le défendeur ne se présente pas à l'audience parce que, lors de l'envoi des convocations, le greffier a mentionné sur l'enveloppe le n°75, au lieu de 57…, et la convocation revient avec la mention «inconnu à cette adresse» ! Le magistrat somme le demandeur de fournir une adresse valable ; ce dernier déclare qu'il n'en a point d'autre, tout en relevant l'erreur du greffe. Pas de souci, requête rejetée pour défaut d'adresse du défendeur ! La justice est avant tout une affaire d'hommes (au sens générique, puisque les magistrates sont de plus en plus nombreuses). Bien sûr, il y a d'abord les justiciables, citoyens ordinaires qu'un hasard de la vie a conduit à se retrouver dans un palais de justice. Ils en ignorent les usages, les coutumes et traditions ; ils sont un peu perdus dans l'immensité des espaces (halls majestueux, salles d'audiences imposantes) et ne comprennent pas les subtils codes qui régissent ce milieu. Ils choisissent donc, pour la plupart, de se faire assister par un juriste professionnel, l'avocat, qui va les aider techniquement, par sa connaissance du droit, mais aussi moralement car il maîtrise, lui, les arcanes du tribunal, connaît les différents services, et, surtout, il sait s'adresser aux fonctionnaires. Justement, parmi ces derniers se trouvent deux catégories : d'un côté les greffiers, huissiers et secrétaires d'audience, dont le rôle est de gérer les dossiers confiés aux magistrats, c'est-à-dire envoyer les convocations aux parties, classer les pièces du dossier, ou accomplir tout acte de procédure ordonné par le juge. Ce dernier est, lui, la pièce maîtresse du dispositif : les affaires qui lui sont soumises attendent une réponse juridique, les contribuables pour leur part espèrent que justice sera rendue, et le système repose sur une application sereine du droit, basée parfois sur des interprétations personnelles ou des jurisprudences connues : c'est ce que l'on appelle l'intime conviction. Or, ces derniers temps, on ne sait quelle mouche a piqué certains magistrats casablancais. Les jugements rendus sont loin de répondre aux attentes des citoyens, l'application du droit y est pour le moins hasardeuse, et, en tout état de cause, la justice n'est pas rendue comme elle devrait l'être. Prenons trois exemples récents. Dans le premier cas, voici une personne désireuse de récupérer un local commercial, où le locataire a disparu depuis belle lurette, sans payer les arriérés de loyer, et sans laisser d'adresse. Lors de l'audience de février 2012, le juge écarte d'un revers de main le constat d'huissier attestant que le local est abandonné et décide de convoquer le locataire, pour avril. A la date prévue, pas de locataire, mais une mention, sur la convocation : local fermé… Ce qui incite le juge à décider cette fois une convocation par courrier recommandé, fixant le mois de juin comme prochaine audience. Et en juin, constatant que le courrier n'était toujours pas revenu, de renvoyer le tout à octobre 2012, au grand désespoir du propriétaire. En fait, dès la première audience, le dossier aurait dû être mis en délibéré, sur la foi du constat d'huissier, et un jugement d'expulsion aurait dû intervenir 15 jours plus tard ! Dans le second cas, le juge a bien ordonné l'expulsion du locataire défaillant, et dans des délais record. Mais il avait oublié de vérifier que le nom de l'expulsé avait bien été retranscrit dans le jugement. Et donc lors de la procédure de notification, puis d'exécution, l'avocat du locataire a eu beau jeu de clamer que son client n'était en rien concerné par l'expulsion, tout en exhibant sa carte d'identité nationale : l'expulsé, Hamid B. n'est en effet pas le locataire, Ahmed B (il suffira de déposer une nouvelle requête aux fins de rectification d'erreur matérielle, régler de nouveaux frais de justice, attendre quelques mois, et le problème sera réglé). Dans le troisième cas, il s'agissait de récupérer une somme d'argent versée à titre d'arrhes pour la location d'un appartement…finalement jamais occupé. La cause est simple, les reçus sont là, le défendeur ne se présente pas à l'audience. Et pour cause, lors de l'envoi des convocations, le greffier a mentionné sur l'enveloppe le n°75, au lieu de 57… (où avait-il la tête ?), et la convocation revient avec la mention «Inconnu à cette adresse» ! Le magistrat somme le demandeur de fournir une adresse valable ; ce dernier déclare qu'il n'en a point d'autre, tout en relevant l'erreur du greffe. Pas de souci, requête rejetée pour défaut d'adresse du défendeur ! Il existe pourtant la procédure dite du curateur qui permet de statuer en l'absence d'une des parties… mais le juge n'avait pas envie de se fatiguer pour si peu ! Ajoutons un dernier cas déjà traité dans ces colonnes : celui du flagrant délit….en l'absence de tout délit…et concluons joyeusement : Ne crains pas la justice, mais crains le juge, affirme avec beaucoup de bon sens un ancien dicton russe !