Au 15 novembre 2012, et pour une banale affaire d'expulsion, Aziz C. en est toujours comme au 15 février, en pire : un ordinateur qui lui donne raison, quand le greffier lui donne tort ; un dossier égaré, donc impossibilité de connaître la vérité ; des fonctionnaires nonchalants et peu motivés… On dit que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais que dire de celles des tribunaux au Maroc ? Qui croire, à qui se fier, comment connaître la réalité ? Aziz C. est résident marocain à l'étranger, et il possède quelques biens immobiliers à Casablanca, dont un appartement loué à un particulier. Du fait de ses longs séjours en France, le locataire s'est cru permis de prendre certaines libertés, concernant le paiement des loyers. Aziz a donc chargé son avocat d'engager les procédures ad hoc, afin de récupérer les loyers dus, et obtenir l'expulsion du mauvais payeur. Aussitôt dit, aussitôt fait, et les requêtes nécessaires sont déposées. La procédure est simple, banale, courante, ne pose aucune difficulté majeure, ce qui rend Aziz optimiste quant à la suite des événements. Il a tort. Le dossier est enrôlé pour l'audience du 15 février 2012, date à laquelle le locataire ne se présente pas devant la Cour, bien qu'ayant été avisé par huissier dans les délais prévus. En principe, le magistrat devrait le considérer comme défaillant, passer outre son absence, et statuer sur la demande de paiement et d'expulsion. Mais pas dans ce cas, où le juge, se targuant de vouloir appliquer le droit, se transforme subrepticement en avocat du locataire, soulevant des points, qui en principe auraient dus être invoqués par le locataire pour assurer sa défense : ainsi, il relève que le certificat de propriété présenté par l'avocat d'Aziz date de plus de trois mois (cinq, pour être précis), et qu'il convient d'en fournir un autre, portant une date récente. Ce qui fut rapidement fait. Puis, lors d'une autre audience, le magistrat expliqua que le contrat de bail entre les deux parties n'était en fait qu'une photocopie, bien que certifiée conforme, et que la loi exigeait que l'on présentât l'original devant la Cour (ce qui, soit dit en passant, est complètement faux). Encore une fois, l'avocat s'exécuta, et après moult tergiversations et atermoiements inutiles, le juge finit par mettre le dossier en délibéré avant jugement. Il prit donc son temps (trois longues semaines), sans doute afin d'étudier soigneusement ce cas pourtant banal et courant, et finit par rendre son verdict, que l'avocat put consulter sur les ordinateurs prévus à cet effet, gracieusement mis à la disposition des justiciables et de leurs avocats, afin de leur simplifier l'existence : le locataire était condamné au paiement des loyers dus, ainsi qu'à l'expulsion du local loué. Bonne nouvelle, que le juriste se pressa d'annoncer à Aziz, qui en fut fort satisfait, gratifiant même l'avocat d'une prime en guise de récompense. Il ne restait plus qu'à récupérer une copie du jugement, afin de procéder à son exécution. Mais là, stupeur : le greffier, consultant son registre d'audience, annonça au juriste que les demandes rejetées n'étaient pas encore prêtes, et qu'il fallait patienter. Comment ça demande rejetée ? L'ordinateur de contrôle affiche l'inverse ! Euh… c'est son droit, fut la réponse du fonctionnaire, précisant que seul son registre faisait foi, et qu'il n'y avait aucun doute, la demande d'Aziz a bel et bien été rejetée. L'avocat est interloqué, désarçonné, il se demande comment va-t-il l'annoncer à son client. Mais avant tout, et pour en avoir le cœur net, il demande une copie du jugement, afin, au moins, de comprendre quelles ont été les motivations du magistrat statuant ainsi, contre toute attente, contre toute logique, en dépit du bon sens et des textes en vigueur ! Pour obtenir une copie d'un jugement, il faut aussi s'armer de patience, car le process est simple certes, mais son application est lente. Il faut sortir le dossier, le donner à une secrétaire qui doit déchiffrer l'écriture alambiquée du juge pour saisir le texte, l'imprimer, le renvoyer au greffier, qui le transmet au juge, lequel le signe, puis le renvoie au greffier, qui l'expédie au service des archives où l'on délivre les copies des jugements…le tout prenant une petite dizaine de jours, si tout va bien, c'est-à-dire si le greffier est compétent, la secrétaire diligente, le coursier rapide… et le magistrat qui doit signer, présent ; toutes choses qui ne sont pas si évidentes que cela. Surtout quand, au bout de quinze jours, le greffier informe benoîtement le juriste qui s'impatiente, que non, la copie du jugement n'est pas prête, car… on a égaré le dossier ! Résultat des courses, si j'ose dire : au 15 novembre, et pour une banale affaire d'expulsion, Aziz en est toujours comme au 15 février, en pire : un ordinateur qui lui donne raison, quand le greffier lui donne tort ; un dossier égaré, donc impossibilité de connaître la vérité ; des fonctionnaires nonchalants et peu motivés… Justice a été rendue, circulez braves gens !