Aucun amendement du code de recouvrement des créances publiques pour supprimer ces véhicules n'a été entrepris ou ne serait envisagé à court terme, selon de hauts responsables des Finances. Les ponctions s'étendent désormais au paiement sur des marchés publics. L'annonce avait fait grand bruit lors des dernières Assises nationales de la fiscalité tenues fin avril dernier : la suppression pure et simple des Avis à tiers détenteur (ATD), promise par le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, en personne. Une déclaration qui, peut-on supposer, a dû intervenir dans le sillage d'un amendement déjà en cours de préparation du code de recouvrement des créances publiques, seule voie pour effectivement mettre un terme aux ATD qui, pour rappel, habilitent le recouvreur public (CNSS, Administration des douanes, Direction générale des impôts, TGR…) à faire bloquer par la banque les comptes des débiteurs et à saisir les sommes qui s'y trouvent, ainsi que celles qui viendraient à y être déposées ultérieurement, en remboursement des montants à recouvrer. Sauf qu'à ce jour, aucun toilettage de ce genre n'a été entrepris ou ne serait envisagé à court terme, comme l'assurent des hauts responsables au sein de la Trésorerie générale du Royaume (TGR) et du ministère des finances. Selon eux, d'autres dossiers accaparent plus l'attention. Pas même la circulaire des Finances promise depuis la mi-2012 pour mettre de l'ordre dans l'usage de ce véhicule n'a vu le jour jusqu'à présent, selon les banquiers, lesquels étaient montés au créneau ces derniers mois concomitamment à une intensification des saisies sur compte. Il faut dire qu'outre les particuliers et les entreprises pénalisés de fait par les ponctions sur leur compte, les banques peuvent, elles aussi, engager leur responsabilité et devenir solidaires avec le contribuable dans le paiement de la créance due. Manifestement, il n'est plus question à présent de frénésie généralisée des ATD mais ces derniers continuent bien d'être largement activés, selon les témoignages des professionnels, avec même des montées en régime ponctuelles. «Récemment, nous avons reçu une trentaine d'ATD en une seule semaine au niveau de la seule ville de Mohammédia», s'étonne un banquier. Le taux de recouvrement des créances publiques est de 45% contre 95% en France L'on ne peut s'empêcher de lier cet effort de recouvrement de l'administration au contexte tendu des finances publiques. Le déficit budgétaire atteint sur les 4 premiers mois de l'année 21,2 milliards de DH, soit presque le double de ce qui était constaté un an auparavant. Un creusement qui n'étonne pas finalement vu le mauvais comportement des recettes fiscales qui baissent sur la même période de près de 4%. Le forcing de l'administration paraît d'autant plus légitime que le taux de recouvrement public est encore bas au Maroc, autour de 45% selon des sources officieuses à la TGR alors qu'à titre de comparaison, ce même taux atteint 95% en France. Plus prosaïquement, le recours aux ATD est dicté pour certains recouvreurs par un impératif de survie. «Si la CNSS ne recouvre pas son dû elle ne peut couvrir les prestations des autres adhérents», illustre à ce titre un haut responsable des Finances. Cela justifie-t-il pour autant les entorses à la loi dans l'activation des ATD, dont font les frais les professionnels ? Dans plusieurs cas le recours aux ATD reste systématique alors que cette procédure ne doit être lancée que sous certaines conditions, témoignent les banquiers. En effet, le code de recouvrement des créances publiques prévoit un ensemble de diligences (avertissement, commandement et sommation) qui doivent toute être épuisées, avant d'en venir aux ATD, une démarche qui est jusqu'à présent rarement respectée. Même les banques offrent aux recouvreurs publics une panoplie de solutions intermédiaires telles que la mise en séquestre ou encore l'émission de caution bancaire que les recouvreurs ne sollicitent pas toujours. Les particuliers ne sont pas épargnés Dans tout cela, plusieurs opérateurs qui se réjouissaient de la promesse du chef du gouvernement déchantent. Un ATD qui frappe une entreprise et c'est un compte qui est vidé, pouvant donner lieu à des chèques sans provision, des dépôts et des virements compromis… En somme, c'est toute l'activité d'une entreprise qui se trouve perturbée en un clin d'œil. Aucune échappatoire possible puisque les comptables recouvreurs en arrivent même à émettre des ATD sur des facilités de caisse ou encore des comptes de dépôts à terme (DAT) en théorie bloqués. Plus radical encore, il arrive que les recouvreurs se servent directement sur les paiements effectués par des administrations sur des marchés publics. Le patron d'une PME témoigne : «Un chèque que nous avons récupéré ce mois de mai auprès du Trésor en paiement d'un marché effectué pour le compte du ministère des finances, était défalqué de plusieurs ATD au niveau national au sujet desquels nous n'avons même pas été notifiés. D'autant plus frustrant que les ATD en question procèdent d'une erreur des services des impôts qui n'ont pas mis à jour leurs fichiers». Si encore il s'agissait d'un petit montant… La ponction se monte à 6 millions de DH, autant dire l'estocade finale portée à cette PME déjà en peine pour équilibrer sa trésorerie par les temps qui courent. Sachant cela, il n'est pas étonnant de voir certains opérateurs commencer à se donner le mot pour ne pas soumissionner à des marchés publics de crainte de subir des coupes de ce genre. Les particuliers aussi continuent de faire les frais des ATD. Les exemples invraisemblables ne manquent pas là encore : avis non reçus en raison de problèmes d'acheminement du courrier mais prélevés quand même, détenteurs de compte frappés d'ATD au titre de sommes dues par des membres vivants de leurs familles…. Autant de prélèvements auxquels on ne peut que se résigner à accepter car une fois les fonds ponctionnés, le contribuable n'a plus aucun moyen de contester les saisies opérées.