La monarchie parlementaire est un thème qui a fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps au Maroc. Il a suscité et continue de susciter le débat non seulement au sein des mouvements sociopolitiques mais aussi au sein des sphères partisanes et académiques. Or cette controverse est souvent traversée par des amalgames et des contresens et utilisée à des fins purement politiciennes, ce qui rend le concept de monarchie parlementaire insaisissable voire confus. Le concept, à force de le «maltraiter», de l'utiliser à hue et à dia, de le charger de romantisme et d'idéalisme et de l'ériger en slogan politicien a fini par perdre sa signification initiale. Aussi essayons-nous dans le cadre de ces propos succincts de mettre en lumière ce concept afin de mieux l'appréhender. Il faut observer tout d'abord que le régime parlementaire tel qu'il a pris naissance et s'est développé en Angleterre n'est pas la mise en forme d'une théorie préétablie ou d'une réflexion sur le gouvernement des hommes. Il a évolué selon les circonstances de manière pragmatique. Aussi est-il judicieux aujourd'hui de parler «des régimes parlementaires» et non pas d'un archétype partout fidèlement reproduit à partir du modèle anglais idéalisé. L'histoire, les mœurs politiques, les mentalités, le système des partis, l'influence des acteurs politiques ou les contingences de la vie nationale façonnent profondément tout régime politique et notamment les régimes parlementaires. En d'autres termes, ces derniers ont évolué en fonction du rythme de chaque peuple, de la cadence de son histoire et de la dynamique de son processus démocratique. Certes, certains caractères du régime parlementaire persistent toujours malgré les vicissitudes du temps, notamment le bicéphalisme de l'exécutif ou la nomination du Premier ministre au sein du parti politique vainqueur des élections. D'autres caractères ont été cependant altérés par le temps et par la spécificité de chaque régime politique, voire tout simplement mis en veilleuse telle que la responsabilité politique qui consiste à renverser les gouvernements en place. Cette technique qui constitue la pierre angulaire du régime parlementaire a connu une mutation profonde notamment au sein des régimes parlementaires classiques. En Angleterre par exemple, le renversement du gouvernement par le Parlement ne s'est produit que deux fois durant plus d'un siècle alors qu'en Italie cette pratique est monnaie courante. Autre amalgame de cette controverse sur les régimes de monarchie parlementaire consiste à dire que le fauteuil du chef de l'Etat dans ces régimes est un fauteuil vide, c'est-à-dire que le chef est dépouillé de toute prérogative politique et qu'il dispose seulement des prérogatives protocolaires. Cette assertion est démentie par la réalité. En fait, les prérogatives du chef de l'Etat sont tributaires du rythme politique de chaque pays, de son système partisan et des us et coutumes politiques de chaque peuple. Ainsi, la monarchie parlementaire anglaise, bien qu'elle renferme certains caractères similaires à la monarchie espagnole, elle s'en éloigne sur plusieurs aspects. Contrairement à l'idée communément admise, le rôle de la reine dans le système anglais est loin d'être négligeable. Au delà des prérogatives qui lui son dévolues en tant que chef d'Etat et de sa fonction de symbole et de chef de l'Eglise catholique ainsi que de son rôle de magistrature morale, elle représente la pérennité de l'Etat et sa continuité, garantit son unité et assure la fonction de recours suprême notamment en cas d'impossibilité pour les partis politiques de s'entendre sur la personne du Premier ministre : «C'est un point fixe dans la tourmente». La monarchie espagnole est bien différente. Les pouvoirs du Roi sont plus accentués. Il assure le rôle d'arbitre et de modérateur du fonctionnement des institutions. Sa personne est inviolable et n'est pas soumise à responsabilité. Ses actes sont soumis obligatoirement au contreseing du Président du Conseil et des ministres. Le Roi nomme le Président du Conseil. Il promulgue les lois, convoque et dissout les Cortes Generales. Il peut soumettre une question à référendum dans les cas prévus par la constitution. Il exerce le commandement des armées et nomme aux emplois civils et militaires. Plus généralement, il remplit trois fonctions essentielles : la fonction de modérateur, la fonction d'arbitre et enfin la fonction de représentation de la Nation. En outre, son rôle est très important dans les relations internationales notamment avec la communauté hispanique. En période de crise, les pouvoirs du Roi sont encore plus importants. Bref, la monarchie parlementaire espagnole est très spécifique et diffère largement des autres monarchies parlementaires européennes. En tous les cas, la monarchie parlementaire espagnole n'est pas un fauteuil vide. C'est dire que le concept de monarchie parlementaire n'a pas la même signification dans l'espace. Il varie en fonction de l'évolution de la démocratie et du rapport des forces entre les acteurs politiques dans chaque pays et à une époque déterminée. Au Maroc, la nouvelle constitution de Juillet 2011 a constitué un grand pas dans l'approfondissement de la démocratie. Elle a permis une évolution en douceur vers la monarchie parlementaire. L'ancrage de la monarchie dans l'histoire, la spécificité du régime politique marocain basée sur la Beïa, la démocratisation progressive des institutions étatiques depuis l'indépendance, les multiples révisions constitutionnelles, l'élargissement de l'espace des libertés, le renforcement des droits de l'Homme et le rôle de plus en plus accru des partis politiques sur l'échiquier national, ont contribué à façonner le système politique actuel en lui conférant une certaine particularité. La nouvelle constitution définit dans son premier article le régime marocain comme étant «(…) une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale». Le Roi, selon l'article 42, est chef d'Etat et son représentant suprême. A ce titre, il exerce un certain nombre de pouvoirs qui lui sont dévolus par la constitution. Utile est de rappeler que le roi est le symbole de l'unité nationale et le garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat. Il est aussi Arbitre suprême entre les institutions et veille à la protection des choix démocratique. Par ailleurs, l'article 47 confère au Roi le pouvoir de nommer «(…) le Chef du Gouvernement au sein du parti arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats». La monarchie parlementaire marocaine, à l'instar des autres monarchies parlementaires, a ses propres caractéristiques qui ont trait à l'histoire, au système des partis politiques mais aussi au degré de développement politique et économique du pays et au rapport des forces entre les acteurs politiques. Oublier ces paramètres, c'est commettre une erreur de méthodologie et d'analyse. Un régime politique, quel que soit le degré de son perfectionnisme, ne peut s'exporter hors de ses frontières. Il est avant tout le produit de l'évolution politique du peuple concerné et de son développement économique et social. * Professeur à l'université Mohammed V de Rabat Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales