Deux jours avant l'ouverture de la session d'octobre, beaucoup de partis n'étaient pas encore sûrs de la composition de leurs groupes. Le tandem RNI-UC fortement pressenti pour présider la commission des finances. Le PAM probablement à l'Intérieur et l'Istiqlal à la Justice. La course ouverte pour les huit sièges au bureau de la Chambre. Qui signera avec qui ? A deux jours de la session d'automne du Parlement, dont le coup d'envoi sera donné, comme le stipule la Constitution, par le Souverain, ce vendredi 8 octobre, les états-majors des partis politiques suspendaient encore leurs décisions de la rentrée à cette grande inconnue. C'est de cette donne que dépend, en effet, la répartition des postes à pourvoir au Bureau de la Chambre et à la tête des commissions parlementaires permanentes. A quel parti devrait revenir la présidence de telle ou telle commission ? Qui des formations représentées au Parlement occupera les postes «stratégiques» au Bureau de la Chambre ? Le suspense est resté le maître mot jusqu'à la signature par les députés de leurs «bulletins d'entrée», c'est-à-dire les listes des groupes. «Ce n'est qu'à ce moment que chaque parti pourra être sûr des membres de son groupe et de leur nombre exact», s'accordent à répondre les responsables des partis politiques interrogés sur la question. Car, en matière de nomadisme, nos députés sont imprévisibles. Même le parti du Premier ministre, l'Istiqlal, n'a pas été épargné, cette année, par le phénomène. Un premier bénéficiaire déjà : le PAM. «Notre parti a reçu de nombreuses demandes d'adhésion, mais le Secrétariat général n'a pas encore décidé de la suite à leur donner», affirme, sans préciser le nombre des demandeurs, Tahar Chakir, député et membre du Bureau national du PAM. Résultat : tous les partis ont remis leur décision à jeudi 7 octobre, la veille de l'ouverture de la session. C'est pendant les réunions de leurs groupes que tous ont programmé, pour cette date, la désignation officielle des présidents des groupes et des candidats à la présidence des commissions. La liste définitive des groupes parlementaires doit être communiquée à la présidence de la Chambre au plus tard lundi 11 octobre et les présidents de commissions et membres du bureau seront connus, au plus tard, à la veille de la première séance prévue mercredi 13 octobre. Depuis le gouvernement Youssoufi, la commission des finances a montré sa capacité de nuisance potentielle Entretemps, d'équations en conjectures, les formations politiques tentaient de placer leurs hommes dans la course à la tête de commissions et au sein du bureau de la première Chambre. «Une chose est sûre, affirme un ancien cadre du Parlement, le RNI tentera coûte que coûte de décrocher la présidence de la commission des Finances». Théoriquement, le groupe RNI-UC (68 députés) est bien parti pour se servir en premier et choisir cette commission tant prisée. À moins que le PAM (56 membres) ne lui ravisse la première place. Mais pourquoi la commission des Finances est-elle si importante ? «Dans le passé, c'était la commission de l'Intérieur et de la Justice qui étaient les plus convoitées», rappelle un cadre parlementaire. «Ce n'est qu'avec l'avènement du gouvernement Youssoufi (février 1998-septembre 2002), que l'USFP qui dirigeait alors le département des Finances, en la personne de Fathallah Oualalou, que cette commission a commencé à prendre de l'importance», ajoute la même source. Les socialistes voulaient assurer une communication fluide et efficace entre les députés membres de la commission et le ministre, surtout pendant la période cruciale du débat et du vote du projet de Loi de finances. «Pour mieux cerner l'importance de ce poste, imaginez qu'il suffit que le président de la commission décide de retarder, pour une raison ou une autre, l'ouverture des débats du projet de Loi de finances, pour que le texte qui doit être présenté au plus tard le 20 octobre et bouclé en 70 jours ne soit pas prêt à temps. La répercussion sera importante pour tout le pays», explique Abdellah Bouanou, ancien président PJD de la commission de l'Intérieur. Cela, d'une part. D'autre part, l'incident vécu dernièrement à la commission aura décidé définitivement le RNI de batailler pour sa présidence. En effet, le groupe de l'Istiqlal avait présenté une proposition de loi portant amendement de la loi organique des Finances. Le département de Salaheddine Mezouar, qui projetait un texte beaucoup plus ambitieux et de loin plus important que les 12 articles de la proposition du PI, avait jugé inutile une telle initiative. Le président de la commission Amar Cheikh, passant outre les conseils du ministère, a contre toute attente présenté le texte le 13 janvier 2009. Quatre mois plus tard, le texte a été présenté de nouveau, en l'absence des responsables du ministère des finances. Il a été décidé lors de cette réunion de constituer une sous-commission qui devait se pencher sur la rédaction de la mouture finale du texte. Le 22 juin 2010, la commission a de nouveau planché sur cette proposition, toujours en l'absence des représentants du ministère. Lassé par ce bras de fer, le gouvernement qui s'est fait représenter pendant cette dernière réunion par le ministre chargé des relations avec le Parlement, le socialiste Driss Lachgar, a fini par y opposer l'article 56 de la Constitution (article qui donne la primauté au gouvernement sur la définition de l'ordre du jour des deux Chambres). Le PJD va devoir jouer des coudes avec l'Istiqlal L'incident est clos mais le RNI en aura tiré la leçon. Ce que confirme un membre du groupe RNI-UC. D'où l'importance non seulement pour le parti, mais aussi pour la majorité de cette commission. Son président joue, en effet, un grand rôle dans le rapprochement des points de vue entre le gouvernement et les partis représentés dans la commission. Et elle sera d'autant plus importante, cette année, que l'Exécutif envisage de déposer son projet de réforme de la loi organique des finances juste après l'adoption du projet de Budget de 2011. Après les Finances, vient la commission de l'Intérieur. Mais son importance relève d'autres considérations, qui ont trait à l'intérêt individuel. «Nombreux sont les députés qui voudraient créer, à travers cette commission, des liens avec les responsables du ministère et les différents acteurs de l'administration territoriale et des collectivités locales qu'ils seront amenés à côtoyer lors des travaux de cette commission», confie Abdellah Bouanou, député PJD et membre du Conseil de la ville de Meknès, lui-même ancien président de la commission. Cette commission ayant également pour champ d'intervention les domaines de l'infrastructure et de l'urbanisme, les députés profitent de cette proximité avec les responsables du ministère de l'intérieur pour donner un coup de pouce à des projets programmés dans leurs circonscriptions. Vu sous cet angle, le PAM qui gère actuellement le plus grand nombre des collectivités locales, devrait jeter son dévolu sur cette commission qu'il préside déjà en la personne de Tahar Chakir, ancien dirigeant de l'ex-PND. Le rang que le PAM occupe actuellement au Parlement le lui permet largement. De même que le député de Sidi Bennour-Ouled Frej s'accroche toujours à ce poste. Et ce, malgré une récente décision du bureau national du parti d'instaurer un système d'alternance pour les postes à responsabilités. «Il est vrai que le parti a choisi cette pratique de redéploiement de ces cadres comme orientation, mais il devrait en référer aux instances concernées. Les décisions ne s'imposent pas d'en haut. Elles doivent faire objet de concertation», affirme Tahar Chakir. «De toutes les manières, conclut-il, l'on ne change pas une équipe qui gagne». Une devise qui revient sur la langue de plusieurs responsables politiques et justifie le maintien à leur poste de certains de leurs députés. La commission de la justice vient en troisième position par ordre de préférence. Bien que ses responsables se sont refusé à tout commentaire sur la question, l'Istiqlal, devant, logiquement, perdre la commission des Finances, optera probablement pour celle de la Justice. Latifa Bennani Smirès, présidente du groupe, s'est contentée d'affirmer que tout allait être décidé lors d'une réunion du groupe prévue la veille de la rentrée parlementaire. Le PI n'est pas le seul à convoiter le poste, le PJD a également des visées sur cette commission. Le parti islamiste a d'ailleurs déjà choisi des candidats tout indiqués : le président du groupe sortant, Mustapha Ramid, et le secrétaire général adjoint du parti, Abdellah Baha. Au cas où le poste serait pris au moment où arrive son tour pour choisir, le PJD pourrait finalement opter pour la commission des Affaires étrangères. Une commission qui a commencé à prendre de l'importance, sous la présidence de M'barka Bouaida (RNI-UC), lorsque les deux Chambres ont découvert les vertus et surtout l'importance de la diplomatie parlementaire. Là encore, la décision du PJD a été arrêtée, le poste devait revenir à l'ancien SG du parti et actuel président du Conseil national, Saâdeddine El Othmani. Auquel cas, l'espoir de l'USFP de prendre la tête de cette commission s'évanouira. Il reste les commissions des secteurs productifs et des secteurs sociaux. L'importance de la première réside dans le fait que c'est par elle où transitent les textes relatifs aux chantiers structurants de l'économie nationale, alors que la seconde traite des questions sociales directement liées au vécu des citoyens. Les présidences de groupe confiées à des valeurs sûres En règle générale, c'est au premier groupe que revient la primauté du choix. Une fois son choix fait, le deuxième se sert à son tour et ainsi de suite. De même pour les différents postes à pourvoir au bureau de la Chambre, soit 8 postes de vice-présidents, deux questeurs et trois secrétaires. Dans les faits, le choix intervient après plusieurs tractations entre partis politiques par le truchement de leurs groupes parlementaires. Ces tractations devaient démarrer dès jeudi 7 octobre et devraient se prolonger jusqu'à dimanche. Après consensus, la liste des présidents de commission et de groupes ainsi que celle des membres du bureau de la Chambre devrait être soumise à la présidence de la première Chambre lundi 11 octobre. Par ailleurs, outre les enjeux que cela représentera pour les partis, pour le député être nommé président de commission c'est surtout un revenu additionnel de 7 000 DH par mois, une voiture de service et un bureau à la Chambre. Cela dit, avant de connaître l'identité des présidents de commissions, les partis devraient d'abord présenter une liste de leurs groupes. Et c'est là qu'intervient le diktat des députés. Si pour le RNI-UC le suspense est levé depuis mardi 5 octobre, «les 68 membres du groupe ont tous signé», affirme Chaoui Belassal, un des signataires, pour les autres partis, il fallait attendre jusqu'au dernier moment. «Pour l'heure nous ne pouvons répondre que des députés du PPS et du FFD. Nous ne savons rien des intentions des parlementaires du parti d'Al Ahd et du Parti travailliste», affirme Mustapha Addichane, membre du bureau politique du PPS chargé de l'organisation. L'alliance des forces progressistes et démocratiques (le PPS, le FFD, Al Ahd de Najib Ouazzani et le PT d'Abdelkarim Benatiq) totalise 20 membres (tout juste le nombre requis pour former un groupe), un seul parlementaire leur fait faux-bond et le groupe disparaîtra. Si cette alliance arrive néanmoins à conserver son nombre, tout indique que l'actuel président sortant, El Houcine Benlagto, devrait garder son poste. Au Mouvement populaire, des frictions internes compliquent le choix du président du groupe et de la commission. Le député de Salé, Driss Sentissi, président sortant de la commission de la Justice, tenait à reprendre son ancien titre de président du groupe, surtout après avoir été évincé du poste de trésorier du parti au profit de son rival Abdelkader Tatou. À l'heure où nous mettions sous presse, le nom de Fatna El Kihel, députée du Gharb et seule femme harakie à ne pas accéder au Parlement par la voie de la liste nationale, revenait fréquemment en tant que future présidente du groupe. Le PJD, lui, a limité le choix à deux députés, Abdelaziz Ammari (Aïn Sebaâ) et Lahcen Daoudi (Fès). Le troisième candidat, Najib Boulif, également secrétaire régional de Tanger-Tétouan, sera appelé à remettre de l'ordre dans les rangs du parti dans cette région. Pour le RNI-UC, l'USFP et le PI, il n'est pas question de renoncer aux valeurs sûres. L'ancien ministre Rachid Talbi Alami, président du groupe RNI-UC, Latifa Bennani Smirès (PI) et Ahmed Zaïdi (USFP) seront certainement maintenus à leurs postes. Signalons enfin que cet exercice, qui s'apparente le plus souvent à un jeu de chaises musicales, revient chaque année à la première Chambre alors que la Chambre des conseillers ne connaît ce changement qu'une fois tous les trois ans.