M.B. demande l'expulsion de son locataire défaillant dans le paiement des loyers. Le cas est clair, les impayés s'élèvent à une coquette somme et l'affaire paraît sans problème. Sauf que le défenseur du locataire exhume une vague disposition juridique qui stipule que pour demander l'expulsion d'un locataire, encore faut-il prouver que le demandeur n'a point de domicile officiel ! On reproche souvent aux magistrats en poste une certaine hésitation à prendre des risques, une retenue déplacée dans les jugements rendus, voire un refus délibéré de créer une jurisprudence nouvelle ; ceci soit par manque de courage, soit par crainte de commettre une erreur, si ce n'est tout simplement le caractère timoré du juge qui empêche toute initiative. Et c'est ainsi que bien des justiciables en font les frais, car, bien évidemment, les mauvais plaideurs sont légion, toujours prompts à utiliser cette modération des juges. Des demandes d'expulsion justifiées sont donc rejetées pour vice de procédure, des requêtes pour fins de paiement sont classées sans suite pour adresse incomplète du débiteur… Autant de cas qui auraient pu être résolus par des magistrats intrépides et audacieux. Le juge K., à Casablanca, fait partie de ces derniers. Il a toujours considéré que le rôle du juge était d'être à l'écoute des doléances des citoyens, et de rendre justice…alors que ses confrères se contentent d'appliquer le droit ; les deux approches n'étant absolument pas incompatibles. Voilà donc M.B. qui demande l'expulsion de son locataire défaillant dans le paiement des loyers. Le cas est clair, les impayés s'élèvent à une coquette somme et l'affaire paraît sans problème. Sauf que le défenseur du locataire exhume une vague disposition juridique qui stipule que pour demander l'expulsion d'un locataire, encore faut-il prouver que le demandeur n'a point de domicile officiel ! Cette disposition existe, certes, mais elle est destinée à empêcher les expulsions abusives, par exemple de quelqu'un qui paie son loyer régulièrement, mais que le propriétaire veut expulser pour augmenter conséquemment le loyer du prochain locataire. Rien à voir dans le cas présent, mais le juge chargé du dossier s'accroche à ce détail : et voilà le malheureux M.B. sommé de produire moult documents attestant qu'il n'a pas où loger, ni où loger sa famille. M.B. résidant, lui, son épouse et ses enfants chez sa mère, le magistrat en conclut qu'«habiter une villa à Anfa, quartier réputé chic» (sic) prouve que le demandeur n'est pas à la rue, et donc rejette la demande d'expulsion, pour non-justification du besoin urgent. Déni de justice, tout simplement : alors que des juristes conseillent à M.B. de relever appel, un autre avocat lui propose de redéposer une demande similaire, un changement récent étant survenu dans les rangs des juges, et désormais, c'est Me K. qui a en charge les dossiers locatifs. Aussitôt dit, aussitôt fait, mais cette fois, le locataire sent venir le danger, le magistrat se montrant affable et courtois, mais ferme et décidé. Le locataire effectue alors, auprès de la caisse du tribunal, le versement de l'ensemble des sommes dues au titre des loyers impayés. Lors de l'audience publique, le défenseur de M.B. est absent, non convoqué par erreur : le locataire exhibe alors ses reçus, clamant haut et fort que toute cette procédure est viciée, qu'il n'y a pas de loyers impayés, et que, de toute manière, le besoin urgent en logement du demandeur n'était pas prouvé. Pour des raisons complexes de procédure fastidieuses à expliquer ici, le dossier est donc mis en délibéré, sans que le défenseur de M.B. ne puisse apporter une réponse aux allégations du locataire…lequel jubile, persuadé d'avoir remporté l'affaire. Quelques semaines plus tard, le jugement est rendu, et c'est une merveille d'arrêt, prouvant que quand un juge veut, il peut ! En l'absence du défenseur de M.B, le magistrat a quand même fait une application rigoureuse mais saine des dispositions législatives. On aurait même pu croire qu'il avait été engagé comme second avocat par le plaignant : le locataire indélicat est condamné à l'expulsion, le magistrat relevant finement que le fait de payer, en 2011 et en vrac, les loyers dus entre 2006 et 2010, prouvait la défaillance et le retard, expliquant qu'un loyer se devait d'être réglé en temps et heure ; le propriétaire, lui, se voit autorisé par le même jugement à récupérer, et en urgence, l'ensemble des sommes déposées à son profit auprès du tribunal, lequel lui attribue également en sus un montant de 3 500 DH en guise de dédommagement pour le retard de paiement. Quant à la notion de besoin urgent en logement, le magistrat l'a balayée d'une phrase lapidaire : «Attendu que cet argument n'a pas sa place dans un dossier où les loyers ne sont pas acquittés» ! Ça c'est un juge qui réconcilie les justiciables avec les palais de justice, et l'on souhaite en voir de plus nombreux : compétents, décidés, audacieux et… justes ! A suivre.