Ils constituent les trois plus importantes formations du champ politique et se livrent déjà une guerre sans merci à 20 mois des législatives. Accusations publiques graves, tentatives d'affaiblissement, débauche de militants…, chacun y va de sa méthode. Encore 20 mois avant les législatives de septembre 2012, mais à voir les féroces batailles que se livrent les partis on a déjà l'impression d'être en contexte préélectoral. Les dirigeants du PJD multiplient les déclarations révoltées contre le PAM, l'Istiqlal se sert de sa presse pour fustiger, voire dénigrer, les cadres du PAM et ce dernier ne se laisse pas faire et alterne ripostes brutales et manœuvres subtiles. Et ce n'est qu'un début. Le conflit dans lequel se sont engagés trois parmi les plus importantes forces politiques du pays est parti pour s'exacerber… «Avec l'approche des législatives de 2012, les alliances locales tissées au lendemain des communales de 2009 vont commencer à se disloquer. Les rivalités entre partis politiques vont s'accentuer davantage au moment des prochains débats des projets du nouveau code électoral et de l'amendement de la loi sur les partis politiques. Une autre bataille entre les trois partis auxquels se joindra certainement l'USFP va éclater très prochainement. Chaque camp va présenter et défendre un projet qui affaiblira l'autre camp. C'est certain, les grands enjeux des élections de 2012 vont être portés par ces quatre partis», commente Miloud Belkadi, professeur de sciences politiques. Pour l'heure, les escarmouches auxquelles se livrent les trois formations politiques, le PAM, l'Istiqlal et le PJD, prennent une ampleur parfois inquiétante. Mardi 18 janvier, l'éditorialiste de l'organe de presse de l'Istiqlal, Al Alam, est allé jusqu'à contester les rencontres qu'a tenues, depuis vendredi 14, Mohamed Cheikh Biadillah, le secrétaire général du PAM, qui préside la Chambre des conseillers, avec des eurodéputés. Il estime, en substance, que la rencontre entre un ancien cadre du ministère de l'intérieur -Biadillah a été gouverneur de Salé et de Safi-, secrétaire général d'un parti dont le fondateur est ancien ministre délégué de l'intérieur, «pourrait nuire aux intérêts du Maroc». Dans ses attaques contre les dirigeants du PAM, Mohamed Cheikh Biadillah et Hakim Benchemass, en particulier, l'Istiqlal n'est jamais allé aussi loin. Abbas El Fassi sort de sa réserve Même Abbas El Fassi, secrétaire général de l'Istiqlal, qui occupe le poste de Premier ministre, est sorti de sa réserve habituelle. Il s'en est pris ouvertement, lors de la réunion du comité central du parti tenue samedi 8 janvier, à la gestion de la deuxième Chambre. «Les citoyens ont rendez-vous chaque mardi avec des scènes de dilution et de banalisation du politique» a-t-il lancé devant les militants de son parti, selon des sources concordantes, en référence aux séances des questions hebdomadaires diffusées en direct à la télévision. «Cette situation va conforter ceux qui boycottent les élections. Nous devons nous attendre à une surprise en 2012», assène-t-il. Les raisons de cette montée en puissance des contestations de l'Istiqlal sont à chercher dans l'opposition tout aussi intransigeante qu'exercent les élus du PAM face au gouvernement, et plus particulièrement certains ministres istiqlaliens, comme Yasmina Badou et Karim Ghellab. On se souvient encore de cette nuit du 13 au 14 décembre où les conseillers PAM ont rejeté, en commission, le budget du ministère de l'équipement, avant qu'une nouvelle séance de vote, organisée dans des conditions contestées, ne le maintienne. L'Istiqlal avait crié au scandale politique et accusé le PAM de tentative de sabordage de l'action du gouvernement. Pour toute réponse, la présidence de la Chambre laisse filtrer, quelques jours plus tard, des chiffres sur l'absentéisme des conseillers. Et, surprise, ce sont les élus de l'Istiqlal qui battent tous les records. L'Istiqlal monte alors au créneau. Abdellah Bakkali, membre du comité exécutif, va jusqu'à qualifier le PAM de «parti de l'Administration», et de «parti de la majorité secrète». Qu'en pense le PAM ? «Ce que l'Istiqlal n'arrive pas à comprendre, c'est qu'il n'y a rien d'anormal dans notre action. Ce sont des rapports entre un parti qui dirige le gouvernement et un parti de l'opposition», affirme Mohamed Aterguine, professeur de sciences politiques et responsable de la communication au sein du PAM. «Alors que nous assumons notre mission de contrôle du gouvernement avec rigueur et détermination, l'Istiqlal tente de donner à cette question une autre dimension», confirme un dirigeant du PAM. Mohamed Aterguine explique : «Il semble qu'au Maroc nous n'avons pas encore acquis une tradition parlementaire. Les acteurs politiques ne sont pas entraînés sur l'institutionnalisation du débat politique au sein des instances élues. Alors que notre parti exerce sa mission d'opposition au sein de ces institutions, l'Istiqlal préfère porter le débat dans la rue, devant le public. Il est clair que le parti ne veut pas assumer la responsabilité dans l'échec de sa gestion des affaires publiques, il mobilise donc la rue contre nous». De toutes les manières, conclut-il, «c'est devenu une habitude chez les Istiqlaliens. A chaque approche d'élections, ils montent au créneau». Ce qu'il n'arrive pas non plus à digérer, fait noter la même source, c'est que «le PAM a réussi à faire sortir la deuxième Chambre de sa léthargie. La dynamique de son groupe et l'action de la direction de la Chambre sont pour beaucoup dans ce regain d'intérêt que suscite l'institution. Cela alors que le PJD est quasi absent, le groupe de l'Istiqlal est très faible et celui de l'USFP fait face à une crise permanente». Ce qui explique, observe ce responsable du PAM, que «les deux tiers des critiques de l'Istiqlal dirigées contre le PAM le sont contre la deuxième Chambre et le président du groupe». PAM : Nous ne sommes en conflit avec personne Cependant, en parlant de l'Istiqlal, Mohamed Aterguine tient à préciser que ces attaques ne semblent pas engager le parti, puisqu'elles n'émanent pas de ses instances mais plutôt de certaines personnalités du parti comme Abbas El Fassi, Abdellah Bakkali et Hamid Chabat. A l'heure où nous mettions sous presse, nous n'avions pas réussi à joindre des hauts cadres de l'Istiqlal pour les faire réagir à ces propos… Le PAM, lui, se refuse à parler d'un quelconque conflit qui l'opposerait aussi bien à l'Istiqlal qu'au PJD. «Dans les communiqués officiels de notre parti, il n'est fait mention à aucun moment d'un quelconque conflit avec l'une ou l'autre», avance Mohamed Aterguine. Sauf que la réalité est autre. Nul ne peut nier ces attaques sur trois fonts, dirigées contre le PJD par exemple. D'abord au niveau local. L'enjeu étant d'écarter le parti islamiste de la gestion des grandes villes et l'empêcher d'en tirer un bénéfice électoral pour les prochaines échéances. Sur un deuxième front, l'on prête au PAM la volonté, parfois indirectement, de vider le PJD de ses cadres, particulièrement ceux qui ne sont pas issus du Mouvement unicité et réforme (MUR), sa matrice idéologique. Le cas de Mohamed Soufiani, président du Conseil de la ville de Chaouen, est éloquent. Tout comme l'est celui d'Abderrahim Ouattas, vice-président du Conseil de la ville de Casablanca, qui a claqué la porte du PJD pour rejoindre le RNI ou encore celui d'une douzaine d'élus PJD qui ont soutenu, à Tanger, l'élection, en septembre, du nouveau maire, Fouad El Oumari. Le PJD n'est pas la seule victime de cette transhumance à l'échelle locale. À en croire les chiffres, présentés le 18 décembre, à l'assemblée constitutive de la Fondation des élus locaux du PAM, le nombre de ces derniers est passé de 6 000 au lendemain des élections de 2009 à plus de 7 200 actuellement. Enfin et sur un troisième front, le PAM tient toujours tête au PJD au sein de l'opposition parlementaire. L'Istiqlal persona non grata au prochain gouvernement ? Selon Abdelali Hamieddine, politologue et membre du secrétariat national du PJD, c'est à la fois pour écarter un gros rival et également dans l'objectif de ne pas voir le parti islamiste évoluer seul dans l'opposition que le PAM mène cette guerre sur deux fronts, contre le PJD et l'Istiqlal. Un point de vue que partagent d'autres acteurs politiques. Pourquoi l'Istiqlal et non pas une autre formation ? D'abord, il faut un parti fort pour faire le contrepoids au PJD et ne pas lui laisser la vedette. L'USFP, juge-t-on, ne peut pas jouer ce rôle d'autant que, dans une alliance PAM/RNI/UC, il pourrait renforcer la légitimité populaire d'un futur gouvernement. Pour arriver à ses fins, explique le politologue Miloud Belkadi, «le PAM est en train de mener une guerre contre le PJD et l'Istiqlal pour les affaiblir et s'assurer le rang de la première force politique en 2012. Son alliance avec le RNI et l'UC débouchera sur une majorité confortable pour former le gouvernement. Bien entendu, l'Istiqlal et le PJD ne se laisseront pas faire et tenteront de freiner cet élan. Nous sommes dans une situation où chacune des trois formations s'en prend à l'autre dans l'objectif de l'affaiblir». Dans cette logique, c'est le RNI, actuellement en pleine restructuration, qui en sortirait gagnant. Il est fort à parier, estime Miloud Belkadi, que «le RNI aura un poids important dans le gouvernement de 2012. Il peut même avoir la Primature, mais pour le moment, il ne veut pas se retrouver aux devants de la scène politique. Il préfère laisser faire le PAM». Les futures alliances se précisent déjà et à chacun son rôle. Mais de là à vouloir mettre à bas le PJD -ce dont les islamistes accusent le PAM-, c'est aller trop loin en besogne. «Le PJD, assure Miloud Belkadi, est un élément déterminant dans les équilibres politiques au Maroc». Le parti de Benkirane en est conscient. D'où ses contre-attaques pour le moins franches et provocatrices. Pour le PJD, le PAM n'est ni plus ni moins «un parti émissaire chargé de réorganiser au forceps le champ politique. C'est le bras politique de l'Etat», assène Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat national. Le PAM rejette une telle accusation. «Le PJD nous accuse de vouloir l'exclure de la scène politique. C'est faux. N'empêche, nous ne portons pas le même projet de société, nous ne sommes pas mus par les mêmes principes idéologiques», C'est tout, défend Mohamed Aterguine. Faut-il pour autant se livrer à une guerre sans merci et un spectacle désolant ? «Je pense que ces conflits vont nuire aussi bien à ces trois partis qu'au reste de l'échiquier politique, explique Miloud Belkadi. Et cela pour de multiples raisons. Le Maroc passe, pour n'en citer que celle-là, par des moments qui ne sont pas faciles. Les partis politiques en sont responsables. Ils doivent donc participer à donner une image positive et faire montre d'un comportement civique. Cela d'autant plus que ces trois partis sont des plus importants aussi bien au niveau du Parlement, majorité et opposition, qu'au niveau du gouvernement». Ils partagent en outre, fait observer ce politologue, certains objectifs. «Ils sont tous les trois pour l'élévation de seuil électoral à 7 ou 8%, contre la balkanisation de la scène politique et pour la polarisation du champ politique». Une manière de dire qu'ils doivent montrer l'exemple, mais lequel ? n Tahar Abou El Farah