L'année législative qui a commencée ce vendredi 12 octobre sera particulièrement chargée. Déjà une grosse bataille se profile à l'horizon autour du calendrier législatif qui sera présenté par le gouvernement. Ce vendredi 12 octobre s'ouvre la nouvelle année législative. La deuxième depuis l'adoption de la nouvelle Constitution. Une année «pas comme les autres». Et à tous les niveaux. C'est d'abord une année éminemment électorale, précise le politologue et député USFP, Hassan Tariq. Une fois le projet de Loi de finances adopté, gouvernement et Parlement devront s'atteler, sans plus tarder, à la préparation des textes électoraux. Mais à côté, il y aura également au menu la loi organique relative à la régionalisation avancée, d'une trentaine de textes, entre lois et décrets d'application, qui doivent être promulgués avant que le processus électoral ne soit lancé. Et ce n'est pas tout. Il s'agit en fait, pour reprendre les termes du président de la première Chambre, Karim Ghellab, de «deux législatures en une». D'une part, le Parlement est tenu de suivre son programme normal de législation (examen et adoption des projets et propositions de loi) et de contrôle du gouvernement (questions orales et écrites, missions d'information et, éventuellement, commissions d'enquête) et, d'autre part, compléter le texte constitutionnel par l'adoption, en quatre ans, de quinze des 20 lois organiques nécessaires pour la mise en œuvre de la Constitution (article 86 de la Constitution). Cinq lois ont déjà été promulguées. En plus, et pour la première fois, le gouvernement présentera un calendrier législatif, «quoique, en tant que députés, nous n'ayons pas encore vu le contenu de ce calendrier», se plaint le député socialiste. Officiellement, explique pour sa part le député RNI et président de la commission de la justice, de la législation et des droits de l'Homme, Mohamed Hanine, «nous n'avons aucune idée de ce calendrier. A ce jour, le Parlement n'a rien reçu officiellement en ce sens. Tout ce que nous avons appris sur ce programme, nous l'avons appris à travers la presse». Même son de cloche chez le parti au pouvoir, le PJD. Abdellah Bouanou, député islamiste, affirme par ailleurs que le groupe parlementaire du PJD a fait une demande officielle au gouvernement pour présenter sans plus tarder ce calendrier législatif au Parlement. La même source affirme que le document devrait être présenté au Parlement au début de la session «une fois adopté au conseil du gouvernement». Or, «ce retard, prévient M. Tariq, risque de nuire substantiellement à sa mise en œuvre et à l'action parlementaire». Cela d'autant qu'il faut s'attendre, encore une fois, à un débat houleux entre majorité et opposition à propos de ce même calendrier. Les priorités n'étant, en effet, pas les mêmes pour chacun des deux clans, voire au sein d'un même clan. Fini la période de grâce Le gouvernement gagnera-t-il le pari de faire adopter une cinquantaine de textes de loi avant la fin de cette année législative qui s'étalera sur huit mois en tout, si l'on exclut d'éventuelles sessions extraordinaires ? Il est permis d'en douter. Mohamed Hanine, président de la Commission de la justice et professeur de droit à l'Université Mohammed V de Rabat, rejette d'ailleurs ce chiffre de 300 textes, à adopter en quatre années, selon le programme gouvernemental. D'abord, «parce que nous ignorons tout sur ce plan». Ensuite, poursuit-il, parce que «ce qui nous intéresse, en tant que députés notamment de l'opposition, ce sont les 15 textes de lois organiques nécessaires à la mise en œuvre de la Constitution qu'il reste à adopter». Le député USFP est du même avis : «Ce qui nous intéresse le plus, ce sont les lois organiques qui représentent l'extension du texte constitutionnel. Ces textes là, nous ne pouvons pas nous permettre de les bâcler pendant une seule session. Ils nécessitent une préparation, beaucoup de concertations et leur adoption doit passer par une procédure particulière. De même qu'ils exigent une approche participative. Ce sont donc d'autres méthodes de travail». Mais au-delà de ces considérations techniques, il faut s'attendre à une année particulièrement mouvementée. «Nos avons vécu une année électorale qui s'est soldée par la nomination d'un nouveau gouvernement qui évolue sous une nouvelle Constitution… Bref, nous venons de sortir d'une année de transition pendant laquelle tout se mettait en place. Le gouvernement a pris suffisamment de temps pour s'installer. De même pour les partis de l'opposition, notamment ceux qui étaient aux affaires auparavant. Aujourd'hui c'est différent. Les deux devront passer à la vitesse supérieure», explique M. Hanine. «Au début, on se disait qu'il fallait laisser le temps au gouvernement pour s'installer. Maintenant c'est chose faite. La période de grâce est finie. L'opposition va passer à la vitesse supérieure», promet Hassan Tariq. Sauf que, s'inquiète M. Hanine, «le gouvernement traîne beaucoup et accumule du retard. Il faut au moins qu'il donne des signes. Nous devons l'inciter à passer à la vitesse supérieure. Surtout que, face à la montée des mouvements de protestation et la multiplication des grèves, il faut réagir et vite». Opposition, toujours pas de coordination L'opposition, elle-même, est tenue de changer la cadence de son travail. «Il est vrai que, même après une année de cohabitation, les quatre formations de l'opposition n'ont toujours pas pu atteindre le niveau de coordination nécessaire à faire de l'opposition une véritable institution». Constat : parmi les quatre partis d'opposition, deux, le RNI et l'USFP, étaient dans la majorité, le PAM est un nouveau parti, né il y a à peine trois ans, alors que l'UC n'a jamais choisi de rejoindre l'opposition, il y a été contraint. Aussi, même à la veille de la deuxième année législative, les quatre formations peinent-elles encore à former un véritable bloc. Ce n'est d'ailleurs pas une particularité propre à l'opposition, observe le député RNI, Mohamed Hanine, qui estime que «la majorité est elle aussi loin d'être homogène et cohérente. Le parti qui mène le gouvernement garde toujours un pied dans l'opposition et un autre dans le gouvernement». Cela dit, peut-on s'attendre à une plus grande coordination au niveau des partis de l'opposition, sachant que les trois principales formations, le PAM, le RNI et l'USFP, partagent le même référentiel idéologique, la modernité et la démocratie sociale ? L'USFP a fait, depuis la fin des années 1990, le choix de la social-démocratie. Le RNI, un parti qui s'est toujours voulu centriste, a viré légèrement à gauche lors de son dernier congrès (le Ve, en avril dernier). De même pour le PAM qui a opté clairement, au terme de son deuxième congrès (en février dernier) pour une démocratie sociale ouverte comme idéologie. «Nous partageons les mêmes orientations sociales avec le PAM et avec l'USFP, nous partageons également les mêmes valeurs d'une société moderniste et démocratique», affirme Mohamed Hanine. Autre fait, aussi bien les «tandems» RNI-USFP et RNI-PAM sont passés par différents niveaux de collaboration. Le RNI avait appuyé le gouvernement d'alternance de l'USFP en 1998 et les deux ont coordonné leurs actions au sein de la majorité gouvernementale pendant 13 ans. De même que le RNI et le PAM avaient constitué un groupe parlementaire avant que ce dernier ne se décide, en mai 2009, à rejoindre l'opposition. Plus récemment, le RNI et l'UC évoluaient avec un même groupe parlementaire au sein des deux Chambres. Le groupe n'a, de nouveau, été dissocié que depuis les dernières élections du 25 novembre. Théoriquement, cette réalité aurait voulu que les trois partis forment un bloc. «Pour le moment, il n'y a aucune coordination, à proprement parler», affirme Hassan Tariq. Le PAM, désormais principal adversaire du PJD En réalité, poursuit ce politologue et député USFP, il faut distinguer entre deux niveaux de coordination. «Il y a certaines positions formelles sur lesquelles les partis de l'opposition adoptent une posture commune. Cela se passe généralement lors des débats de la Loi de finances». Pour M. Hanine, les quatre formations ont déjà tenté un peu plus que cela, bien avant la fin de la dernière année législative. «Cela s'est passé lors du débat de certains projets de loi, mais surtout lors des séances des questions de politiques générales adressées directement au chef du gouvernement. L'opposition s'est mise d'accord pour poser des questions concertées». Bref, «il y a, d'un autre côté, poursuit M. Tariq, un second niveau de coordination, celui de la coordination politique qui doit se travailler hors de l'institution parlementaire. Et de ce type de coordination, il n'en est rien aujourd'hui». Il faut dire que si le RNI et le PAM, qui ont également tenté l'expérience sans lendemain du G8, à la veille des dernières législatives, semblent sur la même longueur d'ondes, il faut attendre la nouvelle direction de l'USFP, issue du IXe congrès, qui aura lieu du 14 au 16 décembre, pour entamer une nouvelle approche. En attendant, c'est, depuis les dernières élections partielles du 4 octobre, le PAM qui s'est clairement érigé en principal adversaire du PJD. Il a été le seul parti de l'opposition, et dans l'absolu, à avoir tenu tête à la machine électorale qu'est devenu le PJD. Question : ces élections auront-elles, justement, une incidence sur les rapports entre opposition et majorité ? «Je ne crois pas que ces élections aient apporté une quelconque modification au schéma politique actuel», explique Hassan Tariq reprenant tout à coup sa casquette de professeur de sciences politiques. «La majorité est restée la même», observe-t-il. Pour lui, le siège perdu à Tanger par le PJD et qui a été remporté par l'UC et donc l'opposition, ne devrait guère influencer le rapport des forces entre les deux clans. La majorité garde manifestement sa suprématie numérique. Il semble, néanmoins, que pour le PJD ces élections sont de loin une consécration. Ce qui laisse entendre que sa politique d'un pied dans le gouvernement et un autre dans l'opposition ait porté ses fruits puisque sa popularité n'a pas été entamée. Tout porte à croire, donc, que le PJD va continuer à jouer sur les deux registres. A moins que l'Istiqlal, qui vient de goûter aux bienfaits de la démocratie interne, ne veuille lui emboîter le pas. Là encore se pose la question de savoir si l'élection de Hamid Chabat à la tête du parti ne pourrait pas avoir une quelconque conséquence sur le jeu politique. Sur ce point, le même Hassan Tariq est catégorique : «L'élection de Hamid Chabat aura certainement une incidence sur les équilibres au sein de la majorité». L'effet Chabat… Le nouveau patron de l'Istiqlal, explique-t-il, a jusque-là fait montre d'une autre vision qui n'est pas celle adoptée par l'Istiqlal au moment où il est entré au gouvernement. «Ce qui est sûr c'est que l'élection de Hamid Chabat va certainement fragiliser davantage la majorité». Le fait qu'il s'accroche toujours à un remaniement ministériel, de surcroît d'une portée politique, n'est pas pour plaire, par exemple au PPS, dont le secrétaire général ne cesse de réfuter cette éventualité. De même, le nouveau secrétaire général qui a vu l'USFP opposer une fin de non-recevoir, dans la bouche du membre du bureau politique Driss Lachgar, à son invitation de rejoindre le gouvernement, n'écarte pas complètement la possibilité de se retirer de la majorité. Tous ces paramètres indiquent que ce sera assurément une rentrée parlementaire et politique pas comme les autres. C'est aussi la première fois que le Parlement entame sa deuxième année législative avec la même configuration. Nouvelle Constitution oblige, aucun des députés n'a changé d'étiquette politique. La transhumance a disparu. Le risque étant, faut-il le rappeler, la perte du siège. Pour ce qui est de l'absentéisme, autre marque de fabrique du Parlement, il semble que, la dernière session l'aura montré, toutes les mesures de persuasion, mais aussi d'incitation, prises par la présidence de la première Chambre restent encore insuffisantes pour endiguer ce fléau. Cela est d'autant plus inquiétant que le Parlement est tenu de voter certaines lois organiques, notamment celles relatives à la deuxième Chambre, aux collectivités territoriales ou aux affaires sociales, dont l'adoption nécessite le vote de la majorité des députés, c'est-à-dire au moins 198 parlementaires.