La justice a été rendue, le droit fort bien interprété et les lois bien appliquées… Le locataire défaillant a été expulsé et l'argent dû a été déposé auprès du tribunal. Le plaignant est content…sauf que l'argent n'est pas à son nom mais plutôt à celui de ses enfants. Depuis, c'est l'impasse. Eh oui, cela peut arriver, car, finalement, les juges sont des êtres humains, et peuvent connaître des moments de fatigue, durant lesquels leur vigilance peut être mise en défaut. L'élément paradoxal dans le cas qui nous intéresse c'est que l'erreur commise dans cette affaire se trouve au cœur même d'un arrêt judiciaire de toute beauté. La justice a été rendue, le droit fort bien interprété et les lois bien appliquées : autant dire que le magistrat qui a rendu cet arrêt peut se targuer d'avoir réussi à donner une belle leçon de droit à tous les intervenants. Le litige en lui-même est assez simple : un propriétaire poursuit en justice un locataire défaillant dans le paiement des loyers. Il réclame le règlement des arriérés et l'expulsion pour non-paiement des loyers. Sitôt averti de la procédure, le locataire consigne les sommes dues auprès de la caisse du tribunal, puis exhibe les reçus à l'audience, affirmant être totalement en règle. Mais le magistrat n'est pas dupe : il considère qu'effectivement les reçus attestent le paiement, en 2011, des loyers dus depuis… 2007, que le retard est avéré, et prononce l'expulsion, en autorisant le propriétaire à récupérer son argent auprès de la caisse du tribunal… Et c'est là que ça se corse ! A l'avocat qui se présente au nom de son client, on répond : pas de problèmes, il faut juste deux copies de l'arrêt, et le chèque sera prêt dans deux jours….Sauf que deux jours plus tard, autre son de cloche : «Les chéquiers sont épuisés, et l'agent comptable est parti en chercher d'autres» ; puis : «En fait, il y a un problème, l'argent n'a pas été déposé au nom de votre client,…. mais au profit de ses héritiers !» Oui, mais l'intéressé est bien vivant, ses enfants sont mineurs, et il ne voit pas bien ce qu'ils viennent faire dans cette galère ! L'agent comptable, sollicité, se torture les méninges pour trouver une solution à ce pétrin. Il la trouve : il explique au propriétaire qu'il convient d'abord de virer l'avocat en obtenant son désistement ; puis s'il se présente en personne, muni de sa C.I.N (et d'un certificat de vie attestant qu'il est bien encore de ce monde), l'agent comptable pourra, à ce moment, lui remettre l'argent des loyers. Aussitôt dit, aussitôt fait, l'avocat ne pose aucune difficulté, et voici le propriétaire venant récupérer son chèque. On le fait lanterner sous des prétextes aussi fallacieux les uns que les autres ( un jour, c'est la grève, un autre c'est le chef-comptable qui est en stage, etc.), pendant une petite dizaine de jours avant de lui annoncer froidement que, tout compte fait, et après bien des consultations entre chefs de service (chef du greffe, chef-comptable, agent du Trésor), il est impossible de débloquer une somme d'argent au profit de X alors qu'elle est consignée au profit de Y . Imaginez, lui dit-on que vos héritiers viennent demain matin réclamer leur argent, que leur dira-t-on ? Qu'on n'a plus rien ? Nous sommes responsables nous, Monsieur, donc désolés, on ne peut rien pour vous. Et le fait qu'un arrêt vous autorise expressément et nommément à retirer cet argent, ne nous concerne pas. En fait, l'erreur s'est produite lors de l'audience publique : sans doute pris par le temps, le juge a jeté un rapide coup d'œil sur les reçus produits par le locataire, a dû vérifier que les montants correspondaient à la demande, que l'adresse du local loué était bien celle fournie par le propriétaire…mais a omis de regarder au profit de qui l'argent était consigné. S'il l'avait fait, le détail concernant les héritiers ne lui aurait pas échappé, et il aurait ordonné au locataire d'aller rectifier le nom du bénéficiaire… Depuis, les choses ont pris une tournure ubuesque : recontacté, l'avocat a engagé une procédure en référé, demandant que le tribunal reconnaisse l'erreur, la rectifie, constate que les sommes consignées représentent les loyers impayés et autorise le propriétaire à récupérer son dû. Demande rejetée, la Cour n'a commis aucune erreur, et ne peut autoriser le propriétaire à prendre son argent, car une autre Cour l'a déjà autorisé, et on ne saurait statuer deux fois sur le même sujet. Le propriétaire est effondré, les procédures vont encore durer longtemps, coûter de l'argent, sans compter toutes les voies de recours qu'utilisera certainement le locataire. Tout ça pour une seconde d'inattention, mais : Errare Humanum (l'erreur est humaine) !