En une année et deux sessions, les députés n'ont déposé aucune proposition de loi. L'USFP tient le haut du pavé avec 18 textes de loi en trois années, le PAM n'en a présenté que trois durant la même période. Les députés se plaignent contre le manque de moyens et la prédominance du gouvernement dans l'action législative. Un bilan pour le moins médiocre ! En trois ans, nos parlementaires n'ont produit que 83 propositions de loi alors que légiférer est bien l'une de leurs deux principales missions, l'autre étant celle de contrôler l'action du gouvernement. Cette législature avait pourtant bien démarré. Les chiffres communiqués par les services de la première Chambre en attestent largement. Durant la seule session d'octobre de 2007, le Parlement, fraîchement élu, a produit 34 propositions de loi. Lors de la session suivante, en avril 2008, les élus de la nation ont déposé également 34 textes auprès du bureau de la première chambre. Octobre 2009 a été une session de vaches maigres. Seuls 10 textes ont atterri devant la présidence de la Chambre. La même année législative, lors de la session d'avril, seul un texte a été déposé. En mai 2009, plus exactement et encore, elle était motivée par des circonstances particulières : la polémique sur la transhumance des élus. Le PJD avait alors déposé une proposition de loi pour amender l'article 5 de la loi sur les partis politiques. Lors de la sesion d'automne, octobre 2009, l'USFP avait déposé l'unique proposition de loi. Un texte garantissant le droit d'accès à l'information. Tout porte à croire que les députés ont manifestement perdu le goût. Il a fallu, en effet, attendre une année, donc deux sessions parlementaires, pour voir les députés reprendre la production des textes de loi. Ainsi, en ces deux dernières semaines, cinq textes ont été remis au bureau de la Chambre, quatre par le groupe de l'Alliance des forces démocratiques (PPS-FFD-Al Ahd) et un texte présenté par le groupe de l'USFP. Pourquoi un tel désintérêt, pour la production législative ? Les députés contactés tentent, chacun à sa manière, de donner une explication. L'année 2009 a été une année électorale, avancent certains. La machine législative a quelque peu grippé en raison de la domination des élections communales, juin 2009, et du renouvellement du tiers sortant de la deuxième Chambre, octobre 2009, sur la scène politique. «Beaucoup de projets de loi [NDLR : déposés par le gouvernement] ont été retardés à cause des élections. Et comme ce sont les projets qui ont toujours la priorité, les députés n'ont pas estimé utile de présenter des propositions de loi qui n'ont aucune chance d'être programmées», confie un député istiqlalien. Or une année s'est écoulée depuis et la situation n'a toujours pas changé. «Plusieurs facteurs expliquent cette faible production législative des élus. Le plus important est incontestablement d'ordre institutionnel : l'action de légiférer est presque exclusivement concentrée entre les mains du gouvernement», explique Mohamed Aterguine, professeur universitaire et membre du bureau national du PAM. C'est la cause communément avancée par les députés pour expliquer leur faible rendement. Le manque de moyens est également considéré comme un handicap. «Comment un groupe parlementaire de 50 membres peut-il travailler convenablement alors qu'il ne peut compter que sur six cadres», s'indigne Mohamed Karimine, président PI de la commission des Finances à la deuxième Chambre. Le groupe de l'Alliance des forces socialistes à la première Chambre ne compte, lui, que quatre fonctionnaires dont un conseiller juridique et un conseiller dans le domaine financier et économique, fait noter Ahmed Oujamhour, membre du Comité central du PPS et cadre à la Chambre des représentants. Questions orales et le droit d'informer plus rentables politiquement Les députés ne peuvent pas non plus compter sur eux-mêmes, comme cela se faisait auparavant. Et pour cause, la configuration du Parlement a beaucoup changé. Pour des raisons purement électoralistes, le Parlement compte, désormais, moins de cadres et d'experts et plus de notables. «Nous sommes arrivés à un tel point que j'étais souvent obligé de donner un cours de droit aux membres de la commission avant d'entamer l'examen d'un texte», se désole ce député, juriste et ancien président de la commission de la Justice. L'absentéisme des députés et la cadence remarquablement élevée, ces dernières années, de la transhumance n'arrangent pas non plus les choses. Il faut dire aussi que plusieurs élus assument d'autres responsabilités ailleurs, dans d'autres institutions notamment les conseils des villes et des régions. Du coup, ils ne peuvent pas se consacrer entièrement à l'action parlementaire. Cela d'autant qu'il est plus rentable, politiquement s'entend, et moins fastidieux de s'en tenir aux questions orales et au droit d'informer, procédure très en vogue actuellement à la deuxième Chambre. C'est d'ailleurs ce que nous a confié dernièrement Ahmed Touhami, alors président du groupe PAM au Parlement. «Sur le plan tactique, affirme-t-il, il est plus profitable de se focaliser sur l'action de contrôle et de censure que sur l'action législative». Et ce, justifie-t-il, pour la simple raison que «le gouvernement dispose du pouvoir absolu d'accepter ou de refuser la programmation pour examen au Parlement d'une proposition de loi». Le gouvernement intervient, certes, mais pas aussi grossièrement. C'est en effet le gouvernement qui décide de l'ordre du jour des séances du Parlement. Il peut, en ce sens, imposer que la priorité soit accordée aux projets de loi qu'il soumet lui-même au Parlement. Il peut annuler une proposition en envoyant une simple mention précisant que «le gouvernement est actuellement en train de plancher sur un projet similaire». C'est d'ailleurs la façon la plus utilisée pour avorter une proposition de loi, confie M. Oujamhour, mais, selon ce connaisseur des arcanes du Parlement, rien n'empêche les groupes parlementaires ou les députés eux-mêmes, à titre individuel, de présenter des propositions de loi. Pour ce qui est de leur sort, «tout dépend du poids et de l'autorité du président de la commission. C'est lui qui impose son rythme à la commission», affirme M. Oujamhour. Une arme parlementaire entre les mains des partis Le bras de fer qui a opposé le ministre des finances Salaheddine Mezouar et le président de la commission Amar Cheikh, alors qu'il était encore député istiqlalien avant de rejoindre le PAM, à propos d'une proposition de loi portant amendement de la loi organique des finances, en est une illustration parfaite. Pour rappel, le président de la commission a tenu à faire adopter une proposition de loi du groupe istiqlalien alors que le ministère planchait sur un projet de loi encore plus complet et plus exhaustif. Il aura fallu que le nouveau ministre chargé des relations avec le Parlement, Driss Lachgar, pèse de tout son poids pour faire revenir le président de la commission sur sa décision. Bref, rien n'empêche donc, théoriquement, les députés de présenter, défendre et adopter la proposition en commission, puis en séance plénière, ensuite, après avoir achevé le processus d'adoption, la transmettre au Secrétariat général du gouvernement pour sa «mise en forme juridique» avant sa promulgation par dahir. Ce n'est qu'à ce stade que le gouvernement pourrait intervenir en saisissant le Conseil constitutionnel et demander l'annulation du texte. Ce qui est très rare. Mais avant d'en arriver là, et malgré toutes les complications mises en avant, les propositions de loi ont souvent servi les intérêts, non avoués, des uns et des autres, que ce soit du côté des partis politiques ou de celui des membres du gouvernement. Avant cette proposition sur la loi organique des finances, l'Istiqlal a déjà titillé le ministre RNI des finances. En décembre 2007, le groupe PI a présenté un texte dont l'objectif est de soustraire l'Inspection générale des finances, IGF, au ministère du même nom pour la mettre sous la tutelle directe du Premier ministre. L'Istiqlal a marqué le coup, mais le texte n'a jamais été programmé par la commission. L'Istiqlal est d'ailleurs passé maître dans l'art de production de textes au contenu beaucoup plus politique que législatif. L'exemple le plus édifiant en ce sens est l'éternelle proposition de loi sur l'arabisation de l'administration et de la vie publique. Le parti de Allal El Fassi, qui fait de la question son cheval de batail, reconduit cette proposition à chaque législative. Le PJD excelle également dans l'art de faire des propositions controversées et aux fortes retombées électorales. Il y a une année, en plein débat de la Loi de finances, il a rebondi sur une proposition présentée, en juin 2008, par l'UC, et glissé un texte de loi portant création d'un fonds de solidarité familiale. Les islamistes ont pris au dépourvu la majorité et ont fini par faire passer le texte. En janvier 2008, alors que le Parlement débattait le projet de loi sur la déclaration de patrimoine des élus, le groupe du PJD déposait un texte qui soumet les ministres à la même obligation. Une année plus tard, il commet un autre texte interdisant la publicité des boissons alcoolisées, pour ne citer que ces quelques exemples où la morale se mêle à la politique politicienne. Quand les ministres en appellent aux parlementaires pour faire passer leurs textes… Pour moins vraisemblable que cela puisse paraître, les membres du gouvernement se servent également des propositions de loi comme… agent stimulateur. Le projet de loi sur la protection des consommateurs, présenté par le ministre (USFP) du commerce et de l'industrie, qui vient tout juste d'être adopté, n'aurait certainement pas vu le jour aussi vite si une proposition de loi, faite par le groupe USFP, du même nom, ne traînait déjà au Parlement depuis mai 2008. «Il arrive que les ministres peinent à imposer leur projet de loi au gouvernement, les parlementaires de leurs partis se chargent alors de présenter une proposition de loi sur le même sujet. Une fois le texte déposé au Parlement, les ministres en font un moyen de pression pour accélérer la procédure et pour que le gouvernement ne se fasse pas damer le pion par les parlementaires», confie ce cadre de la première Chambre. Ce n'est donc pas un hasard si les partis au gouvernement sont parmi les plus productifs, l'USFP, l'Istiqlal et le PPS ont déposé un total de 45 propositions de loi. Le groupe socialiste trône à la tête de la liste des groupes les plus productifs avec 18 propositions de loi. Le MP le talonne avec 16 propositions déposées alors qu'il était encore à l'opposition avant de rejoindre l'équipe El Fassi en juin 2009. L'Istiqlal en comptabilise une quinzaine. Le PJD nettement plus présent lorsqu'il s'agit de questions orales n'a présenté que 13 textes, devançant d'une seule proposition le PPS qui en compte 12. En revanche, depuis la constitution de son groupe, en octobre 2007, le PAM n'a présenté que trois textes dont deux conjointement avec le RNI alors que les deux partis formaient le groupe Rassemblement et modernité. Officiellement, le parti estime qu'en deux années d'existence, les deux groupes du PAM n'ont pas encore cumulé assez de savoir-faire pour produire des propositions de loi. Bref, et malgré toutes les entraves citées par les uns et les autres, 13 propositions de loi ont été validées par la première Chambre depuis le début de la législature en octobre 2007. Cinq ont été retirées. De même, 9 propositions de loi ont été adoptées par les deux chambres, dont 8 déjà publiées au Bulletin officiel, pendant cette même période. Un chiffre très faible, puisqu'il ne représente que 10% des 98 textes de loi adoptés en cette mi-législature. Comment donc relancer la machine ? «C'est d'abord une affaire des partis politiques qui doivent présenter plus de cadres et moins de notables pendant les élections», avance ce député socialiste. D'autres parlementaires appellent à une mise à niveau des textes réglementaires des deux Chambres pour éviter le cumul des mandats. D'autres encore appellent à un renforcement des moyens de travail. Et c'est certainement de là que vient cette idée de créer au sein de la deuxième Chambre un centre d'expertise, principalement dans les domaines législatif, économique et financier. Projet resté en berne et qui risque d'être abandonné depuis que la présidence de la Chambre a décidé de verser une dotation pécuniaire aux groupes parlementaires pour couvrir les frais d'études et d'expertise.