certains points litigieux restés en suspens devraient également mobiliser les efforts des élus pour les résoudre. Et pour commencer, la première Chambre attend toujours l'entrée en vigueur de son nouveau règlement intérieur. Avec l'ouverture de la session d'automne ce vendredi la commission chargée d'élaborer ce règlement intérieur aura déposé sa copie revue et améliorée, à la lumière des dernières recommandations du Conseil constitutionnel, auprès du bureau de la Chambre. C'est que le texte approuvé début août n'a pas pu satisfaire les juges du conseil. Ces derniers ont désapprouvé et émis des observations sur une quarantaine d'articles sur un total de 249. Entre autres points non encore tranchés, la gestion du passage mensuel du chef du gouvernement devant les deux Chambres. Le désaccord sur cette question a atteint un point de non-retour, l'opposition ayant fini, rappelons-le, par boycotter les derniers passages d'Abdelilah Benkirane devant le Parlement pour marquer sa position. Lois organiques : les députés ne renoncent pas Le partage du temps d'intervention, tel qu'il avait été effectué, accordait la moitié de la durée au chef du gouvernement, l'autre moitié est répartie à égalité entre la majorité et l'opposition. La mouture du règlement intérieur entérinée en séance plénière le 1er août a bien tenté de trouver une solution médiane en répartissant à parts égales le temps d'intervention entre le gouvernement, la majorité et l'opposition (art. 106). Le conseil a vu d'un bon œil le fait que les députés aient veillé à réserver le même traitement à la majorité et à l'opposition, ce qu'il considère une interprétation positive de l'article 10 de la Constitution. Il a estimé, toutefois, dans sa décision du 22 août, contraire à la loi suprême le fait de réserver au chef du gouvernement le tiers de la durée de temps d'intervention. Nous revoilà donc revenus à la case départ. L'opposition, la majorité et le gouvernement représenté par le ministère chargé des relations avec le Parlement sont pressés de trouver une solution qui puisse satisfaire tout le monde avant que cette question ne vienne envenimer, de nouveau, l'action parlementaire et surtout en cette session de laquelle on attend beaucoup. Une autre question, tout aussi polémique risquera d'entacher le démarrage de cette session. Il s'agit du sort réservé aux propositions de lois organiques présentées par les élus. L'article 123 du nouveau règlement intérieur de la Chambre précise bien que les députés peuvent présenter des lois organiques. Le Conseil constitutionnel n'y trouve rien à redire. Sauf que le gouvernement s'apprête à déposer au Parlement, entre autres, un projet de loi organique relatif à la Constitution et au mode de fonctionnement des commissions d'enquête parlementaires. Seul hic, la commission de la justice, de législation et des droits de l'homme à la première Chambre planche déjà depuis des mois sur un texte présenté par le RNI et le PJD. Le ministre chargé des relations avec le Parlement, Lahbib Choubani, a lui-même contribué activement à l'évolution du débat sur ce texte et assuré à maintes reprises que le gouvernement n'avait pas l'intention de présenter un texte dans le même sens. Et ce n'est qu'un exemple. Il faut dire que la polémique sur le partage des attributions de législation entre le gouvernement et le Parlement date de bien avant la présentation de ce texte pour validation au conseil du gouvernement. L'agenda législatif du gouvernement tel que déposé au Parlement, au début de l'année, avait laissé entendre que l'Exécutif avait l'intention de s'arroger l'essentiel de ces attributions. Il faut d'ailleurs noter en ce sens que sur les 94 propositions de lois présentées au Parlement, celles qui ont pu atteindre le stade de l'adoption se comptent sur les doigts d'une main. Cette situation qui coïncidait avec le départ de l'Istiqlal a été à l'origine de la fameuse altercation entre le président de la première Chambre et le chef du gouvernement. Cela a failli dégénérer en crise entre les institutions, le gouvernement et le Parlement en l'occurrence. Députés, vous êtes filmés En parlant de crise, une autre se profile au sein même de l'institution parlementaire s'il n'est pas mis un terme au différend entre les deux Chambres sur la programmation des séances de questions orales. Le nouveau règlement intérieur prévoit, en effet, de glisser d'une journée le rendez-vous de la séance hebdomadaire des questions orales. Elle aura désormais lieu un mardi et non plus lundi comme c'est le cas depuis l'ouverture de l'actuelle législature. Seulement, c'est le même jour où la Chambre des conseillers tient sa propre séance depuis… 16 ans. Les responsables des deux Chambres ont intérêt à résoudre ce problème avant qu'il ne dégénère en crise. Aux dernières nouvelles, une commission conjointe s'est penchée sur la question et est arrivée à une solution médiane selon laquelle les deux Chambres se partageront l'après-midi du mardi et se mettront d'accord sur les questions de manière à faciliter la tâche aux ministres. A rappeler que les séances des questions orales, d'une durée variant entre une heure et demie et trois heures, font intervenir une dizaine de départements ministériels en moyenne pendant chaque séance. En restant dans le volet organisation, l'année législative qui s'ouvre ce vendredi connaîtra quelques nouveautés. Les citoyens découvriront pour la première fois les députés à l'œuvre en commission. Une partie des travaux des neuf commissions parlementaires (elles étaient huit auparavant) sera retransmise directement à la télé. A chaque fois qu'il leur est reproché leur manque d'assiduité pendant les séances plénières, les élus ont l'habitude d'arguer que l'essentiel de leur travail se fait dans les commissions. Ils auront donc là l'occasion de le prouver. C'est que l'absentéisme et la transhumance ont été, durant des années, deux tares immuables dont a longtemps souffert notre institution parlementaire. La Constitution a corrigé, d'une manière drastique, le fléau de la transhumance (art. 61). Le parlementaire qui change de parti est automatiquement déchu de son mandat. Pour ce qui est de l'absentéisme, en revanche, il y a encore du chemin à faire. Le nouveau règlement intérieur prévoit une série de sanctions, mais ce n'est pas suffisant. En effet, l'article 99 prévoit un avertissement, en premier, puis la publication des listes d'absents en second lieu et, en cas de récidive, la ponction de l'équivalent du nombre des jours d'absence sur les indemnités des élus. Ces sanctions figuraient déjà dans l'ancien règlement intérieur, mais aucun président ne s'est jamais aventuré à les mettre en œuvre. Voilà pour la forme. Ces lois qui ne peuvent plus attendre Côté fond, les députés auront certainement du pain sur la planche. Cette année sera sans doute très riche en production législative. Le conseil des ministres qui devrait être réuni pour entériner les grandes lignes de la Loi de finances 2014 devrait également valider une série de projets de lois organiques. Il s'agit plus particulièrement de la loi organique du gouvernement, celle relative au fonctionnement des commissions d'enquête parlementaires et la loi organique relative à la Cour constitutionnelle. Les trois textes ont été adoptés par le conseil du gouvernement depuis la mi-juillet, soit quelques jours avant le démarrage des négociations de formation du gouvernement Benkirane II. Ceci pour démarrer la session. Bien sûr, le projet de Loi de finances accaparera toute l'attention des parlementaires. Mais rien n'empêche, comme le fait savoir ce député de la majorité, que les commissions, une fois terminé l'examen des budgets partiels des ministères qui relèvent de leurs compétences, planchent sans plus attendre sur les autres textes de loi. «Ce n'est qu'une question de volonté et d'organisation», soutient-il. Les parlementaires pourraient, de même, mettre à profit le temps que le projet de budget séjourne chez les conseillers, pour avancer dans le débat et l'examen des autres textes. Parlant des autres textes, le projet de Loi de finances, actuellement en préparation, prévoit déjà deux séries de textes. La lettre de cadrage adressée par le chef du gouvernement aux membres de son équipe évoque, en effet, la mise en œuvre de la régionalisation et de la réforme de la justice. La première implique l'adoption de la loi organique relative aux collectivités territoriales, leurs attributions, leur organisation leur mode de fonctionnement leur rapport avec le gouvernement central. Bref, c'est un véritable recueil de lois que les élus doivent s'atteler à mettre en œuvre dès cette rentrée parlementaire pour être prêt avant l'organisation des élections locales prévues en juin 2015. Pour ce qui est de la justice, il s'agira principalement de la mise en place du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et du statut des magistrats. Cela en plus d'une série de textes nécessaires pour donner corps au processus de réforme de la justice dont les contours ont été dessinés par les recommandations du dialogue national sur la réforme de la justice. Autres textes majeurs que les élus sont tenus d'aborder sans tarder, la loi organique des finances et bien d'autres textes comme la loi organique relative à la mise en œuvre de l'officialisation de la langue amazighe et la loi organique relative au Conseil supérieur de l'enseignement. Un projet de texte concernant cette institution a, d'ailleurs, été adopté par le conseil du gouvernement le 19 septembre dernier. L'opposition en front commun Outre ces textes, les élus devraient également plancher sur quelques-unes parmi les 90 propositions de lois qui traînent encore devant les commissions, ne serait-ce que pour se conformer à la Constitution qui consacre une journée par mois à l'examen et l'adoption de ce type de textes. En tout, ce sont quelque 117 textes de loi, entre projets et propositions, actuellement devant les commissions, qui attendent d'être examinés et adoptés. Quant à la nature du débat parlementaire, il faut s'attendre à un changement palpable. Le passage de l'Istiqlal dans l'opposition apportera certainement un nouveau souffle à cette dernière. En tandem avec l'USFP et en coordination avec le PAM, seul parti qui est resté jusque-là en dehors du pugilat politico-politicien que se sont livré les principales forces politiques ces derniers temps, ils vont redonner vie à l'opposition. Pour ce faire, les deux anciens alliés de la Koutla et partenaires au gouvernement pendant 13 ans ont déjà atteint un stade très avancé dans leur rapprochement. Ils ont même présenté un candidat commun lors des dernières élections partielles à Moulay Yaâcoub et Settat. A en croire un député socialiste, ils vont passer incessamment à la vitesse supérieure. En effet, les groupes parlementaires des deux partis devraient multiplier les rencontres de coordination, au menu des amendements commun du projet de Loi de finances, mais également d'autres textes à venir, des questions orales concertées et des votes en commun de textes de loi, voire des initiatives législatives communes. Serait-ce un avant-goût de l'opposition d'avant le gouvernement de l'alternance de 1998 ? Les prochains jours nous le diront.