En l'espace de 10 mois, 23 propositions ont déjà été déposées par les élus devant la première Chambre. L'USFP et l'Istiqlal ont été à l'origine de plus de la moitié des propositions, soit 13 textes. Avec une vingtaine de propositions de loi, les parlementaires ne prétendent certainement pas ravir la vedette au gouvernement, mais l'intention y est. Ahmed Zaidi, président du groupe parlementaire USFP, ne le cache pas. «Nous n'allons pas rester les bras croisés et attendre que le gouvernement se décide à produire des projets de loi. Aussi avons-nous décidé de prendre l'initiative». Son groupe, l'USFP, vient d'annoncer le dépôt, le 18 septembre, devant le bureau du Parlement de son septième texte qui porte sur la création d'une «Instance des affaires de l'Etat». Un organisme inédit dont la vocation serait de défendre les intérêts de l'Etat, notamment devant les tribunaux du Royaume et les instances judiciaires internationales. C'est surtout «une mesure concrète de renforcement et de consolidation de la bonne gouvernance dans le service public», assurent les auteurs de cette proposition, dont l'ancien ministre Driss Lachgar. L'USFP a remis, auparavant, au goût du jour un ancien texte, proposition de loi garantissant l'accès à l'information, qui a séjourné au Parlement pendant plusieurs années. Mais, comme le confie le président du groupe, «ce texte a peu de chance d'être examiné et encore moins adopté». Et pour cause, le gouvernement est actuellement en train de plancher sur un projet similaire qui devrait probablement, lui, être adopté, sinon promulgué avant fin 2013. Bref, au total, ce sont, à ce jour, pas moins de 23 propositions de loi qui ont été déposées auprès des services de la Chambre des représentants. A cela s'ajoutent, selon les derniers chiffres produits par le ministère chargé des relations avec le Parlement, les 69 propositions déposées devant la Chambre des conseillers, dont quatre depuis le début de l'actuelle législature. Il faut dire que certains textes végètent dans les tiroirs du bureau de la Chambre depuis… 1998. Question : combien parmi ces textes ont la chance d'aboutir ? Pour le ministère chargé des relations avec le Parlement, «cela dépend des commissions». En effet, si depuis le début de cette législature, il y a 10 mois, une seule proposition de loi, présentée le 22 mai par le PJD, a été adoptée, c'est la faute aux commissions. «Les commissions parlementaires ne sont pas assez efficaces vu que l'initiative en matière de programmation des textes de loi est désormais un pouvoir exclusif du Parlement», justifie-t-on auprès du ministère chargé des relations avec le Parlement. En même temps, les deux Chambres ont adopté 19 sur les 59 projets de loi présentés par le gouvernement. Une séance par mois pour les propositions de loi N'empêche que «l'opposition ne va pas demeurer les mains liées. Elle va continuer à prendre l'initiative, maintenant que la Constitution lui en donne le pouvoir. Si nous arrivons à faire voter un seul texte par mois, cela nous fera 12 propositions de loi par an, ce sera déjà un exploit», explique le président du groupe parlementaire de l'USFP. La Constitution, faut-il le rappeler, prévoit une séance mensuelle au Parlement consacrée exclusivement à l'examen des propositions de loi présentées par les députés, notamment ceux de l'opposition (art.82). Aussi, devrait-on s'attendre à une accélération de la cadence de la production législative des députés. L'USFP vient d'ailleurs de nommer un coordinateur pour chaque commission afin de détecter les vides juridiques qui pourraient être comblés par les propositions de loi. Le PAM, son partenaire de l'opposition, planche, lui aussi, sur une série de textes qu'il entend déposer auprès de la Chambre dans les mois, sinon les semaines à venir. Le RNI, lui, a déjà déposé trois textes dont celui, remis le 3 juillet, qui porte sur la promotion de l'auto-emploi et à la création d'entreprises. «D'autres textes vont certainement venir. Nous y travaillons», affirme une source du groupe RNI. La majorité gouvernementale n'est pas en reste. L'Istiqlal comme le PJD ont décidé, pour le moment, de remettre à jour une série de propositions qui n'ont pas pu aboutir pendant la précédente législature (2007-2011). Vingt-trois propositions de loi en dix mois, donc. A première vue, ce n'est pas un exploit en soi. Pendant la session d'octobre 2007, alors que l'ancien Parlement venait à peine de prendre fonction, les partis représentés, opposition et majorité confondues, ont produit 34 propositions de loi. Mais, à y voir de plus près, les textes actuels ont gagné en qualité. Les parlementaires ne se limitent plus à quelques amendements des textes déjà existants, mais élaborent des textes en bonne et due forme. Naturellement, ces textes doivent être complétés, améliorés et apurés pendant leur examen avant d'être mis en forme, une fois accompli le circuit parlementaire, par le Secrétariat général du gouvernement pour qu'ils prennent le chemin du Bulletin officiel et donc de la promulgation. Autre remarque : plusieurs textes, actuellement devant la première Chambre, ne sont qu'une reproduction, presque à l'identique, de textes déjà déposés pendant la précédente législature, mais qui, pour une raison ou une autre, n'ont jamais été examinés. Cela dit, certaines parmi la vingtaine de propositions soumises au Parlement touchent à un domaine particulier : les droits de l'Homme et les libertés ainsi que la bonne gouvernance. La récente proposition de l'USFP portant sur la création d'une instance des affaires d'Etat ou encore un texte en cours de préparation, initiative du jeune député Mehdi Bensaïd, contre toutes les formes de racisme, que le PAM compte présenter, font figure de premiers exemples en la matière. Une proposition de loi comme catalyseur Par ailleurs, à la différence de l'opposition dont c'est le seul moyen de contribuer à la production législative, «les partis de la majorité ont souvent recours à des propositions de loi comme tactique politique», explique le politologue Tarik Tlaty. Pour ce professeur des sciences politiques, «ces partis agissent ainsi dans un souci de pragmatisme politique. Le PJD par exemple est conscient que sa position de chef de file du gouvernement ne lui permet pas de remettre en cause les intérêts de l'Etat, il évite donc de prendre certaines initiatives qui pourraient leur nuire. En même temps, pour garder sa cote de popularité, il les fait passer par le canal de son groupe parlementaire». Sa proposition de loi portant sur l'interdiction de la publicité des boissons alcoolisées en est l'exemple type. Tout comme l'a été, d'ailleurs, pour son partenaire, l'Istiqlal, alors aux commandes, sous le gouvernement El Fassi, sa fameuse proposition de loi sur l'arabisation de «la vie» publique. Il arrive également que des membres du gouvernement se servent des propositions de loi comme… catalyseur. Le projet de loi sur la protection des consommateurs (promulguée en avril 2011), présenté par le ministre USFP du commerce et de l'industrie Ahmed Chami, sous le gouvernement El Fassi et dont l'adoption a été facilitée par le dépôt par le groupe socialiste, en 2008, d'une proposition portant sur le même thème, en est un exemple. Le PJD vient de faire de même. A peine installé au gouvernement, il a entamé une campagne de pression pour l'autorisation des banques islamiques. Pour ce faire, il n'a pas trouvé mieux qu'une proposition de loi qu'il n'a toujours pas déposée au Parlement. Entre-temps, c'est un nouveau projet de loi portant amendement de la loi bancaire qui est actuellement en cours de préparation. L'expérience gouvernementale peut toujours servir Bref, il arrive souvent, confie une source au Parlement, qu'un parti, ou même un ministre, qui peine à faire imposer un projet de loi au gouvernement, ait recours à ses parlementaires pour présenter une proposition de loi sur le même sujet. Une fois le texte déposé au Parlement, le parti, ou le ministre en question, en fait un moyen de pression pour accélérer la procédure sous prétexte que le gouvernement ne se fasse pas damer le pion par les parlementaires. En somme, d'un côté comme de l'autre, et indépendamment des motivations des uns et des autres, tout porte à croire que nous allons connaître une législature particulièrement fertile en propositions de loi. Et cela pour différentes raisons. La première étant d'ordre constitutionnel. Le domaine de la loi a été non seulement élargi, mais confié exclusivement au Parlement. «Du coup, explique le politologue Tarik Tlaty, la marge de manœuvre des députés s'est considérablement étendue». Naturellement, aussi bien le gouvernement que les partis de l'opposition se livrent déjà bataille sur le plan législatif. C'est à qui contribuera le plus à donner corps à l'énoncé et à l'esprit de la nouvelle Constitution. Bien sûr, il est dans l'obligation du gouvernement de produire l'ensemble des lois organiques nécessaires à cet effet, mais rien n'empêche que l'opposition élabore des propositions de lois organiques. «Normalement c'est au gouvernement que revient l'initiative, mais nous n'allons pas attendre», affirme le député socialiste, Ahmed Zaidi. La deuxième raison étant que deux composantes de l'opposition, l'USFP et le RNI, rompues à la gestion des affaires de l'Etat, lorsqu'elles étaient au gouvernement, ont acquis une expérience considérable en matière de législation. Cela d'autant que les groupes parlementaires des deux partis comptent dans leurs rangs 11 anciens ministres (5 pour le RNI et 6 pour l'USFP). Chose aidant, l'actuel gouvernement travaille toujours sur des dossiers que des partis, aujourd'hui dans l'opposition, ont initiés. Ils connaissent donc la nature de ces textes de loi . Autre facteur, ajoute M. Tlaty, «même les partis qui ne disposent pas d'assez de compétences ont acquis l'habitude de consulter et se faire aider par des experts». Le Parlement, en lui-même, a subi une mutation au lendemain des dernières élections du 25 novembre : moins de notables et d'illettrés et plus de jeunes cadres et instruits. Autant de facteurs qui incitent les parlementaires à se pencher un peu plus sur le deuxième volet de leur mission : la production des textes de loi. Le premier étant le contrôle du gouvernement. Cela alors que, même sur le plan stratégique, le Parlement, lui-même, a acquis une importance capitale. «Dans le passé, les partenaires politiques du Maroc, que ce soit les Européens ou les Américains, se contentaient de leurs rapports avec l'Exécutif. Aujourd'hui, pour eux, le Parlement devient tout aussi important», explique le député PAM, Mehdi Bensaïd, qui vient de rentrer, avec 7 autres parlementaires (issus de 6 partis politiques), d'un voyage de formation, parrainé par le G8, au Congrès américain. C'est que, depuis l'adoption de la nouvelle Constitution au Maroc et les vastes réformes politiques auxquelles elle a ouvert la voie, les pays du G8 comme l'Union européenne, mais aussi les ONG internationales, s'intéressent davantage et de près à l'évolution de l'institution législative nationale.