Benkirane l'avait annoncé en mai. Promis pour cette rentrée, il n'est toujours pas présenté au Parlement. Selon le PJD, il n'y a aucune contradiction entre les priorités du gouvernement et celles évoquées dans le discours du 12 octobre. Lundi 14 mai, le chef du gouvernement évoquait pour la première fois devant les députés l'idée d'un agenda législatif du gouvernement. Il parlait déjà de 13 lois organiques, 150 projets de loi et 140 projets de décret. Cinq mois plus tard, jeudi 11 octobre, le gouvernement annonçait qu'il avait finalement bouclé ce fameux agenda législatif. Et c'est ce même jour qu'une mouture, datée de mai dernier, de ce texte a commencé à circuler dans la presse. Pour en arriver là, le projet de l'agenda législatif a été présenté à deux reprises en conseil de gouvernement. Deux semaines plus tard, le texte n'a toujours pas été déposé, comme promis par le chef du gouvernement il y a près de six mois, auprès de la commission de la justice. A en croire le président du groupe parlementaire du PJD, fraîchement élu, Abdellah Bouanou, «l'agenda est fin prêt. S'il n'est pas encore présenté c'est parce que le gouvernement et le Parlement ne se sont toujours pas mis d'accord sur la personne qui va le présenter». En effet, explique notre source, entre le ministre chargé des relations avec le Parlement, Lahbib Choubani (PJD), le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la modernisation de l'administration, Abdelâadim El Guerrouj, et le Secrétaire général du gouvernement, Driss Dahak, les avis sont partagés. Les parlementaires souhaiteraient que ce soit ce dernier qui présente le texte. Chose qui ne conviendrait pas au secrétaire général lui-même, «puisque c'est une affaire qui concerne le gouvernement», confie le président du groupe parlementaire du PJD. Bref, c'est pour dire que ce n'est plus qu'une question de jours. Cela sachant qu'entre- temps, le discours royal, à l'occasion de l'ouverture de l'année législative le 12 octobre, remet en cause les priorités législatives déjà fixées par le gouvernement. «Le discours royal insiste, explique le politologue Mohamed Darif, sur quatre priorités : la régionalisation avancée, la réforme de la justice, la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe et les institutions de la bonne gouvernance. Il va sans dire que, comparées à la mouture dont la presse a fait écho, les priorités du gouvernement étaient autres». L'Exécutif insiste plutôt, et dans cet ordre, sur la loi organique du gouvernement, les lois organiques relatives à la Cour constitutionnelle, aux finances, à l'organisation du droit à la grève et aux commissions d'enquête parlementaires. L'ensemble de ces textes devrait être présenté au Parlement avant la fin de cette année. Les autres textes considérés comme prioritaires et relatifs au Conseil supérieur de l'autorité judiciaire, au Conseil économique et social, à la régionalisation, au statut des magistrats, à la mise en œuvre de l'officialisation de l'amazigh, entre autres, sont attendus pour 2013. «Il semble que le gouvernement ait choisi de commencer par les textes qui ne posent pas de grands problèmes», commente M. Darif. Des contraintes et des complications pour les ministres Seulement, au PJD on ne voit aucune contradiction entre les priorités fixées par le gouvernement et celles contenues dans le discours du 12 octobre. «En termes de priorités, l'agenda du gouvernement est en parfaite concordance avec le discours royal», affirme le président du groupe parlementaire du PJD. Il faut dire, reconnaît la même source, que la mouture qui circule actuellement dans la presse a été légèrement revue. Ceci n'explique pas ce retard du gouvernement, sachant que les députés du PJD, eux-mêmes, ont pris l'initiative, il y a un peu plus de trois mois, de saisir le chef du gouvernement sur la question et le presser de présenter l'agenda devant la commission de la justice. Au gouvernement, on évoque «certaines contraintes et complications» concernant la programmation des textes de loi, sans plus de détails. En effet, explique M. Darif, «pour arriver au stade de projet de loi, ces textes doivent passer par une longue procédure. Une fois élaboré par le département concerné, un texte doit d'abord être remis sous forme d'avant-projet au Secrétariat général du gouvernement (SGG). Celui-ci le soumet pour examen et adoption au conseil du gouvernement, après une remise en forme. Il est ensuite examiné et adopté en conseil des ministres avant qu'il ne soit déposé au Parlement». Voilà pour la procédure. Cependant, affirme ce professeur de sciences politiques à l'Université Hassan II, «ce faisant, il ne faut pas omettre le caractère très spécial du Secrétariat général du gouvernement. Des années de pratique l'ont montré, le SGG ne se limite pas au seul rôle technique. Il joue souvent un rôle politique. Il lui arrive ainsi de temporiser pour certains textes de loi ou de modifier la teneur d'autres». Aussi, ce politologue pose-t-il la question si le Secrétariat général du gouvernement va se soumettre aux deadlines fixés par le chef du gouvernement. Plus de 100 projets de loi avant fin 2012 ! Un constat qu'on peut relever, d'ailleurs, sur ce document de plus de 120 pages qui constitue un premier «draft», de l'agenda législatif : des avant-projets de loi comme celui relatif aux employés de maisons, les rapports de travail dans le secteur de l'artisanat, l'hygiène et la sécurité dans les milieux professionnels, le code de la mutualité, pour ne citer que ces exemples, sont déposés auprès du SGG depuis déjà le mois de mars dernier. D'autres ont été déposés depuis mai dernier. Bien sûr, le chef du gouvernement espère pallier cette «difficulté» en réservant une trentaine de nouveaux postes d'emploi au SGG pour lui permettre d'étoffer son encadrement. Autre «difficulté», le gouvernement s'est engagé à faire accompagner tous les projets de loi par leurs décrets d'application. Une revendication parlementaire de longue date qui a même fait l'objet d'une proposition de loi, déposée au Parlement en mai 2008 par l'ancien parlementaire Faouzi Chaâbi, alors député PPS. «Cette mesure va compliquer davantage la situation et coûter beaucoup d'efforts et de temps au gouvernement dont les membres sont par ailleurs très pris par les exigences de la gestion ordinaire de leurs départements», affirme un membre du gouvernement. De plus, «on vient à peine de boucler la Loi de finances, et voilà que nous devons entamer l'exécution de cet agenda. C'est difficile», ajoute-t-il. Difficile aussi, semble-t-il, est la situation pour les parlementaires qui, si l'on s'en tient à la copie de cet agenda divulguée par le gouvernement, se verront remettre pour débat, amendement et adoption plus d'une centaine de projets de textes de loi d'ici la fin de l'année. «Mission impossible», laisse-t-on entendre auprès des groupes de l'opposition, sachant que le Parlement sera mobilisé pour les 70 prochains jours par la discussion et l'adoption du projet de Loi de finances. Cela d'autant que, pour reprendre les termes du politologue et député USFP, Hassan Tariq, le fait de programmer avant fin 2012 cinq projets de loi organiques relatifs au fonctionnement du gouvernement, à la Loi de finances, aux commissions d'enquêtes, à la Cour constitutionnelle et au droit de la grève et quatre lois organisant le Conseil de la concurrence, l'Instance nationale de lutte contre la corruption, l'Instance relative à la parité et le Conseil consultatif de la famille et de l'enfance, relève tout simplement de l'impossible. Officiellement, au sein de l'opposition, on refuse de se prononcer sur une proposition qui n'existe pas encore. «Pour nous, tant qu'il ne nous a pas été soumis à la commission, cet agenda législatif n'existe pas», affirme en substance le député RNI Mohamed Hanine, président de la commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme. Pour le président du groupe du PJD, Abdellah Bouanou, «les débats du projet de Loi de finances devraient prendre fin vers le 20 novembre. Et de cette date au 14 février (NDLR: date de clôture de l'actuelle session d'automne), nous avons largement le temps d'examiner les textes qu'il faut». Sauf que, de l'avis de députés islamistes, les parlementaires «ont plutôt tendance à traîner». Or, s'indigne-t-il, «on ne peut pas accuser le gouvernement de lenteur alors que l'on s'autorise à prendre tout notre temps pour adopter un texte de loi». Encore du travail, bien après l'adoption des lois Cela dit, «il y a certains projets de loi qui font déjà objet de consensus entre les différents partenaires politiques avant même qu'ils n'atterrissent au Parlement. Ce genre de textes ne pose généralement pas problème. Il suffit souvent de quelques amendements et ils sont vite votés». Ceci pour dissiper certaines inquiétudes relatives au respect des délais d'adoption de certaines textes, les lois organiques non encore promulguées notamment fixés par la Constitution à 2015 (arti. 86 de la Constitution). C'est que, observe le politologue Mohamed Darif, «toutes les dates qui figurent sur ce projet d'agenda législatif correspondent au moment du dépôt des projets de loi au Parlement et non celui de leur adoption. Ce qui pose un sérieux problème du respect de cet agenda et de l'article 86 de la Constitution». Il va sans dire que même adoptés au Parlement et promulgués, le travail n'est pas encore terminé. «Il faudra ensuite, observe ce membre du gouvernement, que les départements ministériels concernés veillent à la mise en œuvre et l'application de ces textes de loi. Ce qui suppose un temps et un effort supplémentaires pour ces ministères. C'est une contrainte qui ne s'est jamais posée pour les anciens gouvernements». Bref, le retard dans la présentation du projet de l'agenda et le doute qui entache le respect des deadlines qu'il se fixe ne sont pas les seules critiques soulevées par ce document. Certains analystes, comme Hassan Tariq, reprochent au gouvernement de faire fi de l'article 10 de la Constitution. Autrement dit, dans le projet d'agenda législatif gouvernemental, il ne figure nulle part une loi organique relative à l'opposition en tant qu'institution. Les mêmes analystes ne voient pas d'un bon œil le fait que le gouvernement ait mal interprété l'article 146 (relatif à la régionalisation) en scindant un unique projet de loi sur la régionalisation en plusieurs projets. Autre critique soulevée par ce projet d'agenda législatif, une prédominance du gouvernement sur l'élaboration des textes, alors que la Constitution insiste clairement sur la méthode participative dans ce processus. Or, le gouvernement parle bel et bien de concertation dans certains cas. Sauf que pour l'Exécutif, se concerter avec le Parlement, se réduit à l'organisation de journées d'information ou une table ronde sur une question donnée. Quand il s'agit d'associer la société civile, cela se limite à une invitation à présenter des mémoires. Autrement, le projet d'agenda parle de création de commissions élargies. L'opposition, en tant que telle, et par ricochet l'ensemble du Parlement, qui pourtant détient l'exclusivité de la législation, semblent cantonnés à un rôle secondaire.