Outre qu'il a un goût effréné pour le risque, l'adolescent est la cible de tous les dangers : cigarette, alcool, drogue, violence, extrémisme… La drogue est le risque le plus fréquent. Il est l'objet de métamorphoses psychologiques et physiologiques si fortes qu'il s'interroge sur son identité et la place qu'il occupe dans la famille. Souvent, les parents sont désorientés et ne savent pas comment communiquer avec leur enfants. «Puberté, puberté, que me veux-tu ?…», disait Jules Laforgue, poète français. L'adolescence, âge difficile, celui de tous les risques, et aussi celui où le goût du risque est très fort. Insouciant, ne mesurant pas les conséquences de ses actes, un adolescent peut, pour se faire plaisir, commettre des folies aux conséquences incalculables. Les exemples ne manquent pas. Ayoub N., 16 ans, lycéen, est un fou de l'automobile. Jamais son père, malgré l'insistance de son fils, ne lui a permis de prendre le volant pour la simple raison qu'il n'a pas encore son permis de conduire. «Il faut patienter, fiston, tu as tout l'avenir devant toi pour conduire une voiture, mais il faut d'abord que tu passes ton permis», n'a cessé de lui répéter le père. «Balivernes, des ringards, les parents, ils ont toujours la trouille», se répète le fils à lui-même. Un jour, il subtilise les clés de la voiture, descend au garage, et le voilà dans la rue à rouler à tombeau ouvert. Il passera prendre son copain Hicham, façon de lui montrer ce dont il est capable. En voiture, les deux comparses dévalent le bitume en poussant des cris de joie. Il faisait nuit. Et bien que notre lycéen savait manier le volant, son manque d'expérience le trahira. Une jeune femme de 30 ans, accompagnée d'un enfant de quatre ans, traverse la chaussée et l'irréparable arrive. Ne sachant comment éviter les deux piétons, l'impertinent ado les fauche. La suite ? Transportés aux urgences dans un état grave, l'enfant succombe à ses blessures tandis que la mère s'en sort paralysée pour plusieurs mois. Malgré son réseau de connaissance, il a fallu au père du jeune lycéen faire appel à une infinité d'amis et distribuer des enveloppes copieuses pour que le protagoniste s'en sorte avec une petite année de prison ferme. Kamal, 19 ans, étudiant dans une école supérieure privée, commet une maladresse grave. Il est deux heures du matin quand il quitte la boîte de nuit, dans un état d'ébriété avancée. Il prend sa voiture pour rentrer chez lui. Arrêté par un policier pour excès de vitesse, il baisse la vitre, et, au lieu de montrer ses papiers, il tend sa main pour dépouiller l'agent de sa casquette, en coiffer son propre chef et partir en trombe. Le flic eut le temps de noter la plaque d'immatriculation de la voiture du fuyard, lequel rentre chez lui (c'est-à-dire chez ses parents) pour se coucher, la conscience tranquille, comme si de rien n'était. C'est le branle-bas de combat chez la police : deux heures plus tard, la maison de Kamal est encerclée par les forces de l'ordre. Elles entrent jusqu'à sa chambre pour le trouver dans un sommeil profond, la casquette volée posée près de lui sur la table de nuit. L'ado a une impression d'étrangeté, voire de «dépossession de lui-même» Folies de jeunesse ? Jeux dangereux d'adolescents inconscients de leurs actes ? Actes extrêmes d'ados en mal de reconnaissance par la famille ou la société ? Toujours est-il que l'adolescence, expliquent sociologues et psychologues, est synonyme de révolte, d'insoumission, de conflit avec les parents et avec les enseignants à l'école. Et pour cause, cet être qui s'apprête à rejoindre le monde des adultes est l'objet de véritables bouleversements qui affectent tout à la fois son apparence physique, sa vie psychique, sociale et affective. Outre qu'il a un goût de risque effréné, il est la cible de tous les dangers : cigarette, alcool, drogue, prostitution, violence, extrémisme … D'abord ce portrait d'ado brossé par Xavier Pommereau, un éminent spécialiste français de l'adolescence («Ados à fleur de peau», 2006, Albin Michel). L'ado, juge-t-il, a une impression d'étrangeté, voire de «dépossession de lui-même». D'autant, selon lui, que «le processus pubertaire entraîne l'émergence de pulsions et de représentations psychiques» que le jeune a le sentiment de ne pas pouvoir contrôler ni arrêter les modifications de son corps. Privé des repères de l'enfance dont il doit faire le deuil, l'adolescent s'interroge sur son identité et la place qu'il occupe, notamment dans sa famille. Une quête qui passe fréquemment par la recherche d'expériences nouvelles, une tendance à l'excès (dans les opinions, les sentiments, les réactions aux remarques des proches…) mais aussi un besoin de se confronter aux limites, quitte à «dépasser les bornes»… D'où également souvent un goût du risque qui apparaît comme un moyen pour le jeune de «se mettre à l'épreuve pour se sentir exister». Ce goût du risque, selon Bouchaïb Karoumi, pédopsychiatre, s'explique par le fait que l'adolescent est d'une personnalité impulsive. «Il peut faire des choix et prendre des décisions sans penser aux conséquences. C'est sa façon de tester sa capacité que de se lancer dans des actions à risque, comme conduire une voiture sans permis ou rouler sur sa moto à pleine vitesse…». Ce comportement a même une explication biologique, poursuit le pédopsychiatre. «Une partie du cerveau de l'enfant, qu'on appelle le cortex préfrontal, n'a pas encore achevé sa maturité, et c'est cette partie qui gère le contrôle de soi et le raisonnement». Impulsivité, immaturité, inexpérience, mal de vivre, fragilité, ce cocktail conduit l'ado à vouloir tester tout ce qui est socialement prohibé : d'abord le tabac, le plus dangereux et «la première des drogues au Maroc», estime Jallal Taoufik, psychiatre, directeur de l'hôpital Arrazi à Salé et directeur du Centre de recherches sur les toxicomanies. En 2006, l'Enquête nationale sur le tabagisme chez les jeunes de 13 à 15 ans, initiée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a montré que 15,5% des jeunes utilisent le tabac sous plusieurs formes (cigarettes, shisha, joints…). L'OMS révèle que 24,3% des élèves ont commencé à fumer avant l'âge de 10 ans. Des dizaines de milliers de jeunes ne s'arrêtent pas au tabac (drogue licite), ce dernier est le premier pas, rapportent les connaisseurs, mais vont vers d'autres addictions encore plus nocives pour la santé, comme la drogue. Si l'ado est l'objet d'une quête identitaire, cette dernière, soulignent deux psychiatres auteurs d'une étude sur la drogue et les ados, «se déroule parfois dans un climat de heurts dont la prise de risques est l'un des aspects caractéristiques. Certains de ces risques touchent la santé. Et le recours à la consommation de drogues tend à devenir l'un des plus fréquents». Pour les dealers et autres vendeurs de drogue devant les établissements scolaires, c'est une sinécure de faire écouler leur marchandise. Cannabis, psychotropes, cocaïne, vin et autres liqueurs, que l'on vend désormais «au détail», s'écoulent facilement au vu et au su de tous. Les comprimés psychotropes, appelés karkoubi, font des ravages auprès des jeunes adolescents, notamment dans les quartiers populaires et des crimes horribles sont commis sous leur effet. Selon les statistiques de l'Observatoire marocain des prisons (OMP), 80% des jeunes sont incacérés pour avoir commis des infractions sous l'effet des psychotropes, sachant que 10% de la population carcérale est constituée de mineurs. Alcool et psychotropes sont classés, dans une enquête effectuée en 2007 par le centre précité dirigé par le Dr Taoufik, en deuxième position (après le tabac) comme les drogues les plus utilisées par les Marocains, et notamment les jeunes. Les ados à situation particulièrement difficile sont plus exposés que les autres à commettre des excès Les spécialistes de l'éducation insistent sur le dialogue avec les ados, pour leur éviter autant que faire se peut de tomber dans ces travers, surtout qu'en plus de la métamorphose psychologique et biologique que subissent les ados en général, il y a des facteurs familiaux et sociaux qui encouragent certains parmi eux à sombrer dans l'excès. L'OMS, dans ce deuxième cas, parle d'«enfants et [d']adolescents confrontés à des situations particulièrement difficiles» à l'instar des enfants et des adolescents de la rue, ceux dont les parents sont divorcés, ou ceux vivant dans des établissements particuliers comme les centres de détention. Sans oublier ces 400 000 ados qui quittent l'école chaque année et qui constituent des proies faciles à tous les risques et tous les vices. La famille a donc un rôle primordial à jouer dans la «gestion» de la crise d'un adolescent. Or, souvent, dans un monde où l'autorité parentale connaît elle-même une véritable crise, les parents censés établir une communication profitable pour l'ado sont eux-mêmes désorientés. Le Dr Karoumi insiste bien sur le rôle de la cellule familiale et l'explique ainsi : l'adolescent, dit-il, «veut montrer sa différence avec les autres, et notamment à ses parents. Il aspire à une autonomie et il n'aime pas être déçu. Aux parents de gérer cette situation dans un climat de confiance. Ceux qui savent instaurer un climat de dialogue et de concertation avec leurs adolescents s'en sortiront bien et leurs enfants évolueront normalement». Les adolescents, dit ce spécialiste, «ont autant besoin de directives qui les rassurent que de liberté pour se forger». Plus facile à dire qu'à faire, certes, mais il faut toujours essayer (voir entretien).