Un propriétaire, excédé par l'impuissance des juges à expulser son locataire, profita d'une absence de ce dernier pour pénétrer de force dans les lieux, changer de serrure, et postant un solide gardien sur les lieux, ayant pour unique consigne d'empêcher quiconque de pénétrer sur place. Les baux à usage commercial sont strictement réglementés par la loi, et plus précisément par le dahir du 24 mai 1955. Ce texte a été adopté au moment de l'Indépendance afin de mettre un peu d'ordre dans ce domaine au moment où, le Protectorat se terminant, le commerce au Maroc connaissait un grand essor. Il s'agissait, dans l'esprit des législateurs de l'époque, de protéger principalement les locataires de fonds de commerce contre les appétits des propriétaires des murs, afin d'éviter des évictions douteuses, ou des abus dans la fixation des loyers et autres charges. Mais ce texte pose aujourd'hui un double problème. D'abord il est devenu obsolète et dépassé, car les conditions du commerce en 2011 n'ont rien à voir avec celles de 1955 ; ensuite il aboutit à l'inverse de ce qui était programmé : s'il défend toujours les intérêts des locataires, il bafoue gravement ceux des propriétaires, créant ainsi des situations juridiquement complexes, comme en témoigne le cas suivant. Voici donc un local loué à des fins commerciales, sur la base de ce fameux dahir. (Notons, en passant, que la majorité des bailleurs ignorent tout de ce texte, sinon ils n'auraient jamais loué leur bien !). Au bout de quelques mois, le locataire arrête le paiement des loyers, forçant le propriétaire à saisir la justice, demandant le paiement des loyers dus, et accessoirement la résiliation du contrat de bail, et donc l'éviction du locataire indélicat. Le tribunal statuera sur ce cas, en 2000, 2004, 2008 et 2010 : à chaque fois il ordonnera le paiement des arriérés, mais refusera de prononcer l'expulsion, arguant à chaque fois du non-respect des clauses du dahir de 1955. Celui-ci dispose en effet que tout propriétaire désirant mettre un terme à un contrat de bail est tenu d'en aviser le locataire par courrier recommandé, en lui octroyant un délai de six mois pour ce faire. De plus, ce courrier doit OBLIGATOIREMENT décrire le local loué en détail, sous peine de nullité. Certains juristes ont soulevé ces difficultés, soulignant que ces dispositions mettaient en difficulté les honnêtes propriétaires, et que pour une expulsion, un simple constat d'arrêt du paiement des loyers suffisait. La jurisprudence de la Cour suprême abonde en ce sens, privilégiant les textes généraux (comme le D.O.C), aux textes particuliers. Elle ira même plus loin, en affirmant que les jugements portant paiement de loyers en souffrance constituaient une preuve contre le locataire, et devaient servir de base à des arrêtés d'expulsion… Mais les juges, eux, continuent d'ignorer ces arrêts de la Cour suprême pour n'en faire qu'à leur tête. Et de fait les aigrefins s'en donnent à cœur joie : ici c'est un loueur qui disparaît dans la nature en laissant le local loué ouvert à tous les vents ; ailleurs c'est un autre qui enregistre des hypothèques, gages ou nantissements sur le registre du commerce de son fonds de commerce, donnant comme garantie le bien loué: il reviendra au propriétaire désireux de récupérer son bien… d'acquitter les sommes garanties ! Ou alors c'est un loueur indélicat qui change de ville, tout en emportant avec lui les clés du magasin. Les exemples sont donc légion, obligeant les infortunés propriétaires à recourir à des méthodes parfois expéditives. Ainsi, tel propriétaire, excédé par l'impuissance des juges à expulser son locataire, profita d'une absence de ce dernier pour pénétrer de force dans les lieux, changer de serrure, et postant un solide gardien sur les lieux, ayant pour unique consigne d'empêcher quiconque de pénétrer sur place. Un autre propriétaire n'hésitera pas, lui, à faire le coup de poing, en expulsant manu militari le loueur défaillant : certes, ils finiront bien tous les deux au commissariat du coin pour coups et blessures réciproques, mais peu importe, le local a été récupéré. Il serait donc judicieux, pour éviter pareilles extrémités, de dépoussiérer certaines lois, dont la survie crée plus de problèmes qu'elle n'en résout.