Peut-on réellement parler d'indépendance du pouvoir judiciaire, sachant que les procureurs, dépendant hiérarchiquement de leur ministre de tutelle, appliquent une politique pénale décidée par le gouvernement ? Non, en a décidé, ailleurs, la Commission, qui ôte aux procureurs la qualité de magistrats, estimant que leur proximité avec l'exécutif leur enlevait cette caractéristique. Réformer, améliorer, peaufiner un système judiciaire est une occupation constante dans les démocraties modernes. Le temps passant, les mentalités évoluent, les situations sociales progressent, et il devient alors urgent d'abroger certaines dispositions juridiques pour les remplacer par d'autres, en harmonie avec leur époque. Une récente disposition vient d'être prise par la Commission européenne de la justice, et qui fait couler beaucoup d'encre. On le sait, la magistrature est traditionnellement composée de la magistrature assise et de la magistrature debout ; ou le parquet siège des procureurs. Nul n'ignore le concept de séparation des pouvoirs : il y a l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Le premier propose des lois, le second les vote, le troisième veille à leur application. Seulement voilà, il y a un hic : peut-on réellement parler d'indépendance du pouvoir judiciaire, sachant que les procureurs, dépendant hiérarchiquement de leur ministre de tutelle (de la justice), appliquent une politique pénale décidée par le gouvernement ? Non, en a décidé la commission, qui ôte aux procureurs la qualité de magistrats, estimant que leur proximité avec l'exécutif leur enlevait cette caractéristique. Coup de tonnerre dans le landernau judiciaire et multiplication des débats, colloques ou conférences en tout genre, visant à sauvegarder cette qualité pour les membres du parquet. Au Maroc, les juristes estiment que la question n'est pas si anodine que cela et revêt même un aspect particulier, du fait de notre système judiciaire. Car l'étude des affaires pénales traitées devant les tribunaux marocains révèle une forte accointance des magistrats du parquet avec les services de police, sans oublier que ces procureurs et substituts ont également le grade d'officiers de police judiciaire. C'est donc l'exécutif collaborant étroitement avec la judiciaire, ce qui nous éloigne de la notion d'indépendance des pouvoirs. Car trop souvent, ces procureurs qui cultivent la religion de l'incarcération préventive n'osent pas (ou ne veulent pas, ne peuvent pas, ne souhaitent pas) remettre en question le travail effectué par les policiers. Et c'est ainsi que des dizaines de citoyens se retrouvent embastillés… «au nom de Sa Majesté le Roi»… dont le portrait officiel domine chaque salle d'audience, mais qui n'est certainement pas au fait de ce phénomène de proximité parquet/police.. Le Roi, chef de l'Etat, est le garant de ses institutions. Pourquoi persévérer à brouiller son image en prononçant des peines souvent absurdes en son nom ? Il dispose du droit de grâce, et Dieu sait qu'il n'est pas avare de son usage, ce dont des centaines de personnes graciées conviennent avec justesse. Il serait donc intéressant de réfléchir à une réforme qui rectifierait le tir, dans la foulée de l'adoption de la nouvelle Constitution, et dans le but de dépoussiérer des habitudes anciennes découlant de notre Histoire. En d'autres termes, il s'agirait d'enlever aux procureurs la qualité de magistrat : ce sont et ils le demeureront, de hauts fonctionnaires de l'Etat, mais qui ne relèveront plus du pouvoir judiciaire. D'ailleurs, parmi leurs titres figurent celui d'avocat général, ou de représentant du ministère public. A eux le rôle de défenseur de l'ordre public, en symbiose avec les forces de sécurité ; à eux la responsabilité de poursuivre (ou pas, selon les instructions de leur hiérarchie) dans certaines affaires ; à eux le rôle de requérir plus ou moins sévèrement, selon l'orientation de la politique pénale du moment, décidée par le gouvernement. Et aux juges le soin de condamner, d'acquitter, de relaxer, d'emprisonner les citoyens…au nom du peuple marocain, ou du Royaume du Maroc, ou de la Constitution marocaine. Il ne s'agit en rien d'ôter au Souverain une prérogative ou un pouvoir, mais au contraire : il s'agit de préserver la sacralité de la fonction, la dignité de sa personne et d'éviter que le titre de «Sa Majesté le Roi» demeure associé à certains jugements pour le moins douteux. Ainsi, le Souverain ne sera cité que lorsqu'il accordera sa grâce, mais ne le sera pas dans des affaires sordides, nauséabondes, traitées à la légère, jugées de manière laxiste, et où souvent les peines distribuées ne dépendent pas que du contenu des dossiers ! Relevons enfin que, dans la plupart des pays, les jugements sont rendus au nom du peuple, parfois par des jurés populaires, le chef de l'Etat n'intervenant que pour gracier ou pas, celui qui lui en fait la demande : il se penche alors personnellement sur le cas, et décide en son âme et conscience, ce qui le grandit davantage. Espérons qu'une réflexion aboutissant à une réforme devenue urgente sera lancée sur ces thèmes.