Accords commerciaux, exemption de visas, conseil d'affaires, hub céréalier, le Kazakhstan se prépare à intensifier sa coopération avec le Maroc dans les prochains mois. L'ambassadrice d'Astana annonce sa feuille de route. Entretien. * Nous constatons un rapprochement inédit entre le Maroc et le Kazakhstan. Pourquoi votre pays s'intéresse-t-il autant au Royaume ? Il va sans dire qu'il y a eu pendant ces dernières années une dynamique inédite entre le Kazakhstan et le Maroc. Je rappelle que les relations diplomatiques entre le Kazakhstan et le Maroc datent de 33 ans, et se développent dans un esprit amical. Cette cordialité est renforcée par les relations de confiance et de respect mutuel qu'entretiennent le Président Kassym-Jomart Tokayev et le Roi Mohammed VI du Maroc. Le Kazakhstan a été le premier parmi les pays d'Asie Centrale à ouvrir, en 2021, son Ambassade au Maroc. Il en est de même pour les deux peuples qui, malgré la distance géographique considérable, partagent des liens culturels, religieux et historiques fondés sur les valeurs islamiques. Depuis l'établissement des relations diplomatiques le 26 mai 1992, ayant des objectifs et des intérêts communs et une position similaire dans l'agenda international. Je pense qu'il y a un véritable potentiel de coopération à saisir et tous les ingrédients d'un partenariat mutuellement bénéfique sont réunis. Notre vision est claire : le Kazakhstan, en tant que «puissance moyenne», peut devenir un partenaire important du Maroc en Asie Centrale, tandis que le Royaume peut devenir une «porte d'entrée» du Kazakhstan en Afrique.
* Le ministre des Affaires étrangères kazakh a visité, fin février, le Maroc, et il a été question de renforcer la coopération bilatérale. Que faut-il retenir concrètement de ce déplacement ? Actuellement, il y a des contacts constructifs au niveau diplomatique. En fait, les ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés à trois reprises dans des lieux différents au cours de l'année écoulée. La première visite officielle du Vice-Premier ministre - ministre des Affaires étrangères de la République du Kazakhstan, Murat Nurtleu, à l'invitation de son homologue marocain, M. Bourita. Comme vous le savez, les entretiens ont abouti à la signature d'un communiqué conjoint définissant les réalisations et les nouveaux horizons de nos relations bilatérales. Il était question de renforcer les liens dans les domaines politique, commercial et économique, du transport et de la logistique, de l'agriculture et des technologies avancées. Afin d'aligner l'heure sur les questions d'actualité, les deux ministres ont convenu de réunions régulières, et le ministre kazakh a invité son homologue marocain à effectuer une visite officielle au Kazakhstan. En parallèle, nos deux pays attachent beaucoup d'importance à la coopération interparlementaire avec une volonté commune d'intensifier l'échange de visites. Le Kazakhstan et le Maroc travaillent activement dans un format multilatéral. Je tiens particulièrement à souligner le soutien du Maroc en faveur des initiatives du Kazakhstan visant à créer une Agence internationale de biosécurité d'importance mondiale et à ouvrir un Centre des Nations Unies à Almaty. Dans le domaine culturel et humanitaire, les deux ministres ont confirmé leur volonté mutuelle d'impulser la coopération dans ce domaine très important. Les parties se sont convenues que 20 bourses d'études seront attribuées annuellement à titre mutuel à des étudiants du Kazakhstan et du Maroc.
* Comme vous le savez, tout rapprochement digne de ce nom dépend du partenariat économique. Peut-on avoir un état des lieux ? Je puis vous assurer qu'il y a eu incontestablement une dynamique des échanges commerciaux au cours des dernières années avec une tendance haussière. Le Maroc est le principal partenaire commercial du Kazakhstan en Afrique. En 2024, les échanges ont augmenté de 64% pour atteindre 274,4 millions de dollars, contre 167,3 millions de dollars en 2023. Le Maroc achète du soufre au Kazakhstan, qui est nécessaire à la production d'engrais, et le Kazakhstan importe des vêtements, des agrumes, du poisson et d'autres marchandises. Pour autant, je pense que nous pouvons faire mieux, pourvu que nous cherchions davantage d'opportunités d'exportation dans les deux sens. Là, il faut travailler sur le volet logistique. Nous pouvons tirer profit de l'initiative «Middle Corridor» qui constitue un itinéraire alternatif sur la route Est-Ouest. En même temps, nous sommes en cours de préparation pour établir un Conseil d'affaires et une Commission mixte intergouvernementale en matière de commerce, d'économie et d'investissement. Il est important de créer un lien permanent entre les cercles d'affaires. En outre, il convient de noter l'intérêt croissant des entreprises marocaines pour le marché du Kazakhstan. Par exemple, SA «Zine Capital Invest» et SA NC «Food Contract Corporation» ont signé pour la première fois un accord sur l'exportation de blé du Kazakhstan vers le Maroc pour un volume total de 300.000 tonnes. Le ministre Murat Nurtleu a également rencontré les dirigeants des plus grandes entreprises marocaines telles que «Alomra Group International», «CADEX Group» et «Anfa Realities», et ils ont discuté des moyens d'étendre la coopération économique et commerciale. Le Kazakhstan s'est hissé au 24ème rang du classement des Nations Unies en matière d'administration électronique et au 8ème rang en ce qui concerne les services en ligne. Les nouvelles technologies kazakhes commencent à faire leur entrée au Maroc. La société kazakhe «Parqour», qui installe des systèmes de stationnement basés sur l'Intelligence Artificielle, a ouvert un parking moderne dans la ville de Berkane. Il s'agit du premier IT - projet du Kazakhstan au Maroc. En outre, les solutions de la société kazakhe «Sergek», leader dans le domaine de la ville intelligente, ont commencé à être appliquées au Maroc. Nous sommes disposés à partager notre expérience dans la numérisation. Je note que les programmes d'administration en ligne du Kazakhstan ont été lancés en Sierra Leone et au Togo.
* A quoi ressemblerait ce futur Conseil d'affaires que vous avez évoqué ? Depuis son ouverture, l'Ambassade a organisé deux forums d'affaires en 2021 et 2023 avec le soutien du Président de la Chambre de commerce, d'industrie et de services de Casablanca-Settat, le Consul Honoraire du Kazakhstan au Maroc, M. Hassan Berkani, dans le but d'établir des liens étroits avec les entreprises marocaines. Au cours de sa visite, le ministre Murat Nurtleu a invité les représentants des grandes entreprises marocaines à participer activement au Forum International d'Astana au Kazakhstan les 29 et 30 mai 2025. Le Forum est une plateforme de dialogue et de solutions sur des tendances géopolitiques, le changement climatique, les pénuries alimentaires et la sécurité énergétique, pour des délégués de haut niveau de gouvernements étrangers, d'organisations internationales, du monde des affaires et académique. Cette année, nous planifions d'organiser un forum d'affaires avec la participation d'entreprises touristiques kazakhes et marocaines afin d'activer le secteur du tourisme.
* Plusieurs accords ont été signés ces dernières années. Y en aura-t-il d'autres prochainement ? On peut se féliciter aujourd'hui du cadre juridique qui a été soigneusement étoffé, notamment dans le domaine judiciaire. Une délégation dirigée par le Procureur Général du Kazakhstan, M. Berik Asylov, a signé trois accords avec le ministre de la Justice du Maroc, M. Abdellatif Ouahbi. C'était la première fois qu'une série complète d'accords de ce type était conclue avec le Maroc ou sur le continent africain. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour élargir la base juridique et les traités. Nous sommes en cours de négociation d'accords de coopération commerciale et économique, de prévention de la double imposition et de l'évasion fiscale, de protection des investissements, d'agriculture et de transport aérien. De futurs accords sont prévus dans l'éducation, la science, la culture, la géologie, la diffusion de l'information et les archives. Par ailleurs, n'oublions pas que la capitale kazakhe, Astana, est jumelée avec Rabat. Cela a fait l'objet d'un plan d'action signé par le Président de Maslikhat d'Astana, M. Yerlan Kanalimov, avec son homologue Mme Fatiha El Moudni, lors de sa visite à Rabat.
* Le Kazakhstan et le Maroc ont supprimé réciproquement l'obligation de visa. S'agit-il d'un geste de bonne volonté ou d'un objectif réel de promouvoir la mobilité ? L'exemption mutuelle de visa entre en vigueur à partir du 19 mars 2025. C'est un pas majeur. Je tiens à souligner que le Maroc a été le premier pays avec lequel le Kazakhstan a signé un Accord d'exemption de visa pour les titulaires de passeports nationaux. Je reconnais qu'à ce jour, le nombre de touristes est encore faible. En 2024, il y a eu 780 touristes marocains et 1520 touristes kazakhs. Mais j'ai remarqué que de nombreux Marocains sont tentés de visiter le Kazakhstan. Nous savons bien que les Marocains aiment voyager. Le Kazakhstan peut offrir tous les types de tourisme, du tourisme écologique au tourisme d'affaires. Ceci est facilité par la riche Histoire de notre peuple et la totalité des monuments historiques et des sites archéologiques, en plus de paysages naturels uniques. Pour attirer les touristes, le pays développe des infrastructures et améliore constamment le régime des visas. Pour sa part, le Maroc est une destination privilégiée des touristes étrangers. La preuve en est l'arrivée de 17,4 millions de touristes en 2024.
* Ces derniers mois, le Kazakhstan est devenu l'un des fournisseurs de céréales du Maroc. Peut-on s'attendre à davantage de coopération à l'avenir ?
Le Kazakhstan dispose d'un grand potentiel dans le domaine de l'agriculture. En raison de l'étendue de son territoire, le pays dispose d'une grande quantité de terres arables. En 2024, le Kazakhstan a produit une quantité record de 17 millions de tonnes de blé. Sur ce total, 6,5 à 7,5 millions de tonnes de blé ont été exportées vers plus de 40 pays. Il s'agit notamment des pays d'Asie Centrale, de l'Afghanistan, de la Chine, de la Turquie, de l'Italie et de la Tunisie. Cette année, pour la première fois dans notre Histoire, le Kazakhstan a négocié l'exportation de blé vers le Maroc, ce qui a permis à la société «Zine Cereales» d'obtenir un contrat d'achat de 300.000 tonnes de blé. Ce n'est qu'une première étape. Nous étudions les possibilités d'ouverture à l'avenir d'un hub de blé kazakh au Maroc destiné à approvisionner les pays africains. J'attire l'attention sur le potentiel de l'Organisation islamique pour la sécurité alimentaire (OISA), créée à l'initiative du Kazakhstan. L'OISA est une organisation internationale chargée d'assurer la sécurité alimentaire dans les Etats membres de l'Organisation de la coopération islamique. Le Maroc a signé le Statut de l'Organisation. Après la ratification, le Maroc devient membre à part entière de cette Organisation et peut participer à divers projets.