Il taxe des bénéfices 2011, déclarés avant fin mars 2012, alors que ledit fonds n'existait pas encore. Des experts-comptables mettent en avant l'article 6 de la Constitution qui parle de non-rétroactivité de la loi. Article 6 de la Constitution, alinéa 4 : la loi ne peut avoir d'effet rétroactif. Ce principe de droit, largement connu et figurant dans toutes les versions de la loi suprême du pays depuis son indépendance, peut-il s'appliquer au tout nouveau «Fonds de cohésion sociale» mis en place par le gouvernement ? Effectif depuis le 17 mai dernier, ce fonds qui s'appuie sur une contribution spéciale des grandes entreprises à l'action sociale de l'Etat (Ramed, programme Tayssir, opération cartables…) a été pointé du doigt par des experts-comptables lors du dîner-débat organisé par La Vie éco avec le directeur général des impôts, jeudi 24 mai (voir article). Ce qui est contesté ? La constitutionnalité même de ce fonds. Instaurée par la Loi de finances 2012, la «contribution pour l'appui à la cohésion sociale», telle que définie par l'article 9 de la loi en question, est en effet «calculée sur la base du montant du bénéfice net de l'exercice comptable déclaré au titre de l'impôt sur les sociétés en 2012».
Jusque-là, tout est en ordre, sauf que, estiment des experts-comptables, ledit bénéfice déclaré au titre de l'IS en 2012 repose sur un résultat net réalisé au titre de l'exercice 2011. «On taxera donc les entreprises sur un bénéfice de 2011, au cours duquel cette contribution n'existait pas», explique l'un d'entre eux qui a tenu à garder l'anonymat. Et d'ajouter : «Le fait générateur de cet impôt repose sur l'activité des entreprises au moment où le seul impôt à acquitter était un IS de 30%». Sur quel exercice comptable imputer cette charge ? Plus spécifiquement, là où la constitutionnalité du fonds est remise en question est que ledit «bénéfice net comptable déclaré en 2012» a déjà fait, pour la quasi-majorité des sociétés (sauf celles ayant un exercice comptable à cheval sur l'année civile, exemple RAM, Cartier Saada, IMM…), l'objet d'un dépôt de liasse fiscale avant le 31 mars 2012, soit avant l'existence juridique de cette contribution. «On ne peut donc pas taxer une entreprise sur la base d'un bénéfice qui a déjà fait l'objet d'une déclaration. C'est le principe même de la non-rétroactivité de la loi», explique-t-on. Chez les experts-comptables on pose d'ailleurs le problème de l'imputation de cette charge supplémentaire qui est, selon la loi, de 1,5% sur les bénéfices nets compris entre 50 et 100 MDH et 2,5% sur les bénéfices dépassant 100 MDH. Elle ne peut être imputée à l'exercice 2011 puisque ce dernier est déjà clos. Les entreprises paieront donc, au titre de leur comptabilité de l'exercice 2012, une charge basée sur les chiffres de l'exercice antérieur. D'ailleurs, l'institution du Fonds de cohésion sociale figurant dans le projet de Loi de finances depuis plusieurs mois déjà, plusieurs entreprises, avant de clôturer leurs comptes au titre de l'exercice 2011, avaient, au cours du premier trimestre, approché leurs commissaires aux comptes pour savoir si elles devaient provisionner la charge relative à la contribution et à hauteur de quel montant. Une réponse que les hommes de l'art étaient bien entendu dans l'impossibilité de donner : la Loi de finances étant encore à l'état de projet. Mais, d'autres professionnels voient les choses autrement. Selon eux, la «contribution pour l'appui à la cohésion sociale» ne présente pas de problème de constitutionnalité, étant donné qu'il s'agit non pas d'un impôt récurrent, mais d'une participation à la solidarité qui se ferait uniquement en 2012. «Il est normal alors de choisir une base sur laquelle serait appliqué le prélèvement. La contribution devant être acquittée en 2012, on ne pouvait que choisir le bénéfice de l'exercice antérieur comme référent». Concernant le fait générateur, qui est la déclaration faite avant fin mars 2012, soit avant l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi de finances, un expert-comptable fait le parallèle avec ce qui se passe en cas d'amnistie fiscale : «On passe bien l'éponge à un instant T d'une année N sur des impôts dus au cours des années N-1, N-2, N-3… dans ce cas aussi on pourrait arguer de la non-rétroactivité de la loi pour déclarer une amnistie fiscale inconstitutionnelle». On le voit, les avis sont partagés et les arguments des uns et des autres ne manquent pas d'être plausibles. Nous avons tenté de joindre à ce sujet le Secrétariat général du gouvernement pour avoir un avis juridique, mais sans succès. En tout cas, le législateur a tenu à être très prudent au niveau de l'article 9 de la Loi de finances en se gardant de toute référence au bénéfice de l'année 2011 et en préférant parler de bénéfice déclaré en 2012. Pléonasme en apparence, mais qui a toute son importance sur le plan juridique.