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Le Maroc n'est plus le premier producteur mondial de haschich mais…
Publié dans La Vie éco le 18 - 02 - 2011

La lutte contre la production est soutenue : les superficies cultivées ont baissé de 66% en 7 ans. Effet pervers de la raréfaction de l'offre : des prix en hausse, de la résine coupée avec des produits toxiques ou une addiction aux psychotropes.
La lutte de l'Etat contre le cannabis ne faiblit pas. Encore 9 400 ha détruits au cours des 10 premiers mois de 2010, ce qui porte la superficie totale cultivée à 46000 ha. On est loin des 134000 ha occupés par cette culture en 2003 et qui avaient valu au Maroc le triste classement de premier exportateur mondial de haschich. Une année aussi où l'extension des superficies cultivées avait fortement alarmé les autorités puisque la culture du cannabis était arrivée jusqu'à Taounate et Larache. Le Gharb n'est pas loin, Kénitra non plus et Rabat,… Du cannabis aux portes de la capitale, impensable ! Depuis 2003, donc, la lutte s'est intensifiée. 66% de baisse des superficies cultivées en sept ans.
Une mesure louable…mais pas pour tous. Car en dépit des programmes de reconversion, basés sur la culture de l'olivier et de l'élevage, nombre d'agriculteurs ont perdu leurs revenus. Mais surtout, la consommation de résine de cannabis, elle, n'a pas baissé. 118 tonnes saisies dans les différentes régions du pays au cours de l'année 2010. Ce qui est passé entre les filets doit certainement être plus élevé. Certes une bonne partie de la production locale est destinée à l'export, mais il suffit d'ouvrir les yeux pour s'en rendre compte. De plus en plus de jeunes fument du cannabis, sous sa forme la plus connue au Maroc, la résine. Il y a trois ans, La Vie éco avait fait une estimation sur la base des quantités de papier à rouler vendues en Maroc, défalquées de celles qui vont au tabac à rouler. 1,1 milliard de joints sont fumés chaque année dans le royaume et la lutte contre les cultures ne semble pas avoir eu d'impact sur la consommation. Combien d'accros ? Combien de fumeurs occasionnels ? Au ministère de l'intérieur, on reconnaît qu'il n'y a pas d'étude détaillée sur le sujet et l'on se prépare à en faire un pour cerner le phénomène.
50 DH le gramme si l'on veut «fumer de la bonne»
En revanche, l'effet pervers de la baisse de la production réside dans le renchérissement du coût de cette drogue, sur le marché local. L'on pourrait penser qu'au fur et à mesure que le prix devient prohibitif, la consommation baisse. Rien n'est moins sûr. Pour vendre moins cher, on mélange la résine avec des produits souvent nocifs pour le corps. Henné, résidus de chanvre indien, mais également psychotropes, colle à snifer…
Cette baisse substantielle de la production, combinée à une demande qui ne tarit pas, explique pourquoi le prix du haschich a flambé ces dernières années. «Cadres supérieurs, fonctionnaires, étudiants, lycéens, j'ai parmi mes clients aussi des avocats et des docteurs», confie Abdellah, un dealer de Casablanca. Il fait partie de cette nouvelle génération de fournisseurs qui ont chevauché la vague des télécoms pour faire des affaires plus tranquillement. Il prend ses rendez-vous par téléphone et rejoint ses clients, qu'il connaît très bien, dans les cafés et les bars de la métropole. Le prix ? 50 DH le gramme. «Mais la qualité est garantie. La tbissla (la bonne qualité, dans le jargon des fumeurs) ne court pas les rues», chuchote Rachid, un de ses clients. Rachid et consorts, ceux qui sont prêts à payer le prix pour de la bonne fume, sont appelés par les trafiquants, les «s7ab legraymate» parce qu'ils achètent la résine de cannabis au gramme. Les professionnels ne se pointent plus aux coins des rues et ne se déplacent que pour des quantités conséquentes. Abdellah est très heureux de n'avoir que ce type de clients dans son carnet d'adresses. «C'est un métier à risques. Même si je prends mes précautions, je sais qu'un jour je dois faire un passage par la prison. Comme on dit, A moula nouba [A chacun son tour]. Au moins, je gagne suffisamment d'argent pour que ma famille puisse vivre sans problèmes en mon absence», lâche-t-il, l'air grave.
Dans le milieu, faire des économies, c'est assurer son qabr lhayate (tombeau de la vie qui signifie un logement). Hassan fait partie de ceux qui se sont retrouvés, du jour au lendemain, derrière les barreaux, et surtout sans le sou. Aujourd'hui, il opère dans l'ancienne médina casablancaise.
Dealers et consommateurs
Là, on est dans un autre registre. Les clients sont d'un autre standard que ceux d'Abdellah. Ils ne peuvent pas dépenser plus de 20 DH pour acheter du haschich. Ce qui équivaut au prix de deux ou trois grammes, très bas de gamme. Hassan achète une petite quantité de haschich et la vend au détail. «Je gagne de quoi fumer ma propre dose», lance-t-il, l'air désabusé. Il fait partie de la catégorie des dealers-consommateurs. Avant, au cours des années 90, il gagnait bien sa vie du côté de la corniche. Après une première arrestation, il enchaîne trois peines de prison de deux années chacune. Il vend maintenant le cannabis bas de gamme à une clientèle d'ouvriers, de cireurs ou encore de lycéens paumés. Véritable danger pour la santé publique, la fameuse zatla est composée de haschich mélangé avec plusieurs types de substances, du henné, parfois même des diluants. «Avant, les jeunes pouvaient acheter du shit un peu partout dans des quartiers phare connus pour la qualité de leur marchandise. L'on pouvait se procurer, pour 10 DH, un joint "fumable" chez un dealer à l'ancienne Médina, mais aussi à Derb Kabir, Derb Moulay Chrif. A l'époque, le gramme valait 10 DH. Et la qualité y était. Maintenant, il faut payer beaucoup plus pour avoir cette même qualité», avoue Hassan. Ce qui n'a pas changé par contre, ce sont les endroits réservés à une certaine clientèle de fumeurs. Les cafés qui ferment tardivement accueillent les fumeurs des quartiers populaires ainsi qu'une partie des chauffeurs de taxi qui travaillent la nuit. Et c'est dans les parcs de la capitale économique que l'on retrouve les étudiants désireux de fumer un joint en paix. Sur les terrasses des cafés avoisinants comme dans les allées du parc de la Ligue arabe, des étudiants, filles et garçons, alternent préparations des examens et fumette. L'ambiance est relax d'autant plus que plusieurs d'entre eux sont des artistes en herbe. La qualité du haschich fumé varie d'un groupe à un autre. Tous font part d'une augmentation ces dernières années du prix du shit. Pour avoir travaillé sur ce dossier depuis 2003, Khalid Zerouali, wali en charge de l'immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l'intérieur (voir entretien), nous explique la logique derrière cette hausse des prix. «En plus de l'éradication des terres cultivées, nous nous sommes attaqués au trafic», précise le wali. Et d'ajouter : «Il y a une trilogie liée à la drogue : la production, le trafic et la consommation. Le trafic est transfrontalier. On part du principe que nous sommes devant des hommes d'affaires. Pour les empêcher de faire ce business, il faut augmenter les barrières à l'entrée, augmenter le risque et relever le coût psychologique. Ces trois composantes sont importantes car le trafic illicite transfrontalier est orienté profits, non pas niche». Comment cela s'est-il traduit dans la politique du ministère ? Réponse de M. Zerouali : «Il faut comprimer les marges de gain de ces trafiquants pour les dissuader de faire ce business au Maroc. Avant 2003, le trafiquant pouvait pratiquer le prix qu'il voulait parce que la récolte était abondante. Ces marges ont toujours été optimales. Aujourd'hui, on a réduit de 65% la production du cannabis. Le Maroc n'est plus le premier producteur de hashish au monde. Les trafiquant ne peuvent plus pratiquer les prix qu'ils veulent. Tout cela dissuade aujourd'hui nombre d'entre eux de s'approvisionner du Maroc. Le prix du haschich a augmenté au Maroc, comme en Europe d'ailleurs».
Danger dans les lycées
Autre effet pervers de l'augmentation du prix du haschich, celui de la recherche de produits de substitution. Plusieurs dealers se sont en effet reconvertis dans le commerce du karkoubi (psychotropes), plus facile à transporter. En plus, cette drogue a acquis une grande popularité, surtout chez les jeunes des quartiers défavorisés. Le prix de certains psychotropes a même diminué et ses conséquences sur la société sont tout simplement désastreuses. Car si le shit est réputé calmer les esprits, le karkoubi, lui, ouvre la porte à la violence, aux agressions et aux crimes. Commentaire du wali Zerouali : «Pour ce qui est du karkoubi, le problème est clair. Ces médicaments viennent surtout de l'Algérie. Le pire, c'est qu'aujourd'hui nous avons sur le marché des mélanges de karkoubi et d'autres substances qui sont écoulés surtout aux adolescents sous forme de maâjoune. Nous essayons de maitriser ce flux, mais l'Algérie devrait aussi assumer ses responsabilités. Malheureusement, ce pays ne fait rien et fragilise toute la région par son laxisme». D'autres comportements de dealers de cannabis et de karkoubi posent un véritable problème pour la sécurité des enfants et des adolescents. Les trafiquants ciblent les jeunes lycéens, filles et garçons. Ces derniers deviennent leurs intermédiaires au sein de l'école et commencent à écouler la marchandise au profit du dealer. Pour encourager l'adolescent et lui donner l'impression qu'il a de l'importance, le dealer lui donne un petit pourcentage des transactions. Et de quoi fumer bien sûr. Dans le cas des filles, elles sont dans la plupart des cas victimes d'abus sexuels. Une situation catastrophique qui demande une intervention urgente et efficace.
Au final, si l'Etat agit en amont pour réduire la production et en aval pour lutter contre la commercialisation de la résine de cannabis, c'est le travail de sensibilisation qui manque cruellement. Et les autorités en sont conscientes, l'arsenal répressif ne suffit pas.
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