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Maroc : Le Parlement paralysé par la crise
Publié dans La Vie éco le 14 - 06 - 2013

Quatre sessions parlementaires de perdu, un gà¢chis en termes de temps législatif.
Le débat entre l'opposition et le gouvernement sur l'article 100 de la Constitution est dans l'impasse. Les parlementaires réclament leur droit à la législation et exigent la programmation de leurs propositions de loi.
Une crise latente est bel et bien installée au Parlement. Et ce ne sont pas les séances régulières des questions orales de chaque semaine, sujettes elles-mêmes à de fréquents accrochages, qui diront le contraire. Le Parlement, haut lieu de législation et de contrôle du gouvernement, fait, le plus souvent, office de théâtre pour les bagarres entre opposition et majorité et entre opposition et gouvernement. Le récent boycott des partis de l'opposition du passage du chef du gouvernement devant la première Chambre, le 31 mai, est une manifestation extrême de ce malaise. Autre signe, leurs homologues de la deuxième Chambre, eux, n'ont toujours pas tranché pour la séance du 19 juin prochain. L'opposition, organisée dans une coordination que préside le conseiller FDT Mohamed Dîidâa, ne s'est pas encore décidée si elle boycottera ou non la scéance. La réunion du bureau de la Chambre, des groupes parlementaires et du gouvernement représenté par le ministre chargé des relations avec le Parlement, Lahbib Choubani, mardi 11 juin, s'est terminée en queue de poisson, confie une source de la deuxième Chambre.
Et la situation n'est pas près de s'améliorer en ces moments où les représentants de la nation s'apprêtent à rouvrir un dossier qui est loin de faire l'unanimité : le règlement intérieur de la première Chambre. Le Parlement fonctionnait avec un règlement transitoire, depuis dix-huit mois, soit bientôt deux années législatives, qui devrait être revu dans les quelques semaines à venir. La date de la révision du document est, en effet, prévue pour cette mi-juin. Une sous-commission ad hoc a planché sur un nouveau texte pendant plus de deux mois. Une première mouture a déjà été remise aux différents groupes parlementaires. Malgré ce travail assidu, une question reste en suspens : comment organiser le passage, sujet à controverse, du chef du gouvernement devant la première Chambre, dans le cadre de l'article 100 de la Constitution ?
Un différend constitutionnel
Le statut de l'opposition, élevé à un rang supérieur par la nouvelle Constitution, divise lui aussi les deux bords de l'hémicycle. Le premier texte, soit dit en passant, a été invalidé, pour une grande partie, par le Conseil constitutionnel. La Chambre n'avait pas jugé bon à l'époque de revoir sa copie, se contentant de fonctionner avec la partie agréée par la justice constitutionnelle. Le débat est à peine relancé et l'on est encore bien loin d'un accord entre les deux parties, le gouvernement et sa majorité et l'opposition.
Les deux parties sont, en effet, partagées sur deux points : le choix des thèmes sur lesquels le chef du gouvernement devait être questionné et le temps alloué à chaque partie. L'opposition ne voit pas d'un bon œil que le gouvernement impose, lui-même, le thème sur lequel il souhaite être interrogé. L'USFP, tout comme le RNI et le PAM, pour ne citer que ces partis, y voient surtout une tentative de brider l'opposition.
Le deuxième point est, de loin, le plus problématique. Abdelilah Benkirane vient d'affirmer, lors d'une réunion interne de son parti, qu'il a décidé de reprendre ce qui lui revient de droit. Le chef du gouvernement dit avoir fait une concession au début, pour faire avancer les choses, mais dorénavant, il n'est plus question de continuer de la sorte. La formule actuelle du partage du temps d'intervention veut que la durée soit divisée à parts égales entre opposition, majorité et chef du gouvernement. Le chef du gouvernement réclame aujourd'hui la moitié du temps, quitte à ce que les parlementaires se partagent la seconde moitié, 50% pour la majorité et 50% pour l'opposition. Evidemment, sur cette position, il est assuré de l'adhésion complète de sa majorité. La Constitution ne parle-t-elle pas de «séparation et d'équilibre des pouvoirs ?», laisse-t-on entendre auprès du parti au pouvoir. Ce qui sous-entend que le gouvernement a droit au même volume horaire que le Parlement.
L'opposition, elle, réclame 50% du temps de la séance et que le chef du gouvernement et sa majorité se partagent le reste. En fait, les partis de l'opposition ne souhaitent pas reparler de la notion de proportionnalité consistant à accorder à chaque groupe un temps de parole proportionnel au nombre des députés qui le forment. «La proportionnalité ne vaut que pour la formation du bureau de la Chambre, c'est la seule fois où le texte constitutionnel l'évoque», affirme un député socialiste. Autrement, «il faut se référer à l'esprit de la Constitution qui accorde une place particulière, dans son article 10, à l'opposition». L'opposition exige donc d'être traitée d'égal à égal avec la majorité. Seulement, encore une fois, pour que l'opposition puisse mieux s'acquitter de sa mission, cet article renvoie à une loi organique, qui n'a toujours pas vu le jour, ou au règlement intérieur de la Chambre qui est encore en sa phase transitoire.
Au-delà des questions techniques, la crise est plus profonde
Cela dit, les formations de la majorité, le PJD en la personne de son chef de groupe parlementaire Abdallah Bouanou notamment, fait noter que c'est pourtant cette même règle de proportionnalité qui permet aujourd'hui à l'opposition de présider quatre commissions permanentes sur les huit existantes. Pour le PJD, l'article 10 de la Constitution ne parle que de la commission de la justice alors que le règlement intérieur de la Chambre ne parle que de deux commissions, tout au plus. Là encore, la réponse de l'opposition est toute prête : «Dans les deux cas, il faut entendre le minimum que l'on doive d'accorder à l'opposition», soutient ce député socialiste. Visiblement, le débat mène droit à l'impasse. Ne parlons même pas de l'article 101, sur lequel aucune des deux parties, gouvernement et Parlement, n'ont encore trouvé un terrain d'entente quant à son mode d'application. Là encore, nous sommes devant deux positions nettement divergentes. L'opposition estime que le chef du gouvernement est tenu de présenter, à sa propre initiative, son bilan d'étape annuel. La majorité, elle, estime que c'est une autre interprétation de la Constitution qui ouvre la voie devant les députés pour réclamer la présentation dudit bilan par le chef du gouvernement au Parlement. «Il suffit de présenter une motion signée par le tiers des membres du Parlement et le chef du gouvernement se donnera un plaisir à y répondre», laisse-t-on entendre auprès du groupe du PJD. Il faut dire aussi que les deux articles, ou plutôt leur mise en œuvre, présentent une problématique qui dépasse ces considérations techniques. Les formations de l'opposition ne tolèrent plus que ce passage devant le Parlement soit transformé en tribune par le chef du gouvernement pour s'adresser directement aux citoyens en ignorant les députés qui sont pourtant là pour le questionner.
Autre question qui préoccupe tant les formations de l'opposition : le devenir de leurs propositions de loi. Là encore, la Constitution est claire : l'article 82 accorde au moins une journée par mois à l'examen des propositions de loi, dont celles de l'opposition.
Les élus, rien que ceux de la première Chambre, en sont déjà à plus de 70 propositions de loi. Une seule a pu voir le jour depuis les élections de novembre 2011. A côté de cette prolixité législative, le gouvernement fait, lui, du surplace. Entre-temps, il «gonfle» son bilan avec des conventions et traités bilatéraux internationaux. Pour le reste, les projets de décrets continuent de meubler largement l'ordre du jour des réunions hebdomadaires du conseil de gouvernement. Cela alors que les parlementaires attendent toujours deux textes de loi organiques des plus prioritaires : celui qui spécifie les modalités d'exercice de l'opposition de ses droits (art.10) et celui qui porte sur l'organisation des commissions d'enquêtes parlementaires. Soit deux outils urgents qui permettraient aux élus d'exercer pleinement les pouvoirs que leur confère la nouvelle Constitution.
A part les questions orales, tout est au point mort
Même les commissions d'information, instruments moins lourds que les commissions d'enquêtes, qui permettent aux parlementaires de s'enquérir du bon fonctionnement d'un secteur, d'une administration ou d'un établissement public sont, pour le moment, à l'arrêt. Et pour cause, confie une source au Parlement, «elles commencent à être déviées de leur mission et se transformer en instrument de règlements de comptes entre adversaires politiques. Du coup, le bureau de la Chambre et les groupes parlementaires envisagent de revoir leur mode de fonctionnement pour éviter d'éventuelles dérives». En attendant, parlementaires et gouvernement n'ont pas trouvé mieux que de s'accuser mutuellement de bloquer la Constitution. Lahbib Choubani, ministre chargé des relations avec le Parlement, a, en effet, accusé l'opposition d'entraver la mise en œuvre de la Constitution, lors d'un récent meeting de la jeunesse de son parti à Casablanca. Le ministre faisait référence à sa décision de boycotter la séance mensuelle des questions de politique générale adressées au chef du gouvernement. L'opposition ne se laisse pas faire : les groupes parlementaires des quatre partis qui la forment (RNI, PAM, USFP et UC) se préparent, affirme une source parlementaire, à répondre à cette offense. Pour ne pas arranger les choses, l'actuelle crise du gouvernement que M.Benkirane vient de qualifier, pour la première fois, de «crise politique», jette son ombre sur l'hémicycle. Ce sont, en effet, les députés de l'Istiqlal qui se sont empressés de camper le rôle de l'opposition au moment où cette dernière a décidé de faire faux bond au chef du gouvernement. De quoi rendre les choses encore plus floues.
En définitive, alors que l'on s'apprête à boucler, dans moins de deux mois, la session de printemps de la deuxième année de cette législature, nous sommes toujours quelque part au point de départ. Et c'est une perte en temps législatif au moment même où la Constitution fixe pour la fin de ce mandat la date limite de la promulgation de toutes les lois organiques qui portent sur sa mise en œuvre. L'agenda législatif remis par le gouvernement au Parlement est resté, lui, lettre morte. Personne ne sait d'ailleurs pour quel motif, en vertu de quel texte de loi et pour quelle finalité le gouvernement soumet un pareil document au Parlement. Document qui, en outre, est en fin de compte un simple outil de travail pour le gouvernement. Mais qui, certains moments, n'a fait qu'attiser encore la crise entre les deux institutions. Le Parlement, surtout l'opposition, accusant l'Exécutif de vouloir faire main basse sur la législation.
Bien sûr, d'autres facteurs contribuent à cet enlisement. Même après ces élections mémorables de novembre 2011, le changement n'est toujours pas au rendez-vous. Les jeunes et les femmes au profit desquels la carte électorale a été réaménagée n'ont pas pu laisser leur empreinte sur l'action parlementaire. Opposition et majorité continuent à fonctionner selon le même rythme et les mêmes méthodes, les mêmes instruments et la même mentalité d'avant.


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