Justice, presse, société civile, parité, famille…et d'autres vont bientôt Les partis de l'opposition, le Parti de l'Istiqlal et un pan de la société civile critiquent la manière avec laquelle ces dialogues sont mis en Å"uvre par le gouvernement. Depuis le dialogue national sur la réforme de la justice, initié avec l'installation en mai 2012 d'une instance ad hoc, le gouvernement a lancé, à ce jour, cinq autres débats nationaux. Leur point commun : ils ont tous été initiés par des ministres PJD. Ainsi, celui de la réforme globale de la justice est l'œuvre de Mustapha Ramid. L'initiative de celui de la réforme de la presse revient à Mustapha El Khalfi, ceux relatifs à l'instance nationale de la parité et au conseil supérieur de la famille et de l'enfance est à inscrire à l'actif de la ministre Bassima Hakkaoui alors que le dernier et de loin le plus controversé, celui de la société civile, a été lancé par Lahbib Choubani. Le chef du gouvernement chapeaute lui aussi, un autre débat, celui relatif au dialogue social, puisqu'il préside lui-même la haute commission de concertation créée à cet effet. Sur le fond, la démarche ne peut être que louable. Après tout, observe-t-on, la concertation et la démocratie participative sont des principes dûment inscrits dans la nouvelle Constitution. Mais c'est la manière de mettre en application ces principes qui dérange plus d'un. Ce qui a commencé par de petites critiques et observations lancées ici et là a fini par déboucher sur un large boycott politiquement assumé. D'abord quelques observations quant à la formation des commissions scientifiques ou élargies, selon la terminologie adoptée pour chaque département, émises par certains partenaires même du PJD au gouvernement, le Parti de l'Istiqlal notamment. Avec le lancement, récemment, du dialogue national sur la société civile, des voix contestataires se sont élevées. Des ONG, personnalités publiques et académiques se sont retirées, l'une après l'autre, de la commission désignée pour chapeauter ce débat que préside l'ancien secrétaire général du PPS, Ismaïl Alaoui. Peu après, et sur décision de son bureau politique, l'USFP (39 sièges, opposition) a annoncé son retrait, non seulement de ce dialogue, mais de tous les dialogues nationaux initiés par le gouvernement. Il a invité, par la même occasion, tous ses militants qui siègent dans différentes commissions créées pour organiser et superviser ces débats à faire de même. La formation de Driss Lachgar estime, néanmoins, que le débat, préalable pour l'élaboration de certaines lois organiques nécessaires à la mise en œuvre de la Constitution, doit se faire entre gouvernement et Parlement, entre majorité et opposition, à l'intérieur des institutions ou bien à travers la société civile. Dans ce dernier cas, il faut prendre en compte la position et le statut des acteurs politiques, des droits de l'homme et de la société civile. Ce que les différentes commissions mises en place n'ont pas vraiment pris en considération. Effet boule de neige Dans les faits, «il s'est avéré que les commissions créées sont devenues un espace de compromis, de cooptation, de partialité, de banalisation de l'action partisane, politique et civile. Avec en plus le fait de choisir individuellement les responsables, occultant l'action participative au profit de la pratique du clientélisme au sein d'un système flou manquant de méthodologie, de gouvernance et de responsabilité», lit-on dans un communiqué diffusé au terme de la réunion, le 18 mars, du bureau politique de l'USFP. Certains socialistes vont jusqu'à verser dans la caricature et qualifier ces dialogues non pas de dialogues nationaux, mais de dialogue entre le PJD et les multiples associations qui gravitent autour du parti et de sa matrice, le MUR (Mouvement unicité et réforme). Les autres formations de l'opposition font de même. Le RNI (première force de l'opposition, 53 sièges) lui emboîte le pas. Son bureau politique réuni, le 21 mars, a décidé, lui aussi, de se joindre aux voix qui ont contesté la méthodologie de préparation du dialogue national sur la société civile. «Le RNI n'est pas contre le dialogue en soi. Ce qu'il rejette c'est la méthodologie suivie lors de la préparation et la mise en œuvre du dialogue national sur la société civile et les autres dialogues nationaux», précise un communiqué de son bureau politique. Le PAM (deuxième parti de l'opposition, 47 sièges) avait déjà auparavant sévèrement critiqué le dialogue national sur la réforme de la justice qu'il avait considéré comme s'étant définitivement écarté de sa voie. Au sein même de la majorité, le Parti de l'Istiqlal (60 sièges) conteste lui aussi, pour reprendre les termes du député et membre du comité exécutif, Abdelkader El Kihel, «la manière avec laquelle ont été choisis les membres des commissions qui dirigent ces débats». Il faut comprendre une chose, ajoute-t-il : «Il ne s'agit pas d'une surenchère politique ou une guerre de positions (NDLR : Allusion faite à cette propension du PJD de placer le plus grand nombre des siens dans les commissions des dialogues nationaux). Ce n'est qu'une étape dans la préparation des lois organiques, le résultat même de ces débats n'est pas définitif. Ce n'est qu'une base de travail». Les critiques fusent, ainsi, de partout et la polémique ne fait qu'enfler. Et dire, observe-t-il, que «nous n'en sommes encore qu'au stade de la mise en place des mécanismes du débat. Que dire alors quand le vrai débat sera engagé, quand il faudra concilier les avis les plus divergents». De même, que «ce n'est pas un fait à minimiser, puisque ces dysfonctionnements qui portent sur la forme du débat vont certainement influencer son contenu, voire son issue». Un avis que ne partagent certainement pas ses alliés du PPS (majorité, 18 sièges). Le membre du bureau politique du PPS, Abdelahad Fassi Fihri dit, à juste titre, ne pas comprendre «la position de ceux qui refusent de participer au débat. Il faut s'écarter de tout calcul politique lorsqu'il s'agit d'aspects qui concernent l'élaboration de textes de lois organiques relatifs à la mise en œuvre de la Constitution. Nous avons besoin de la participation de tout le monde». Et d'ajouter : «C'est légitime, on peut critiquer certains aspects et certaines démarches, mais il est important de s'impliquer. Et si critique il y a, il faut l'exprimer à l'intérieur des instances mises en place pour encadrer et diriger ces débats». Trop de débats tue le débat Quoi qu'il en soit, le gouvernement ne compte pas s'arrêter en si bon chemin, bien que les derniers dialogues déjà enclenchés s'annoncent longs et fastidieux. Les plus avancés, celui de la Justice, initié en mai 2012, et de la réforme du code de la presse, lancé début octobre 2012, sont déjà près de boucler leur première année. Le débat sur la société civile qu'encadre la commission présidée par Ismaïl Alaoui prendra au moins une année, affirme une source du PPS. Et ce n'est pas tout, d'autres débats vont bientôt suivre. L'agenda législatif remis par le gouvernement aux élus de la nation parlent d'au moins une dizaine d'autres débats. Des concertations qui seront conduites, selon les cas, par des commissions techniques regroupant les acteurs intéressés ou des instances élargies, voire ouvertes à toutes les tendances de la société. C'est le cas, entre autres, de la régionalisation, l'officialisation de l'amazigh, les lois électorales, la Cour constitutionnelle, le droit de grève, les libertés publiques… Cela alors que certaines formations politiques et syndicales, l'USFP et la FDT notamment, viennent d'initier leurs propres débats sur presque les mêmes thématiques. Il ne faut pas non plus oublier le travail accompli par des associations qui militent pour la culture amazighe, aussi bien celles indépendantes que celles proches du gouvernement, concernant la future loi organique relative à l'officialisation de la langue amazighe (art. 5 de la Constitution). Ce qui, en définitive, nous fait beaucoup de débats, en même temps. Question qui ne manque pas de se poser : Est-il opportun d'ouvrir simultanément tant de débats sur des thèmes aussi divers que fondamentaux ? Le député et membre du comité exécutif du Parti de l'Istiqlal, Abdelkader El Kihel, estime, en effet, qu'«un nombre aussi important de dialogues lancés en même temps risque justement de diluer le débat public et de n'en faire, en fin de compte, qu'un simple produit de consommation dont l'effet s'estompe aussitôt que cesse l'intérêt médiatique. Ce qu'il faut, en revanche, c'est de véritables dialogues nationaux qui mobilisent toute la société et auxquels adhère une grande partie de ses composantes». Or, il semble que le gouvernement ne peut pas faire autrement. La concertation et la démocratie participative étant devenues des principes constitutionnels, le gouvernement n'a pas d'autres choix que d'associer le plus grand nombre possible d'acteurs politiques, sociaux et autres à la confection des textes sur lesquels repose la mise en œuvre de la Constitution. Les parlementaires mis sur la touche ? «Nous avons une Constitution à mettre en œuvre, explique en ce sens ce responsable du PPS, et avant de préparer ces lois organiques, il faut un travail de concertation. Or il y a un agenda à respecter et des engagements à tenir. Tout cela en si peu de temps». Aussi, le gouvernement ne peut-il pas faire autrement que de lancer plusieurs chantiers à la fois. Toutefois, reconnaît ce dirigeant du PPS, «vouloir tout faire à la fois en même temps engendre le risque de tomber dans la précipitation et le manque de visibilité». Il faut donc définir les priorités. Tout comme il faut ménager en même temps les autres partenaires. La mise en œuvre de la Constitution, tout le monde en convient, n'est pas l'apanage du gouvernement. Que devient alors dans ce cas le rôle du parlementaire. Ces dialogues nationaux n'empiètent-ils pas sur ses attributions de législation, lui qui est par excellence le représentant légitime de la nation (art. 2 de la Constitution) ? Un dialogue national étant, en effet et par définition, censé exprimer et rendre compte des opinions qui traversent la société. Rien à craindre de ce côté, selon l'istiqlalien Abdelkader El Kihel : «Il n'y a aucune opposition ou conflit entre le travail des parlementaires et les dialogues nationaux quand ces derniers sont menés selon des normes bien définies et communément admises de tous les concernés». En réalité, confirme Abdelahad Fassi Fihri, «le Parlement intervient en dernier ressort et vote les lois que le gouvernement aura préparées en s'inspirant des résultats de ces dialogues». Cela dit, les parlementaires auront, une fois les projets des lois entre leurs mains, toute la latitude d'y apporter les amendements qu'ils jugeront nécessaires et de les enrichir si le besoin s'en fait sentir. Ce qui est certain, selon ce dirigeant du PPS, c'est que «ce processus de participation et de concertation apporte une garantie d'une production législative de qualité. Après tout, un texte fruit d'une large concertation est souvent bien meilleur qu'un projet de texte de loi confectionné par une poignée d'experts». C'est pour dire que ces dialogues ne limitent en rien le travail des parlementaires. Ces derniers peuvent même y participer, soit sous leurs casquettes partisanes ou même en tant que membres de la société civile. Pourvu d'y mettre un peu de bonne foi.