Les prérogatives du Roi sont désormais définies par la Constitution et il a un triple rôle : Commandeur des croyants, chef de l'Etat, arbitre suprême. Il ne légifère plus et a concédé une grande partie de ses pouvoirs de nomination à l'Exécutif. Il y a un peu plus d'une année, le peuple marocain donnait son aval à une nouvelle Constitution. Une nouvelle loi sacrée pour le pays, à l'initiative du chef de l'Etat, qui en traçait les grandes lignes dans son discours du 9 mars 2011, répondant ainsi à des revendications exprimées par les partis politiques et la société civile depuis une vingtaine d'années. Droits de l'homme, question amazighe, gouvernance, reddition des comptes, égalité… Dans ce texte novateur, les regards se sont surtout focalisés sur une décision de taille : celle du partage des pouvoirs du Roi avec les autres institutions que sont l'Exécutif, le Parlement et la Justice. Et pour cause, 49 ans après la première Constitution de 1962, le Maroc allait vivre un système différent de ce qu'il avait connu par le passé. Un geste de courage politique de la part du chef de l'Etat, alors que rien ne l'obligeait à autant de concessions. Quels sont donc les nouveaux habits de la monarchie ? Le Roi garde-t-il autant de pouvoir que dans les Constitutions précédentes et surtout comment il l'exerce ? Pour ce qui est de l'exercice, il est encore tôt pour se prononcer, comme le soutient le constitutionnaliste et ancien ministre Khalid Naciri. «Le débat de la mise en œuvre de la Constitution n'a pas encore délivré l'intégralité de son potentiel», affirme-t-il. La quasi-totalité des 20 lois organiques nécessaires à la mise en application de la Constitution n'a pas encore été promulguée. «Nous avons encore besoin d'un an ou deux pour que tout le dispositif constitutionnel soit mis en place et appliqué», ajoute-t-il. Il n'en reste pas moins, affirme un ministre de l'actuel gouvernement, qu'une coutume Constitutionnelle est en train de se mettre en place. «Et c'est cette coutume qui va régler le non-dit de la Constitution». Aussi, confie-t-il, que ce soit le Roi ou le chef du gouvernement, et dans une moindre mesure le Parlement, chacun aborde ses nouveaux pouvoirs avec prudence. «Chacune des trois institutions, la monarchie, l'Exécutif et le législatif, donne un maximum de gages de conformité au texte de la Constitution», affirme Khalid Naciri. Mais encore, comment définir les pouvoirs de Mohammed VI aujourd'hui ? «Ils restent à triple dimension : celle de Commandeur des croyants, celle de chef de l'Etat et celle d'arbitre», explique M. Naciri. Pas de changement donc, sur ce plan ? En fait, tout est dans la manière dont ils sont déclinés. A ce niveau, une nouveauté, de taille, est à relever. «Le texte constitutionnel a, pour la première fois, précisé les pouvoir du Roi», observe Abderrahmane Baniyahia, professeur de droit constitutionnel à l'Université Hassan II de Casablanca. La nouvelle loi fondamentale, poursuit-il, précise que les pouvoirs du Roi sont ceux qui sont fixés par la Constitution écrite. Ainsi, «on ne va plus chercher une extrapolation des pouvoirs en dehors du texte constitutionnel», affirme-t-il. Et, cela a été, d'ailleurs, observé en cette première année de la mise en œuvre de la Constitution. «De toute évidence, le Roi ne veut pas déroger à ce qui est dans le texte constitutionnel», relève Khalid Naciri. De même ajoute Najib Bamohammed, professeur de droit constitutionnel et ancien membre de la Commission royale de la révision de la Constitution (CRC), «le récent remodelage Constitutionnel permet une nette lisibilité des pouvoirs du Roi. Par exemple, le monarque ne saurait arguer de sa légitimité religieuse pour intervenir dans la sphère sécularisée». Il n'y a pas de loi qui ne soit pas votée par le Parlement : la fin des dahirs-lois ? C'est d'ailleurs l'un des points essentiels de cette nouvelle ère. «La séparation entre la fonction de Commandeur des croyants et de Roi chef de l'Etat est une avancée majeure qui n'a pas été très bien comprise», s'étonne le juriste M. Baniyahia. En d'autres termes, les prérogatives purement politiques, jusque-là mêlées dans le même article avec celles de nature religieuse sont désormais soigneusement distinguées et figurent dans l'article 42. Dans le détail, la nouvelle Constitution accorde le monopole de la gestion du champ religieux au Roi, secondé par le Conseil des oulémas, institution constitutionnalisée pour la première fois. Le Roi exerce par dahir les prérogatives religieuses inhérentes à l'institution de la commanderie des croyants qui lui sont conférées de manière exclusive, précise l'article 41. Sur le plan politique, autre apport majeur du nouveau texte constitutionnel : le Roi ne peut plus légiférer comme auparavant. Certes, les lois votées par le Parlement continuent d'être promulguées au Bulletin officiel par dahir, mais le Roi s'empêche désormais d'édicter un dahir-loi comme auparavant, où le texte législatif n'est pas discuté au Parlement. «La loi est votée par le Parlement. Il n'y a pas de loi qui ne le soit pas», explique Abderrahmane Baniyahia. De même, note pour sa part l'ancien ministre Khalid Naciri, «le pouvoir exécutif est strictement affecté au gouvernement, que ce soit le pouvoir exécutif proprement dit ou le pouvoir réglementaire». Toutefois, nuance-t-il, «tout ce qui est stratégique doit passer par le conseil des ministres. En d'autres termes, tout ce qui concerne les institutions, l'armature du système politique, les grandes décisions économiques, passe par le conseil des ministres, à commencer par les lois organiques». La Constitution penche vers la sauvegarde des pouvoirs du monarque en ce qui concerne les décisions qui peuvent changer la structure du système constitutionnel du Maroc. «Mais, rien n'exclut ce changement quand le Roi est d'accord». Bref, résume M. Baniyahia, «le Parlement a le monopole de l'édition des lois, le gouvernement a celui de l'édition du règlement. Les pouvoirs que la Constitution donne au Roi, ce ne sont ni la loi ni le règlement». Le champ de ses prérogatives demeure toutefois large. Un régime parlementaire en devenir ? Parmi les prérogatives qui figurent déjà dans les anciens textes de la Constitution, figurent les responsabilités du monarque en tant que «symbole de l'unité de la nation, garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat», tout comme il est chargé de «veiller au respect de la Constitution, aux droits et libertés des citoyens et des collectivités». Enfin, il est «garant de l'indépendance du pays et de l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques». La Constitution de 2011 ajoute au Roi quelques missions supplémentaires : deux d'entre elles se situent dans la logique parlementaire introduite dans cette nouvelle loi fondamentale. Il a été ajouté en tant qu'arbitre suprême entre les institutions de l'Etat, la charge pour le Roi de veiller au «bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique, des citoyens et des collectivités et aux respects des engagements internationaux du Royaume». Pendant de cette fonction d'arbitre suprême, la non-responsabilité politique. Dans un ouvrage d'analyse sur la nouvelle Constitution, les deux chercheurs Abdellah Azzouzi et André Cabanis(*) font des pouvoirs du Roi l'analyse suivante : «Ce sont bien des prérogatives d'un chef d'Etat parlementaire avec la continuité supplémentaire qu'apporte le caractère viager et héréditaire du pouvoir par rapport aux présidents élus pour une durée limitée. De même, le fait que la personne du Roi bénéficie d'inviolabilité (article 46) relève désormais de la logique de la monarchie parlementaire. L'inviolabilité était liée dans les anciennes Constitutions au caractère sacré. Ce dernier qualificatif ayant été retiré, l'inviolabilité change de caractère : c'est une conséquence de l'irresponsabilité du Roi dans un système parlementaire». Autre aspect de cette reconfiguration de la fonction royale, la création d'un deuxième organe, hormis le conseil de ministres, réunissant les ministres et doté de réels pouvoirs : le conseil de gouvernement présidé par le chef du gouvernement. Car, il faut le dire, avant la nouvelle Constitution, le conseil de gouvernement n'avait pas de pouvoir de validation, il se contente d'examiner les projets de textes et d'étudier les dossiers soumis par les ministres. Là encore, la Constitution se montre minutieuse dans la répartition des compétences entre les deux institutions. Le chef du gouvernement l'a appris à ses dépens dès les premiers jours de sa nomination. Abdelilah Benkirane avait annoncé dans une de ses déclarations que le programme du gouvernement allait passer en conseil des ministres. «C'était sans doute pour faire de l'approbation royal un atout au moment du vote au Parlement, mais on lui a signifié que le programme n'engage que le gouvernement», affirme Abderrahmane Baniyahia. L'article 49 fixe d'ailleurs, de manière limitative, les thèmes qui font objet de délibération au conseil des ministres. De nouvelles normes juridiques à créer par la Cour constitutionnelle ? Quid des autres pouvoirs du Roi ? Toutes les Constitutions, depuis 1962, reconnaissent au Roi le droit de nommer «aux emplois civils et militaires». Désormais, cette prérogative royale est limitée aux seuls «emplois militaires». Le Parlement vient toutefois d'adopter une loi organique précisant les postes civils dont la nomination des titulaires est décidée au conseil des ministres : Ils sont au nombre de 39, alors que ceux relevant du pouvoir strict du chef du gouvernement dépassent les 1400 postes. Parmi les nouveautés, la Constitution de 2011 met fin à une bizarrerie : le Maroc est l'un des rares pays où le chef de l'Etat ne préside pas un conseil ou un comité de sécurité national. Depuis quelques mois, donc, le Roi préside une instance nouvellement créée : le Conseil supérieur de sécurité (art 54). Bien sûr, le Roi détient d'autres prérogatives qu'il est difficile de citer de manière exhaustive. En effet, en plus de ses pouvoirs qu'il exerce en tant qu'Amir Al Mouminine dans le domaine religieux et ses prérogatives de chef de l'Etat dans le domaine civil, la dimension arbitrale est toujours présente dans ses actes. La dernière fois qu'il a usé de cette prérogative a été lors de la mini-crise causée par les cahiers des charges de l'audiovisuel, qui ont ébranlé la coalition gouvernementale. Enfin, et on le voit, la Constitution de 2011 a veillé, même en ce qui concerne les pouvoirs absolus du monarque, à mettre en place des barrières politiques. Ainsi en est-il du renvoi du gouvernement, qui devient plus délicat dans le sens où son chef est choisi parmi le parti arrivé en tête aux élections, donc voulu par le peuple. Ainsi en est-il encore du droit de dissolution du Parlement, qui devient plus difficile à exercer, ou encore la promulgation de l'Etat d'exception (voir article en page précédente). En somme, le Roi détient désormais des pouvoirs précis, délimités et/ou encadrés par un certain nombre de conditions. Malgré cela, affirme Abderrahmane Baniyahia, on peut toujours détecter du flou dans la Constitution. Et c'est à la future Cour constitutionnelle d'interpréter la Constitution et de créer de nouvelles normes juridiques. Tout est donc dans l'interprétation du texte. Et le Souverain veut visiblement que cela se fasse de la manière la plus démocratique. Il l'a soulevé dans son dernier discours du Trône (le 30 juillet 2011), «(…). Nous considérons que toute pratique ou interprétation incompatible avec son essence démocratique (ndlr. de la Constitution) constituerait une transgression inacceptable, contraire à la volonté commune du Roi et du peuple». Dans le même discours, le Souverain a aussi précisé que l'étape consécutive de la Constitution est : «(…) d'assurer la mise en œuvre optimale, dans sa lettre et dans son esprit, de cette Constitution qui nous engage et dont nous sommes le garant, veillant à sa bonne application». Pendant ces 13 premiers mois de la promulgation de la Constitution, la monarchie, affirme Khalid Naciri, «se conforme avec un maximum d'insistance et de rigueur aux dispositifs constitutionnels. C'est un geste pédagogique majeur donné par le Roi à toutes les institutions». C'est que, explique M. Naciri, nous sommes passés, d'un système constitutionnel à un autre substantiellement différent. La Constitution de 2011, contrairement à la précédente (car il considère que les 5 Constitutions qu'a connues le Maroc depuis l'indépendance ne sont que des variantes d'une seule) «représente un référentiel politique et institutionnel nouveau». C'est un «véritable contexte novateur qui se répercute sur la répartition des pouvoirs». La séparation, la collaboration et l'équilibre des pouvoirs, en fait. Ainsi, explique le constitutionnaliste Najib Bamohammed (voir entretien ci-dessus), l'article 1er de la Constitution livre une orientation claire déduite d'une définition mesurée : «Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale. Le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur la séparation, l'équilibre et la collaboration des pouvoirs (…)». S'agit-il d'un schéma de modernisation des institutions dans un processus de révision de la centralité monarchique au profit de l'affirmation du rôle, de la fonction et de la responsabilité des pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel ?, s'interroge-t-il. Affirmatif, «puisqu'à l'inverse de la Constitution de 1996, le "pouvoir" n'étant plus un concept exclusif de la Royauté, caractérise le Parlement, le gouvernement et la Justice, érigés en pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel». * In «Le néo-constitutionnalisme marocain à l'épreuve du printemps arabe», de Abdellah Azzouzi et André Cabanis, L'Harmattan, 2011.