L'USFP et le PAM se sont déjà engagés dans une rivalité pour le leadership. Expérience solide pour l'un, poids politique important pour l'autre. Aucun des trois partis n'est favorable à la constitution d'un bloc de l'opposition. Alors que la majorité achève son installation au pouvoir, les formations de l'opposition marquent leur terrain. Mais la partie n'est pas jouée d'avance. Le PAM (47 sièges) et l'USFP (39 sièges) viennent de l'apprendre à leurs dépens. Les deux partis ont perdu leur première bataille face à un gouvernement non encore définitivement investi. Les deux formations ont, en effet, été déboutées par le Conseil constitutionnel. Le PAM avait introduit un recours pour contester la constitutionnalité de procédure d'élection du président du Parlement, l'USFP en a fait de même, en la personne de l'ancien ministre Driss Lachgar qui a contesté sa propre participation à l'opération du vote. Le RNI (52 sièges), lui, ne s'est pas aventuré sur ce chemin. Ce démarrage cahoteux sanctionné par la perte d'une première bataille constitutionnelle pour l'USFP mais aussi pour le PAM en dit long sur la situation d'hésitation dans laquelle se trouve l'opposition. Peut-on parler alors d'une opposition forte à laquelle font référence la Constitution, les discours royaux et les déclarations des chefs de partis politiques ? Il est permis d'en douter, en tout cas pour le moment. L'USFP retrouve, en effet, un poste qu'il a quitté depuis 13 ans. Le passage éphémère du RNI dans l'opposition entre 1981 et 1984 ne devrait pas lui être d'un grand soutien. Le parti n'a certes pas fait partie, non plus, de l'Exécutif pendant la période 1992 et 1997, mais il soutenait les gouvernements d'alors. En plus de 30 ans d'existence, le parti n'aura finalement passé que trois années effectives dans l'opposition. Quant au PAM, il est passé par beaucoup d'événements en seulement trois années d'existence, passage à l'opposition après un peu plus d'une année dans le gouvernement, préparation des élections communales, puis législatives… tout cela pour un parti qui n'a pas encore finalisé sa structuration. Une course au leadership Des trois, l'USFP, de par son expérience, se voit déjà comme futur leader de l'opposition. C'est aussi, comme l'explique Mohamed Darif, professeur de sciences politiques à l'Université Hassan II, le seul parti à disposer d'un prolongement syndical et populaire dont il peut se servir pour faire pression à tout moment sur le gouvernement. Le parti compte pour ce faire sur la FDT, syndicat qui lui est affidé, mais également pour un rapprochement avec la CDT, voire avec l'UMT. Ce qui ne fera pas pour autant de l'USFP un leader incontesté de l'opposition. En effet, estime Tarik Tlaty, également professeur de sciences politiques à l'Université Hassan II, le PAM, même sans ses structures d'appui, peut tout aussi bien prétendre à ce rang. «Les premières sorties des formations de l'opposition montrent que celle-ci sera menée par les deux partis, l'USFP et le PAM». Il faut dire qu'au moment où les socialistes se montrent plutôt loquaces sur la stratégie à mener le long de ce mandat, le PAM se montre plutôt discret. «Nous entamons une bataille, et lors d'une bataille on ne dévoile pas sa stratégie», argue Fatiha Layadi, députée PAM. D'ailleurs, explique-t-elle, «les partis se cherchent encore et la véritable opposition ne démarrera qu'avec la session de printemps». Dans ce cas, ils auront raté un des moments forts par lequel passe chaque nation, le débat du budget. «Il y a toujours les lois organiques et les lois ordinaires structurantes de nos institutions (NDLR. 16 lois organiques et 20 lois ordinaires à débattre et voter), et ce sera le moment de nous affirmer. Nous devons être l'arme au pied, c'est-à-dire très vigilants», observe Fatiha Layadi. En attendant, l'USFP, aussi bien que le PAM et le RNI, ont déjà une idée de ce que sera leur action. «Ce sera une opposition classique : dénoncer les actions de la majorité quand elles ne correspondent pas à nos choix et l'interpeller sur ses oublis», affirme Rachid Talbi Alami. Pour Fatiha Layadi, il sera question de «dire "non" quand il le faut et dire "oui" avec toujours un "mais" derrière». A l'USFP, la situation est «un peu problématique», comme le soutient le député et professeur de sciences politiques Hassan Tarek. «L'opposition, explique-t-il, peut coïncider sur certains points avec la majorité : la mise en œuvre de la Constitution, la lutte contre la corruption… Nous ne pouvons que soutenir les efforts du PJD dans la lutte contre la corruption, cela d'autant que certaines composantes de la majorité (le PPS, le MP et l'Istiqlal) étaient nos partenaires dans le précédent gouvernement. De toutes les manières, ce ne sera plus une opposition de «tribune» comme par le passé. Aujourd'hui, nous allons travailler sur les dossiers». Abdelilah Benkirane a, en effet, choisi d'inscrire son programme dans le cadre de la continuité comme l'ont si bien fait observer ses alliés, principalement l'Istiqlal. Comment s'opposer à ses propres choix ? Du coup, ce dilemme se pose également pour le RNI. Comment s'opposer à une politique et des stratégies dont on a posé les premiers jalons ou accompagné la mise en œuvre. Cette dernière formation préfère retourner l'arme contre le leader de la majorité, le PJD. «C'est le PJD qui est aujourd'hui en train de faire sienne une politique et un programme de gouvernement auxquels il s'était farouchement opposé durant des années», s'indigne Rachid Talbi Alami. A priori, même si leurs premières réactions sont relativement proches, les trois partis ont choisi de s'engager chacun sur sa propre voie, avec la même finalité : se présenter, en fin de mandat, comme une alternative à l'actuel gouvernement. Et pour cela, chacun tente de tirer la couverture de son côté. Or, comme le soulignent les deux politologues, Mohamed Darif et Tarik Tlaty, les trois formations sont tenues, à un moment ou un autre, de coordonner leur action. «C'est une nécessité qu'exige leur statut. Elles sont toutes trois contraintes de se retrouver autour des mêmes idées pour contrer certaines décisions du gouvernement», explique Tarik Tlaty. «Une certaine concertation objective est dictée par leur positionnement politique. Cette coordination n'a naturellement rien à voir avec leurs orientations idéologiques», confirme Mohamed Darif. Il est donc clair qu'aucune des trois formations ne peut faire cavalier seul. Une opposition en rangs dispersés Constituer un bloc n'est pas non plus d'actualité. Et ce, pour la simple raison que l'USFP a décidé de partir dans l'opposition pour se restructurer et se réorganiser. Une coalition avec le PAM ou le RNI ne semble donc pas dans son intérêt pour le moment. D'ailleurs, comme l'explique Hassan Tarek, «il n'est pas nécessaire qu'il y ait une coordination. Il se pourrait toutefois qu'il y ait un rapprochement dicté par les circonstances et non par une quelconque considération d'ordre politique». Cela dit, «la priorité de l'USFP est toujours la gauche», ajoute le député USFP. Quid, dans ce cas, d'un rapprochement avec le PAM si ce dernier opte, à l'issue de son prochain congrès (la mi-février), pour un virage à gauche ? «Il me semble que c'est encore tôt pour une pareille initiative. Il y a un mur psychologique à surmonter. De toutes les manières la balle est dans le camp du PAM», avance Hassan Tarek. Pour l'heure, affirme Fatiha Layadi, «notre partenaire naturel est le RNI, toute coordination possible se fera avec lui. Il se peut, toutefois, qu'il y ait un rapprochement pragmatique avec l'USFP, mais ce n'est pas pour le moment». Pour le RNI, «la question n'est pas encore tranchée», se limite à dire Rachid Talbi Alami. L'ancien ministre rappelle que le contexte dans lequel a été contractée l'Alliance pour la démocratie (G8) n'est plus le même. «Ce dernier a d'ailleurs éclaté après que deux formations, le MP et l'UC, l'aient quitté», précise-t-il. Bref, aussi bien pour le PAM que pour le RNI, cette parenthèse est définitivement fermée. Et même cette future alliance entre les deux n'est pas à prendre pour argent comptant. Car l'on ne sait pas encore vers quel côté pencheront les directions qui sortiront des futurs congrès des deux partis. En somme, les trois partis entament leur future mission d'opposants en rangs dispersés, à l'heure où plus que jamais cette dernière a besoin d'être soudée pour peser sur les grandes décisions qui concernent le pays.