Le gouvernement vient enfin de déposer son agenda législatif auprès du Parlement. On y trouve entre autres 13 lois organiques, 10 textes relatifs aux institutions et 205 lois dites ordinaires. Un problème de double-emploi se posera pour les 120 propositions de lois déjà déposées par les élus. Il aura fallu plus d'une année au gouvernement avant de se décider à déposer, enfin, devant le Parlement son fameux agenda législatif tant attendu. C'est désormais chose faite, depuis jeudi 21 février. Sauf que les parlementaires ne savent toujours pas quoi en faire. Les présidents des deux Chambres se contenteront-ils de distribuer des copies aux chefs des groupes parlementaires ? Le document sera-t-il présenté en commission par un membre du gouvernement ou en séance plénière par le chef du gouvernement lui-même ? Auquel cas, fera-t-il partie de l'ordre du jour de la session extraordinaire, actuellement en préparation, selon une source parlementaire ? Le bureau de la première Chambre qui s'est réuni, mardi 26 février, n'a fait qu'évoquer le sujet. «Nous avons décidé de nous donner un peu de temps pour étudier profondément le document avant de discuter de ce que nous en ferons», affirme d'emblée Ouadie Benabdallah, député RNI et membre du bureau de la première Chambre. Ces questions restent donc posées jusqu'à nouvel ordre. La difficulté vient aussi du fait que «ce document n'a aucune valeur juridique puisqu'il ne s'agit ni d'un projet de loi ni d'une charte et il n'est donc pas soumis à une procédure de débat et de vote, son but étant tout juste d'informer les parlementaires des plans du gouvernement en matière législative», explique Abdelkader Bayna, professeur de droit constitutionnel et ancien député USFP. Cela dit, «c'est une bonne chose en soi que le gouvernement propose une démarche à suivre, une sorte de feuille de route, pour la mise en œuvre de la Constitution», ajoute la même source. Pour les députés, il s'agit aussi d'un outil de contrôle du gouvernement. Du point de vue politique s'entend. Une fois informés de l'agenda du gouvernement, ils seront en droit de le questionner, plus tard, en cas de retard dans la production, en son temps, d'un texte de loi. De même que les services juridiques des départements concernés sauront à quoi s'en tenir. Cela ne fera que leur faciliter la tâche. Le document liste, en effet, une série de textes, 245 au total, des lois organiques (au nombre de 13 dont 7 nouveaux textes), des textes relatifs à l'organisation des différentes instances de bonne gouvernance (dix projets de lois dont trois portant sur de nouvelles institutions) prévues par le texte constitutionnel ainsi que des textes juridiques (16 en tout) dont l'objectif d'adapter certaines dispositions juridiques à la nouvelle Constitution. Ceci pour la première partie du document. Mais déjà un premier détail important : le gouvernement n'a fixé aucun dead-line pour l'adoption de ces textes, contrairement à la version initiale. Les élections, la justice, l'amazigh : les premières priorités L'ordre de priorité de certains projets de lois organiques a été, par contre, revu depuis la première mouture, datant de mai 2012. Ainsi et comme l'impose la logique électorale, la loi organique relative aux collectivités territoriales est désormais érigée en première priorité. Elle est suivie de deux textes qui s'inscrivent dans le cadre de la réforme de la justice. En troisième position, le projet de loi portant création d'un Conseil national des langues et de la culture marocaine, suivi de la loi organique relative à la mise en œuvre de l'officialisation de la langue amazighe. Suivent plus loin les lois organiques relatives à l'organisation du gouvernement, au Conseil économique social et environnemental (CESE) et à la Cour constitutionnelle. La deuxième partie de l'agenda est consacrée aux textes qui seront proposés par 23 départements ministériels et qui sont nécessaires à la réalisation du programme gouvernemental. On parle de 205 projets de lois à élaborer et à soumettre au Parlement d'ici fin 2015. Ceci pour la forme. Le fond pose quelques questions fondamentales. La première : que deviennent les propositions de lois déjà déposées auprès des deux Chambres du Parlement ? La question mérite d'être posée, d'autant que les parlementaires des deux Chambres ont déposé à ce jour quelque 120 propositions de lois, 63 par les députés et 57 par les conseillers. Parmi ces textes figurent 12 propositions de lois organiques et de textes fondamentaux. Sur le plan juridique, le gouvernement peut soit accepter les propositions et leur apporter certains amendements, soit les rejeter parce que leur objet n'est pas du domaine de la loi ou sous prétexte qu'il prépare des projets de loi ayant le même contenu que ces propositions. Or, il faut savoir qu'une fois acceptées pour être débattues en commissions, elles ne peuvent plus être retirées que par leurs auteurs. Qu'en adviendra-t-il alors si ces derniers refusent de les retirer, notamment lorsqu'elles sont présentées par l'opposition ? Le gouvernement peut faire fonctionner le levier de sa majorité numérique et inciter les députés de la majorité à voter contre. Elles seront donc rejetées le plus «démocratiquement» qui soit. Il se peut que les deux institutions n'en arrivent pas à ce stade. Auquel cas, le texte présenté par les parlementaires peut faire objet d'un consensus. Propositions en stand-by, en attendant… Pour le moment, le gouvernement ne veut surtout pas de nouveaux clashs avec les députés. Pour preuve, pas plus tard que lundi dernier, six propositions de loi, dont 4 émanant de l'opposition, ont été présentées en commission des finances et ont toutes été retenues. «Le ministre nous a affirmé que toutes les propositions sont acceptables par le gouvernement. Bien plus, elles rejoignent parfaitement sa vision des choses», indique un élu de l'opposition. Le même discours a été tenu, à peu de chose près, par un autre ministre, quelques semaines plus tôt, aux députés au moment de la présentation d'une proposition de loi organique sur les commissions d'enquête parlementaires. A chaque fois les ministres assurent, en substance : «Nous allons étudier ces propositions et peut-être que l'on s'acheminera vers un texte consensuel commun». Entre-temps, le gouvernement, lui, s'active tout de même à préparer ses propres textes. Aussi, explique Ouadie Benabdallah, «il n'est pas exclu que l'on mette les propositions de loi en stand-by et que l'on commence par examiner les projets soumis par le gouvernement». Au meilleur des cas, une commission multipartite (gouvernement, majorité et opposition), se pencherait, le cas échéant, sur un projet de texte qui satisfaisait tout le monde. C'est que, affirme le député RNI et membre du bureau de la première Chambre, «à ce jour, le gouvernement n'a pas une position ferme et tranchée sur le devenir de ces propositions de lois déposées au Parlement». Concernant toujours les propositions de lois, un autre cas de figure peut être envisagé : le gouvernement peut vouloir brûler les étapes et contourner d'éventuels obstacles qui bloqueraient ou retarderaient l'adoption d'un projet de loi. Il peut alors, dans ce cas, inciter un des groupes de la majorité à le présenter sous forme de proposition de loi. Tout le monde le sait, une proposition de loi est plus facile et plus rapide à adopter qu'un projet de loi, quand le gouvernement y met du sien bien sûr. C'est sans doute pour cela que le PJD, au pouvoir, s'est empressé, par le biais de son groupe parlementaire, de déposer, rien que pour la dernière session d'automne qui vient de s'achever, 18 propositions de loi. Et il est actuellement, selon une source de son groupe à la première Chambre, en train de finaliser dix autres propositions. Y a-t-il encore une marge pour les députés ? Cela étant, les propositions de lois organiques présentent un cas particulièrement délicat. Elles sont actuellement au nombre de six propositions à avoir atteint le stade d'examen après avoir été acceptées par le gouvernement. Or, dans l'agenda il est stipulé que ces lois, étant un prolongement de la Constitution, devraient suivre la procédure prévue par l'article 49 de la loi fondamentale. Ce qui veut dire que ces textes doivent obligatoirement passer en conseil des ministres présidé par le Roi. Aussi est-il mentionné dans cet agenda que «l'élaboration et la rédaction de ces textes se fera dans le cadre d'une concertation entre le Cabinet royal et le gouvernement». Il y a donc de fortes chances que les propositions des parlementaires soient gelées. Dans les faits, explique Abdelkader Bayna, «la coutume a toujours voulu que ce type de textes soit élaboré par les services du Secrétariat général du gouvernement et soit obligatoirement examiné et adopté en conseil des ministres. Mais, constitutionnellement, rien n'empêche les parlementaires de proposer et d'adopter une proposition de loi organique». Ceci pour les lois organiques. Qu'en est-il des lois ordinaires ? Comme l'a précisé le constitutionnaliste et ancien député, M. Bayna, le gouvernement peut rejeter une proposition de loi pour motif qu'il prépare un projet portant sur le même objet. Or, l'agenda législatif, comme son nom l'indique, est justement une affirmation du gouvernement qu'il travaille ou va travailler sur un ensemble de textes, 245 au total, qu'il va présenter au Parlement, avant la fin de son mandat, en 2016. Et ce ne sont pas tous des textes propres au gouvernement. L'Exécutif s'est même permis de s'approprier certains textes ou idées de législation développées par les partis de l'opposition. C'est le cas, pour ne citer que cet exemple, de la proposition de loi du RNI, «Bidaya», portant sur la création d'entreprises individuelles, déposée devant la commission des finances début juillet 2012. Selon l'agenda, sa déclinaison en projet de loi a été confiée au département du commerce, d'industrie et des nouvelles technologies. Le projet devrait être soumis au Parlement courant 2013. Réaction du RNI : «Une fois qu'un texte est dans le pipe, il appartient à tout le monde», affirme Ouadie Benabdallah, également membre du bureau politique du parti. Une course à la production de lois Cela voudrait-il dire que le gouvernement a ainsi réduit la marge de manœuvre des députés, ce qui est, en soi, une entorse à l'article 78 de la Constitution ? Lequel article énonce, faut-il le rappeler, que «l'initiative des lois appartient concurremment au chef du gouvernement et aux membres du Parlement. (…)». Encore une fois, affirme le constitutionnaliste M.Bayna, «par cet agenda, le gouvernement ne fait que nous informer sur les chantiers législatifs sur lesquels il travaille ou a l'intention de travailler. Cela ne veut pas dire qu'il ferme la porte de la législation aux parlementaires. Au contraire, il vient ainsi leur faciliter la tâche en faisant une étude détaillée de la Constitution et en dressant une liste des textes nécessaires pour sa mise en œuvre. Ce faisant, il montre la voie aux parlementaires». Autrement dit, c'est une course à la législation qu'il vient d'ouvrir. C'est à qui du gouvernement ou du Parlement, principalement l'opposition, présenterait le premier les textes de loi requis. De plus, «que le gouvernement ait préparé un agenda législatif cela ne l'oblige pas à préparer et présenter l'ensemble des projets qu'il contient. Il peut très bien préparer certains textes et les confier aux groupes de la majorité pour les présenter sous forme de propositions». Bref, au-delà de ce débat constitutionnel, l'agenda législatif du gouvernement pose également la question des priorités. Celles de l'Exécutif ne sont pas forcément les mêmes que celles de l'opposition. Bien plus, au sein même de la majorité gouvernementale, les priorités des membres de la coalition ne sont pas les mêmes. L'Istiqlal vient, encore une fois, de le réaffirmer. En conclusion, rien n'est figé et définitif. Tout peut faire l'objet, à tout moment, de modification et réarrangement et de mise à jour en fonction des besoins de chacune des institutions.